Le président Macky Sall a cette fâcheuse habitude de profiter des grands événements religieux, le Magal et le Gamou en particulier, pour déployer ses activités politiciennes et électoralistes. En 2016, comme les précédentes années, il a choisi la veille de ces importants événements qui regroupent beaucoup de monde pour procéder à des poses de premières pierres et à des inaugurations d’infrastructures. Ainsi, à Touba, il a procédé, avec beaucoup de tintamarre, à la pose de la première pierre de la construction d’un hôpital dit de niveau III, qui sera doté d’équipements de dernières générations. Il en a fait de même pour une usine de traitement de déchets à Ndindy, le fief de la famille de Serigne Falilou Mbacké, le second khalife général de Serigne Touba Khadim Rassoul.
A la grande satisfaction du président-politicien qui raffole de foules endimanchées, les deux cérémonies ont rassemblé beaucoup de monde, y compris de nombreux badauds. On était à moins de vingt-quatre heures du Magal et la ville sainte avait déjà pratiquement fait le plein. S’y ajoutait que ses hommes-liges de la localité avaient fait courir le bruit, à tort ou à raison, que le Khalife général avait appelé à «réserver à son hôte un accueil chaleureux». Le président-politicien était donc aux anges devant les foules immenses qui l’acclamaient. Sur les lieux de la pose de la première pierre, il a fait un long discours sur le futur hôpital, avec de nombreux engagements pris. L’infrastructure devrait coûter, selon lui, 40 milliards de francs Cfa (28 étaient annoncés une semaine auparavant). Si autant de milliards y étaient consacrés et que les engagements du président-politicien fussent respectés, l’hôpital serait un véritable bijou. Il existe, malheureusement, de nombreux doutes sur les capacités techniques et financières de l’entreprise qui a gagné l’important marché. Les délais de livraison, avancent de nombreux observateurs avertis, ne seront sûrement pas respectés. Et même si, par extraordinaire, ils l’étaient, les dispositions du cahier de charges ne seraient pas respectées à la lettre, selon les mêmes observateurs. L’année 2018 est devant nous et nous en aurons le cœur net. En tous les cas, en attendant, le président-politicien a atteint son premier objectif : occuper l’actualité à Touba, à un moment où la ville sainte est le lieu de rendez-vous de plusieurs millions de fidèles et d’autres compatriotes.
A Ndindy, c’était le même cérémonial. Les foules étaient au rendez-vous et le président-politicien a été porté au pinacle par le porte-parole des chefs religieux de la localité. Bien au fait des préoccupations politiciennes et électoralistes de son hôte, il lui lança cette phrase qui a dû lui faire énormément plaisir : «Le moment venu, c’est par ici que vous commencerez votre campagne !» Il y était déjà d’ailleurs, puisqu’on l’a entendu dire, le même jour : «J’ai commencé ma campagne électorale.» Il pouvait bien s’en passer puisque c’est un secret de Polichinelle. Tous ses actes, tous ses propos s’inscrivent dans cette perspective électoraliste.
Un mois plus tard, ce fut le tour de Tivaouane où il a été accueilli comme un héros. Il inaugurait des infrastructures qu’il y a réalisées : une résidence pour hôtes (où il a passé une nuit), une salle de conférences, une esplanade, etc. Il a été remercié à la hauteur de la «qualité» et du «coût» desdites infrastructures. Cette surprenante prière y a été même formulée : « Un pouvoir pour toujours ! »
Médina Baaye a aussi reçu l’hôte de marque pour l’inauguration de sa résidence pour hôtes. Il sera accueilli par des foules bruyantes malgré les instructions du khalife qui allaient dans un autre sens : il souhaitait une visite sans tambour ni trompette. Les militants du président-politicien étaient plus attachés à la fameuse mobilisation qu’aux instructions du khalife, sachant que les foules faisaient partie de la vie de leur champion, qu’elles étaient aussi indispensables pour lui que l’oxygène qu’il respire.
Léona Niassène, Ndiassane, Thiénaba et d‘autres cités dites religieuses réserveront le même accueil chaleureux et coloré à la vedette de ces jours de Gamou ou de Magal, qui s’engagera à poursuivre la modernisation desdites cités. Il convient peut-être de s’arrêter un peu sur cet engagement plusieurs fois réitéré du président de la République à moderniser tous les foyers religieux au Sénégal, pour s’interroger sur sa pertinence, sur sa faisabilité et sur la sincérité des coûts déclarés (ou cachés). Le président de la République a-t-il été élu pour construire des mosquées, des résidences pour hôtes, des salles de conférences, des esplanades de mosquées dans les nombreux foyers religieux du Sénégal ? C’est aux communautés qu’il appartient d’abord de réaliser ces infrastructures, l’Etat pouvant apporter un soutien. La Grande Mosquée de Touba, celle de Diourbel, les nombreuses résidences pour hôtes (Keur Serigne Touba), la Mosquée Mazaalik al jinaan en chantier sont d’abord l’œuvre de la communauté mouride. C’est le cas certainement d’autres infrastructures dans d’autres foyers religieux. L’Etat n’a pas le droit de tuer cette ferveur religieuse des fidèles de différentes confréries qui contribuent avec enthousiasme à la réalisation de ces infrastructures. Il n’a pas le droit, il n’a surtout pas les moyens de moderniser tous les foyers qui ne se résument pas à Ndiassane, à Médina Baay, à Touba, à Tivaouane, à Thiénaba, etc.
Sans doute, ces cités reçoivent-elles annuellement des millions de disciples venus des quatre coins du monde. Elles ont besoin d’être assainies, de disposer de suffisamment d’eau potable, d’équipements adéquats pour l’éclairage public, d’infrastructures sanitaires, etc. C’est vrai, les pèlerins ont besoin de toutes ces commodités pendant les magals et les gamous. Non pas seulement eux, mais aussi les résidents qui en ont besoin à tout moment. C’est vrai, mais les disciples, dans leur écrasante majorité, habitent d’autres localités du pays, qui ont besoin, elles aussi, d’être modernisées, même si elles ne sont pas des cités religieuses.
Il convient également de signaler qu’il y a un nombre impressionnant d’autres foyers religieux qui réclament, eux aussi, et à juste titre, leur modernisation. On peut en citer quelques-uns, à titre d’exemples : Soukou (Kolda) ; Médina Souané (Sédhiou) ; Dar Salam, Médina Chérif (Ziguinchor) ; Diamal (Saloum) ; Keur Serigne Alpha Thiombane (Thiès) ; Mbacké Kadior d’où est partie la flamme du Mouridisme et les nombreux Darou du Baol (Darou Mouhty, Darou Rahmane, Darou Salaam, etc) ; Ngourane, près de Guéoul ; Guett Ardo, le fief de Cheikh Adjouma Ka ; Alouar et Ganguel Souleh, villages respectifs de Cheikh Oumar Foutiyou Tall et de Cheikh Moussa Camara ; Popenguine, Ngazobil ; Koki Ndiaga Issa Dièye, le village de Mame Matar Ndoumbé Diop, où ont séjourné et où ont été formés de nombreux érudits, où Sakhéwar Fatma Diop a été converti à l’Islam ; Koki Ndiaga Issa Dièye d’où sont parties des femmes célèbres comme Sokhna Mame Khary Diop, mère de Sokhna Aminata Lo, elle-même mère de Serigne Mouhamadou Moustapha Mbacké, premier Khalife de Serigne Touba ; Sokhna Fatou Issa Diop, mère de Mame Thierno Birahim Mbacké ; Sokhna Fatou Medou Mame Diop, mère Serigne Bassirou Mbacké qui allait être le troisième Khalife de Serigne Touba, si notre Créateur n’en avait pas décidé autrement, etc.
Le célèbre institut islamique du village, créé en 1930 par le très humble, très vertueux, très pieux et très amoureux du Coran Serigne Mouhamadou Sakhir Lô, continue d’entretenir aujourd’hui la flamme de l’ancien foyer religieux. Plus de 2 800 talibés venus des quatre coins du Sénégal et des pays périphériques y apprennent le Coran et les sciences islamiques. Une fois tous les ans, les anciens élèves et les ressortissants du village, où qu’ils se trouvent, s’y donnent rendez-vous. Ainsi, pendant deux jours, le village est plein à craquer. L’institut a donc au moins droit à une résidence pour hôtes et à une salle de conférences. En outre, le village et Serigne Koki ont en projet, depuis quelques années, la construction de la «Maison Mame Matar Ndoumbé Diop» et la réhabilitation du Mausolée du saint homme, fondateur du village. Koki, son Serigne, l’institut islamique, la famille de Serigne Mahtar Fall et tous les habitants du village plus que millénaire sont bien fondés à réclamer leur part de la modernisation des foyers religieux. Comme le sont, légitimement, tous les autres foyers disséminés sur l’ensemble du territoire national.
Se pose la question de savoir si notre président-politicien a les moyens de ses ambitions. En tous les cas, il est tenu de traiter toutes les cités religieuses sur un pied d’égalité, les cités religieuses comme toutes les autres, puisqu’il est «le Président de tous les Sénégalais».
Se pose une autre question, celle de savoir quelle est l’origine des milliards qu’il utilise à moderniser les cités religieuses. Probablement, il les tire du budget national. Dans ce cas, c’est l’argent du contribuable, ce sont les deniers publics qui doivent être dépensés conformément aux règles des finances publiques. Ils doivent l’être dans la transparence. Or personne, du moins le commun des mortels ne sait combien de milliards ont été dépensés à Ndiassane, à Médina Baay, à Touba, à Tivaouane, etc. Tout ce qu’on sait, c’est que le «cabinet d’architecture de la Présidence de la République» est le maître d’œuvre de la réalisation de toutes les infrastructures au bénéfice des cités religieuses. On sait aussi que ce «cabinet» est coaché de façon exclusive par un couple d’architectes, dont l’époux serait un ami du président-politicien. Du moins, c’est le bruit qui court avec insistance. Si c’est vraiment le cas et ça l’est probablement, cela pose réellement problème.
Dans cette affaire de modernisation des cités religieuses, on ne parle que du président Macky Sall, on lui tresse toutes sortes de lauriers. Or, les milliards qu’il consacre aux cités religieuses ne lui appartiennent pas. Ce sont les milliards du budget national, donc de chacun d’entre nous. Nous avons alors le droit de savoir comment ils sont dépensés, même quand ils le sont en faveur des cités religieuses. Cette modernisation ne doit surtout pas être un moyen d’enrichissement personnel pour une minorité. Un gros scandale vient d’éclater au niveau du ministère de l’Hydraulique et de l’Assainissement. De nombreux autres couvent ailleurs, et peut-être, jusqu’à preuve du contraire, au niveau de la modernisation des cités religieuses. Du temps du président Wade, plusieurs dizaines de milliards destinés à la modernisation de Touba, à son assainissement notamment, se sont volatilisés.
Dans notre pays, toutes les questions qui touchent à la religion ou aux confréries sont considérées comme sensibles, comme taboues. On hésite en général à les aborder. Mais ici, dans cette affaire de modernisation des foyers religieux, il s’agit des deniers publics, qui doivent être dépensés en priorité en faveur des collectivités. Ils n’appartiennent surtout pas au président Macky Sall pour qu’il en use comme bon lui semble. L’Etat, non le président-politicien, a bien le devoir d’appuyer les cités religieuses dans leurs efforts de modernisation. Il ne devrait cependant pas se substituer aux communautés. Dans son rôle d’appui, il doit être neutre et traiter toutes les villes, toutes les cités avec équité. Ce qui n’exclut pas des actions spécifiques, ponctuelles, en faveur des cités religieuses qui rassemblent annuellement des populations en très grand nombre. Il doit veiller en particulier à ce que les deniers publics soient dépensés, en toutes circonstances, dans la justice et dans la plus grande transparence.
Cette modernisation des cités religieuses doit être repensée. Ce ne doit pas être l’affaire du seul président-politicien mais bien de l’Etat. Elle doit être redimensionnée et planifiée. L’argent prévu à cet effet doit être budgétisé et dépensé, le moment venu, par des structures habilitées, hors de la présidence de la République, empêtrée dans la politique politicienne et électoraliste. Cet argent doit faire l’objet de contrôle régulier par l’Inspection générale d’Etat (Ige), la Cour des Comptes et toutes les autres structures de contrôle. Ce serait trop facile, trop risqué de laisser à notre président-politicien toute la latitude d’utiliser, à sa guise et avec son seul «cabinet d’architecture», les milliards destinés à la modernisation des cités religieuses. Il est temps, vraiment temps de faire la part entre l’Etat, notre Etat à nous tous et le président-politicien, qui est davantage le président de l’Alliance pour la République (Apr) et de la Coalition Bennoo Bokk yaakaar que de la République républicaine.
Dakar, le 30 décembre 2016
Mody NIANG
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