Sortir de la zone Franc contrôlée par la France. C’est l’appel lancé, samedi dernier, à l’occasion de la présentation de leur ouvrage : «Sortir l’Afrique de la servitude monétaire. A qui profite le franc Cfa ?». Et ce dans le cadre des Samedi de l’économie, initiés par l’Arcade et la Fondation Rosa Luxembourg.
Les francs Cfa que l’on griffonne, exhibe, adore et bataille pour les avoir au quotidien nous sortiront-ils de la pauvreté ou nous maintiendront-ils dans la servitude ? En tout cas, des économistes sénégalais, notamment Ndongo Samba Sylla, Demba Moussa Dembélé et Martial Ze Belinga sont pour la fin du franc Cfa. A les en croire, c’est un outil de domination et de mainmise de la France sur l’économie des pays de la zone franc. Ils l’ont soutenu, ce samedi, à l’occasion de la présentation de leur ouvrage collectif intitulé «Sortir l’Afrique de la servitude monétaire. A qui profite le franc Cfa ?». L’économiste Ndongo Samba Sylla souligne que la majorité des pays de la zone Franc sont classés dans la catégorie des Pays les moins avancés (Pma) alors qu’ils utilisent le Franc Cfa depuis des décennies. Il martèle qu’il y a eu d’importantes pertes de flux financiers, défavorables aux pays africains. M. Sylla les évalue à plus de 103 mille milliards franc Cfa sur le période de 1980 à 2014. Il voit même à travers le franc Cfa un outil de répression politique car 40 % des coups d’Etat sont opérés dans la zone Franc Cfa, selon Ndongo S. Sylla.
Dans la mouvance des émergences, créée dans des pays de la zone franc Cfa, M. Sylla voit les projets d’émergence quasi impossibles dans le contexte du Franc Cfa. A l’en croire, il faut émerger du franc Cfa et pas avec.
Pour le président de l’Africaine de recherche et de coopération pour l’appui au développement endogène (Arcade), Demba Moussa Dembélé, c’est de la fiction de faire croire aux pays de la zone franc que la monnaie leur appartient au lieu de la voir comme un instrument de domination. Après 50 ans d’expérience, aucun bienfait ne s’est réalisé, souligne-t-il au point de considérer que les pays ne détiennent pas leurs politiques monétaires. M. Dembélé voit la problématique de la souveraineté économique derrière la question monétaire. A l’en croire, la souveraineté monétaire est essentielle à tout pays qui aspire au développement. Ainsi donne-t-il en exemple des pays asiatiques qui ont pu émerger dès qu’ils se sont libérés d’une monnaie étrangère et acquis leur souveraineté monétaire. M. Dembélé préconise le recours au projet de monnaie unique africaine fixé à l’horizon 2020. Un projet qui, dit-il, doit être soutenu et accompagné même s’il y a des risques d’erreurs.
Pas d’émergence avec le Franc Cfa
Marcel Ze Belinga, économiste, sociologue, historien, souligne que l’émergence se fait avec sa propre monnaie. Pas avec une monnaie étrangère. Sa propre monnaie permet, dit-il de cumuler des réserves et de financer les projets. Il voit derrière le Franc Cfa un arsenal d’institutions et de sociétés qui sauvegardent des intérêts. M. Belinda enseigne que le Franc Cfa est présent depuis plus de deux cents ans sur le continent avec la mise en place de la banque du Sénégal dans les années 1850 pour payer les négriers. A l’en croire, la monnaie est introduite au détriment de systèmes monétaires endogènes et locales pour contrôler l’économie des pays colonisés. Il voit derrière la monnaie une forme d’emprise économique et culturelle au détriment des monnaies endogènes déchues. Aujourd’hui, les pays de la zone ne peuvent procéder à aucune modification sans le consentement des créateurs du Franc Cfa, notamment de la France, confie-t-il. L’économiste rejette tous les arguments avancés en faveur du Franc Cfa arrimé à l’euro. La thèse de la stabilité alors que l’euro n’est pas stable, de la garantie offerte par les réserves des pays africains de la zone franc, de l’inflation faible alors qu’elle doit être forte pour les pays en développement, est battue en brèche. Pour lui, la zone Franc n’est qu’un espace de prédation.
En marge de la rencontre, M. Belinda martèle que le Franc Cfa ne profite pas aux sociétés et économies africaines. Le système a été créé pour permettre à la France d’avoir accès aux matières premières, aux marchés et de disposer d’une position géopolitique. Le Franc Cfa fonctionne avec des règles que les Africains n’ont pas choisies, avec un empilement de contraintes européennes, notamment françaises au détriment des institutions africaines, souligne-t-il. Ce qui lui fait dire que le Franc Cfa est antidémocratique, problématique pour l’épanouissement des sociétés africaines.
Rappelant l’invite de François Hollande, en visite à Dakar en octobre 2012, au pays d’utiliser leurs réserves pour la croissance et l’emploi, M. Belinda soutient que les cumuls profitent à un groupe d’intérêts stratégiques français mais également africains. A l’en croire, c’est un système qui permet aux élites de détériorer les revenus africains pour les mettre dans des banques occidentales dans le cadre des biens mal acquis. Dans son analyse, il poursuit que le Franc Cfa est fait pour des pays importateurs de biens industriels et exportateurs de matières premières. A l’en croire, il n’y aura jamais de transformation tant que les pays seront importateurs de produits manufacturés et exportateurs de matières brutes.
Comme solution, il souligne que les pays qui n’ont pas le même cycle économique que l’Europe ne sont pas obligés d’avoir un ancrage à l’euro. Il propose de soutenir l’objectif de monnaie unique en passant d’abord par une monnaie commune, c’est-à-dire interchangeable entre les pays puis unique.
Walf Quotidien