Réagissant à la recrudescence des meurtres au Sénégal, le président Macky Sall, à défaut de souhaiter le retour de la peine de mort, a promis de corser la sécurité. En attendant la matérialisation de cette autre promesse présidentielle, les habitants s’organisent. Dans de nombreux quartiers de Dakar, des groupes se substituent à la force publique pour prendre en charge la sécurité des lieux et décider du sort des contrevenants. C’est la justice populaire.
«Nous allons corser la sécurité de jour comme de nuit. J’en ai déjà donné les instructions et nous le ferons partout à travers le pays. Depuis qu’on est ici, nous augmentons le niveau de sécurisation des populations. Nous avons recruté 10 000 policiers et gendarmes en quatre ans. Nous avons aussi construit des commissariats. Mais nous allons augmenter tout ça. Nous allons augmenter les patrouilles de jour comme de nuit». Après avoir entendu le président de la République faire une telle déclaration, beaucoup se sont demandés : mais de quel pays est-ce qu’il parle ? Macky Sall, qui était est retourné au domicile de Madame Fatoumata Makhtar Ndiaye pour présenter à la famille de cette dernière les condoléances de la Nation, a-t-il été d’une émotivité débordante au point de s’emmêler les pinceaux. Car, les patrouilles qu’il compte augmenter n’existent qu’en Casamance. A Dakar, les forces de l’ordre ont abandonné les patrouilles depuis fort longtemps. Dans l’édition d’hier du quotidien Wal Fadjri, le commissaire Boubacar Sadio renseignait, parlant des difficultés de la police : «Il y a d’abord un déficit structurel des effectifs. La police n’a pas les moyens humains pour remplir correctement les missions à elles confiées par l’autorité ». L’ancien Directeur général adjoint de la Police nationale précisait pour s’en offusquer : «Aujourd’hui, vous allez dans les commissariats de police les gens n’ont plus de capacité d’intervention. On te dit que le véhicule est là mais il n y a pas de carburant ou bien la voiture est en panne. Ou on te dit, on ne peut pas venir parce que nous ne sommes que deux alors qu’il doit y avoir en permanence au minimum sept». Les policiers qui peinent à intervenir quand ils sont appelés au secours ne font plus que des rafles qui sont très différentes des patrouilles qui rassurent les citoyens et dissuadent les malfrats. De même pour les 10 000 policiers et gendarmes que le président Sall indique avoir recruté en quatre ans. En l’entendant, on serait tenté de se demander s’il n’avait pas confondu les policiers et gendarmes avec les Asp. «Vous imaginez qu’en 1987, on était six mille policiers, aujourd’hui, près de trente ans après, on ne fait pas six mille ; malgré l’accroissement de la population. Il y a un déficit structurel des effectifs et ça c’est un facteur objectif qui est là», indiquait le commissaire Boubacar Sadio.
En matière de sécurité, l’Etat du Sénégal a abandonné le terrain depuis longtemps. Les populations, ne se contentant pas des promesses de Macky Sall, ont pris leur destin en main. Dans de nombreux quartiers de la banlieue dakaroise, elles n’hésitent pas à s’organiser pour assurer la sécurité et se défendre. Ainsi, face à la recrudescence des profanations de tombes au cimetière de Pikine, des jeunes ont pris sur eux la responsabilité de faire des rondes aux alentours dudit lieu. A keur Mbaye Fall, les populations, dépitées par les agresseurs qui écumaient la bourgade tout en distribuant impunément de la drogue, ont initié une expédition punitive qui va s’avérer fatale. Un affrontement d’une rare violence au cours duquel plusieurs blessés graves et un mort vont être enregistrés. Un certain Pape Dieng, compté parmi les malfrats y laisse la vie. Un de ses acolytes, laissé pour mort, Boy Peulh, fera également les frais de la furie des riverains. «Personne ne peut dire que c’est tel ou tel qui a tué. Les jeunes se sont mobilisés pour mettre fin à la tyrannie des agresseurs qui terrorisaient les gens », observait Mamadou Malick Wilane, le délégué du quartier. «Ici, il n’y a pas de. Les gens souffrent. Nos femmes qui s’activent dans la vente de poisson n’osent plus sortir le matin, de peur d’être agressées en cours de route. Les gens ont peur de se rendre à la mosquée à cause des agresseurs. Et dans tout ça, l’Etat laisse faire alors que c’est lui qui a la responsabilité de protéger les citoyens», renchérissait l’Imam Cheikh Diop. Des réactions qui ne légalisent pas mais légitiment les actions violentes menées par les jeunes pour assurer leur protection. Une justice populaire qui risque de faire des émules au vu de l’insécurité qui prévaut dans la capitale.
Mame Birame WATHIE