CHRONIQUE POLITIQUE
Qui arrêtera le président Macky Sall ? La vitesse à laquelle il use de son sabre pour radier par-ci, limoger par-là, après avoir vidé la prison de ses détenus politiques à lui – tous des proches de l’homme qui l’a fait, Abdoulaye Wade – dont il les avait remplis durant les trois premières années de son mandat, est un indice de sa propension à se prendre pour un autocrate et à agir en tant que tel. L’homme est si absolutiste qu’il ne tolère pas d’être contrarié. Demandez aux enseignants du moyen secondaire, dont cinq mille d’entre eux ont failli être radiés, l’année dernière, des cadres de la fonction publique pour avoir osé lui tenir tête en fin d’année scolaire, lorsqu’il leur avait intimé l’ordre, à travers des réquisitions endossées par son ministre de l’Education nationale, de rendre leurs notes à leurs élèves.
Macky Sall aurait, sans nul doute, sabré les têtes de ces enseignants, comme il l’a fait lundi dernier avec l’inspecteur des impôts et domaines Ousmane Sonko, n’eussent été les implications personnelles des khalifes généraux des tidianes et des mourides à travers leurs porte-paroles, Serigne Abdoul Aziz al Amine et Serigne Bassirou Abdou Khadre Mbacké. Parce que l’homme n’est pas obsédé, comme Abdou Diouf ou Abdoulaye Wade, par le drame qu’avaient vécu les 6 265 policiers radiés en 1987 par le pouvoir Ps. Il n’en a cure des conséquences de telles radiations à la pelle. Il n’est obnubilé que par ce pouvoir quasi absolu qui lui confèrerait un droit de vie et de mort sur tous les citoyens. Samuel Amet Sarr du Parti démocratique sénégalais (Pds) peut vous en conter un bon bout. Pour s’être interrogé sur sa page facebook à propos de la fortune de son ancien frère de parti, ce dernier l’enverra en prison pour offense au chef de l’Etat, diffusion de fausses nouvelles et manœuvres susceptibles de saper les lois du pays. Sans l’intervention de Serigne Cheikh Saliou Mbacké, khalife de Serigne Saliou, il n’aurait pas recouvré la liberté de sitôt
Les Massaly et autres jeunes du Pds envoyés sans ménagement en prison pour avoir posé des actes ou tenu des propos déplaisant au prince, ont pu expérimenter combien le procureur de la République est prompt à requérir le mandat de dépôt pour les opposants virulents au régime. Parce que, sous le règne de Macky Sall, les critiques acerbes dirigées contre le pouvoir absolu du chef de l’Apr sont considérées comme des crimes de lèse-majesté. Son ancien Premier ministre, Abdoul Mbaye, le vérifie encore aujourd’hui à ses dépens, pour avoir eu la mauvaise idée de s’être érigé en vigie de la transparence dans la gestion des richesses pétrolières et gazières du Sénégal, une fois passé dans le camp de l’opposition. Pour restreindre sa liberté d’aller et de venir et le confiner ainsi dans une prison à ciel ouvert, pour paraphraser Me Ousmane Ngom, il sera placé sous contrôle judiciaire en prenant prétexte d’une affaire purement privée (son divorce avec sa première femme) qui sera montée en épingle. Et comme pour lui faire sentir leur détermination à le réduire au silence, les «fous du roi» ont agité sous ses yeux le drapeau rouge de sa double nationalité en tant qu’arme permettant d’invalider sa candidature à la présidentielle de 2019.
Si Abdoul Mbaye a le don de faire disjoncter Macky Sall chaque fois qu’il s’attaque à sa gestion si opaque des richesses pétrolières et gazières du pays, Nafi Ngom Keïta, par contre, a eu la malencontreuse idée de rendre public un rapport très critique de l’Office national de la lutte contre la fraude et le corruption (Ofnac) mettant nommément en cause des proches du locataire du palais de la République. Un décret la limogera sans ménagement de la présidence de cette institution et il est très peu probable qu’elle obtienne gain de cause auprès de la Cour suprême où elle a déposé un recours pour excès de pouvoir. Parce qu’en autocrate qui se respecte, Macky Sall, après avoir mis dans sa poche la plupart des patrons de presse, est parvenu à domestiquer aussi bien la plus haute juridiction du pays que le juge des élections, ce que son prédécesseur Abdoulaye Wade n’avait pu réussir. La décision très controversée de la Cour suprême dans l’affaire Aïda Ndiongue en est la preuve la plus récente. Les hauts magistrats ayant connu de cette affaire ont violé la loi, en outrepassant royalement leurs compétences, pour entrer en voie de condamnation contre l’ancienne sénatrice libérale et décider de la saisie de tous ses biens.
Avant la Cour suprême, le Conseil constitutionnel où siègent trois proches de Macky Sall (à savoir Malick Diop, Mamadou Sy et Mandiogou Ndiaye qui avait été nommé conseiller du chef de l’Etat à son départ de la présidence de la Crei) sur les cinq qui le composent encore, avait auparavant rendu trois décisions aussi contestables les unes que les autres. Par une gymnastique intellectuelle dont seuls les juristes ont le secret, ils ont déclaré constitutionnelle la création de la Crei que contestaient les avocats de Karim Wade avec l’onction de la chambre criminelle de la Cour suprême, recouvert du sceau de la légalité les chambres africaines extraordinaires créées uniquement pour juger un homme, Hissène Habré, et disparaître, l’essentiel étant de permettre à Macky Sall de respecter un engagement pris devant ses pairs africains et les partenaires occidentaux et fait passer comme lettre à la poste le «wax waxeet» du chef de l’Etat à propos du mandat présidentiel dont la réduction à cinq ans a été renvoyée jusqu’après 2019. Parce que la majorité des voix lui est acquise au Conseil constitutionnel, ce n’est pas de sitôt que le juge des élections ira à l’encontre des intérêts du palais de la République. Ainsi va la vie sous le règne de Macky Sall.
Par Abdourahmane CAMARA*
* Directeur de publication de Wal Fadjri Quotidien
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