Le directeur de l’Institution de prévoyance retraite du Sénégal (Ipres) réagit à la grogne d’une frange de retraités qui a battu le macadam, hier. Dans un entretien à Walf Quotidien, Mamadou Sy Mbengue explique les raisons de la faiblesse des pensions ou encore pourquoi son institution ne peut pas répondre favorablement à la hausse de 50 % réclamés par les allocataires. Entretien….
Comment appréciez-vous la marche des retraités ?
Comme vous l’avez dit, il y aurait une marche des retraités de l’Ipres contre la mensualisation des pensions de retraite. La mensualisation ne renferme rien d’autre que le paiement mensuel des pensions en lieu et place d’un paiement trimestriel. Je dois rappeler qu’au Sénégal, de 1958 à 2007, les pensions étaient payées tous les trimestres. Chemin faisant, le Conseil d’administration, à qui l’Etat a délégué la gestion de la retraite, a pensé qu’il fallait aller au paiement mensuel des pensions de retraite. Comme cela se fait d’ailleurs au niveau de l’Etat en ce concerne les fonctionnaires. Par souci d’équité et de justice. Parce qu’aujourd’hui, nous avons les fonctionnaires, les agents non fonctionnaires et nous avons les agents du privé. Rien qu’au sein de l’Etat, les agents fonctionnaires perçoivent leurs pensions de retraite chaque mois alors que ce sont les mêmes charges de travail et de fonction.
Aujourd’hui, le Sénégal demeure l’un des rares pays qui paie ses pensions tous les deux mois. Le président de la République a demandé au gouvernement de voir la possibilité de mensualiser le paiement. Et, ceci coïncidait avec des demandes récurrentes des retraités, soit individuellement ou des associations de retraites par écrit ou qui viennent nous voir pour nous demander de payer les pensions mensuellement. Donc, aujourd’hui, la décision prise par le conseil d’administration de mensualiser le paiement des pensions est une réponse à cette demande.
Le 19 décembre dernier, l’Ipres a payé le mois de janvier 2017 par anticipation. Et, a fait une avance de deux mois de pensions. Et, on passe à la mensualisation proprement dite à partir du 15 janvier où on va leur payer 50 % de leurs pensions, bonifié de 10 %.
Une franche des retraités ont dit qu’ils préfèrent le paiement par bimestre. Quand cette décision a été prise par le conseil, notre rôle était de voir comment faire la mise en œuvre. Dans cette mise en œuvre, non seulement nous sommes arrivés à satisfaire ceux qui veulent la mensualisation mais aussi ceux qui n’en veulent pas. Aujourd’hui, ceux qui veulent la mensualisation trouveront tous les mois leurs pensions de retraite. Pour ceux qui veulent rester dans le bimestre, le problème ne se pose pas non plus. On ne leur exige pas d’aller au guichet tous les mois. Ils ont la latitude d’attendre tous les deux mois pour aller trouver exactement le montant bimestriel, bonifié même de 10 %. Pour ceux qui sont payés par virement bancaire, ils peuvent aussi attendre tous les deux mois pour aller prendre leur pension de retraite.
Maintenant, il y a un glissement du raisonnement des retraités qui nous parlent de la faiblesse des pensions de retraite. Je réfute la faiblesse des pensions. Le terme adéquat, c’est la faiblesse des droits constitués. Nous, à l’Ipres, tout ce que nous faisons, c’est de restituer des droits que vous constituez au fur et à mesure de votre carrière. Il y a des paramètres qui font que les pensions de retraite sont dites faibles. En comparant un peu avec le fonds de retraite. Pour avoir droit à une pension en tant que fonctionnaire, il faut travailler 15 ans. Si vous travaillez 14 ans et 11 mois et que vous partez à la retraite, vous n’avez pas de pensions. Vous avez un versement unique. Mais au niveau de l’Ipres, jusqu’au moment où je vous parle, il vous suffit de travailler un an, d’avoir 400 points et d’avoir une pension viagère. Il peut arriver que le retraité qui n’a travaillé que deux ans, qui a eu ses 400 points, bénéficie de la pension. Il faut également dire que les pensions de 10 mille et de 6 mille francs Cfa dont on parle, n’existent pas à l’Ipres. Pour le retraité direct, la pension minimale est plus de 14 mille francs. Donc, les pensions faibles dont on parle, ce sont des pensions de reversions. C’est la solidarité qui fait que quand un retraité décède, 50 % de sa pension est donné, soit à la veuve ou distribuer entre les veuves. Si elles sont quatre, les 50 % sont divisés par quatre.
Le premier élément de la faiblesse des pensions, c’est la durée de stage. C’est-à-dire, il suffit de travailler un an pour avoir 400 points pour accéder à une pension. La deuxième explication, c’est le taux de cotisation. Au Fonds national de retraite (Fnr), on coupe 35 % du salaire du fonctionnaire alors que dans le privé, la cotisation n’est que de 14 % sur une partie du salaire.
Il ne faut pas oublier qu’on a payé, cette année, plus de 81 milliards de francs Cfa en pension de retraite. Demander une augmentation de 50 % revient à demander à l’Ipres de payer plus de 120 milliards par an.
En avez-vous les moyens ?
On n’en a pas les moyens sauf si c’est pour payer sur deux ans et s’arrêter. Il ne faudrait pas que les gens perdent de vue que nous avons le devoir de gérer ceux qui sont à la retraite actuellement, au nombre de 80 000, mais aussi et surtout les travailleurs en activité qui cotisent actuellement et qui font payer les retraites. Ils sont plus de 300 mille. Si on n’a pas en perspective le paiement de pensions de ces travailleurs, on est dans l’erreur. Qu’allons-nous faire de ceux-ci quand ils arriveront à la retraite. Le problème de l’Ipres dont on parle tant, ce n’est rien d’autre que des prévisions que nous faisons pour pouvoir payer demain les travailleurs au fur et à mesure qu’ils partent à la retraite.
Aujourd’hui, les 10 % d’augmentation que nous avons faits, c’est 8 milliards de francs. Il faut que les gens sachent raison garder. L’Ipres est une institution qui est là et notre rôle en tant que direction générale est de veiller à l’équilibre du régime. Quelle que soit la période, nous sommes en devoir de payer les retraités, les travailleurs qui arrivent en fin de carrière. Voilà pourquoi, aujourd’hui, ce n’est pas acceptable qu’on aille nous amener au-delà de 10 %. D’ailleurs, l’étude que nous avons faite, nous a indiqué qu’on ne devrait même pas augmenter les pensions de retraite ou bien à la limite être aux environs de 5 %. Mais, c’est le Conseil d’administration qui a pris une mesure sociale.
Quels sont les avantages de la mensualisation ?
Aujourd’hui, les avantages de la mensualisation des pensions, il faut les rechercher dans le désir des retraités d’être payés tous les mois. Nous, notre rôle c’est de satisfaire tout le monde. Et, nous l’avons fait. Nous avons satisfait ceux qui veulent être payée tous les mois et ceux qui veulent être payés par bimestre. Mais, l’autre avantage qui n’est pas dit, c’est que nous avons tiré l’expérience du passage du trimestre au bimestre. Avec le passage du trimestre au bimestre, nous nous sommes rendu compte qu’aujourd’hui, le retraité de l’Ipres qui percevait sa pension trimestrielle perçoit plus, tous les deux mois. Parce que, effectivement, on se rend compte quand même de la faiblesse et de la petitesse des pensions. Cela peut amener l’Etat et le Conseil d’administration à prendre des mesures sociales au fur et à mesure et arriver à un moment donné à payer la meilleure pension aux côtés des autres mesures qui sont prises par le gouvernement.
Pour ce qui est de l’Ipres, il n’y a que des avantages. Nos prêts de gestion des échéances étaient à 800 millions. Si l’on multiplie cela par deux, nous serons à 1 milliard 600 millions. Donc, l’Ipres devra faire un effort supplémentaire de 800 millions de francs par an pour faire face à la mensualisation. Aujourd’hui, ces moyens seront dédiés au service du recouvrement. Rien qu’à Dakar, on contractualise avec une dizaine de caissiers pour faire le paiement à domicile pendant quinze jours. Ces gens attendaient deux mois pour revenir. Aujourd’hui, on sera obligé de recruter du personnel pour faire face à la mensualisation.
Globalement, il faut que les Sénégalais comprennent que nous sommes un régime généreux. Celui qui cotise, qui a une carrière de 35 ans ou 40 ans, qui cotise avec le plafond tous les ans, qui part à la retraite, le délai de récupération de tout ce qu’il a cotisé durant sa carrière est de quatre ans. Il suffit qu’on vous paye votre pension pendant sept ans, pour récupérer tout ce que vous avez cotisé. Et, lorsque vous percevez votre pension pendant 30 ans, à votre décès votre épouse prend le relais. Et, peut-être aussi payée pendant 30 ans. Donc, vous pouvez être en relation avec l’Ipres pendant 60 ans. Ce qui veut dire qu’il y a une générosité du régime de retraite. Et, même les rédemptions que nous faisons pour les veuves aussi entrent dans le cadre de la solidarité.
Il ne faut pas perdre de vue qu’on est dans le cadre de la protection sociale qui a deux volets, un volet assurantiel qui est l’apanage de l’Etat et un volet assurantiel qui est géré par l’Ipres.
On entend des voix s’élever de plus en plus pour réclamer la défiscalisation des pensions de retraite. Quel avantage cela apporterait au fisc sénégalais ?
La défiscalisation, c’est à deux niveaux. En fait, ce que l’Ipres demande, c’est un régime fiscal dérogatoire comme c’est le cas dans les autres pays de la conférence interafricaine de prévention sociale. Aujourd’hui, notre pays est membre de cette conférence constituée de 16 pays. Dans tous ces pays, les institutions de prévention sociale ont un régime fiscal dérogatoire, c’est-à-dire les placements ne sont pas fiscalisés, les activités non plus. Cela tient du fait de la vocation sociale de ces institutions. Aujourd’hui, en défiscalisant nos dépôts, tout ce que nous avons comme activité, cela nous donne davantage de ressources pour nous permettre d’opérer d’autres augmentations. Sur un autre volet, c’est la défiscalisation des pensions de retraite. Aujourd’hui, au Sénégal, les pensions de retraite au niveau des fonctionnaires sont défiscalisées mais au niveau de l’Ipres, les pensions ne sont pas défiscalisées. Mais, la bonne nouvelle, c’est que le président de la république a donné des instructions aux services compétents pour que l’Ipres puisse bénéficier d’un régime fiscal dérogatoire. Mais, également que les retraités puissent bénéficier d’une défiscalisation de leurs pensions. Il ne s’agit pas pour l’Etat d’abandonner des ressources fiscales mais il s’agit pour l’Etat de redistribuer les ressources fiscales aux personnes du troisième âge et plus particulièrement aux retraités.
Est-ce que, aujourd’hui, les entreprises cotisent suffisamment à l’Ipres ?
Vous savez, il est fait obligation à travers le décret 75-455 pour tout employeur de venir déclarer ses travailleurs au niveau de l’Ipres. Donc, nous avons un régime déclaratif. Ce n’est pas l’Ipres qui doit aller voir qu’elles sont les entreprises qui sont créées pour les enregistrer. Mais, il y a une forte édiction qui est estimé à 59 % aussi bien au niveau de l’Ipres qu’au niveau de la Caisse de sécurité sociale. Avec le temps, nous sommes en train de résorber le gap. Parce que ce n’était de notre ressort de mettre en place un service du contrôle. Mais, le service a été mis en place et depuis l’année dernière, on a renforcé les moyens de contrôle de ces services par l’acquisition de 40 véhicules pour permettre à ces agents de se mouvoir à travers Dakar et les régions pour faire prospection et détecter les entreprises qui ne sont pas immatriculés. Rien qu’à Dakar, sur l’année 2016, nous avons détecté 450 petites et grandes entreprises qui n’étaient pas immatriculées à Dakar. Cela est un problème. On les amène à s’immatriculer à l’Ipres. Mais parfois, si elles ne le font pas, la loi nous permet de les immatriculer d’office et de rentrer dans nos fonds. On est en train de le faire. L’autre chose, c’est une sous déclaration. Il est fait obligation non seulement de déclarer tous les ans, mais également déclarer les travailleurs et leur niveau d’énumération. S’il y a mouvement des travailleurs, dans une année, il est fait obligation de faire une déclaration au niveau de l’Ipres. Nos services de contrôle se rendent compte qu’il y a beaucoup d’entreprises qui sous déclarent. C’est-à-dire du point de vue du nombre ou du salaire pour cotiser moins. Mais, à chaque fois que nous les détectons, non seulement on leur fait des redressements mais également des majorations et des pénalités qui leurs sont appliquées.
Beaucoup de Sénégalais ont à l’œil les réserves de l’Ipres. A quel niveau se situent les réserves ?
L’argent qu’on met de côté, c’est pour pouvoir faire face aux engagements. Aujourd’hui, nous sommes pratiquement équilibrés. Tous les ans, les cotisations nous permettent tant bien que mal de faire face aux engagements de l’année, mais pour le futur, nous sommes à la limite de nos réserves qui nous permettraient de faire face aux retraités au fur et à mesure. Il nous est fait obligation quand même d’avoir deux années de paiements de pensions. Mais ces fonds sont surtout réservés aux futurs retraités. Nous avons plus de travailleurs que de retraités. Notre responsabilité, c’est de satisfaire les retraités mais également de faire face aux engagements futurs.
Walf Quotidien