CHRONIQUE POLITIQUE
De qui émane l’ordre de faire condamner à un an de prison ferme Aïda Diongue par la Cour suprême, en la dépouillant de tous ses biens ? Du président de la République, Macky Sall, lui-même ou du seul Garde des Sceaux, ministre de la Justice ? En tout cas, la précipitation avec laquelle Sidiki Kaba a régi à la condamnation de l’ancienne sénatrice libérale, en listant à travers un communiqué de son cabinet tout ce que les 20 milliards confisqués permettront de réaliser, n’est guère fortuite. Elle est révélatrice de l’implication personnelle, dans le plus grand déni de justice – au sens politique du terme – jamais commis jusqu’ici au Sénégal, de l’ancien président de la Fédération internationale des droits de l’homme (Fidh) qui, devenu ministre de la République, couvre toutes les violations de la loi par le régime, s’il n’en est pas à l’origine.
N’en déplaise à Me Bassirou Ngom, militant de l’Alliance pour la République (Apr) et un des rares techniciens du droit à s’être évertués à justifier l’injustifiable, la plus haute juridiction du pays dont les décisions sont insusceptibles de recours, a violé la loi, selon tous les théoriciens et praticiens du droit pénal interpelés par nos soins. Elle a transgressé la loi en infligeant notamment à Aïda Diongue une peine ferme d’un an de prison là où la Cour d’appel de Dakar l’avait condamnée à un an de prison avec sursis et en prononçant la confiscation de tous ses biens alors que la juridiction d’appel avait estimé qu’il n’y avait pas lieu de le faire. Le parquet ayant introduit un pourvoi en cassation contre cette décision de la Cour d’appel, le rôle de la Cour suprême devait se limiter à vérifier si la règle de droit avait été dite dans cette affaire par cette juridiction d’appel. Dans le cas contraire, la loi en matière pénale ne lui offrait qu’une seule possibilité : casser la décision de la Cour d’appel et renvoyer les deux parties devant une juridiction d’appel autrement constituée pour un réexamen de l’affaire.
Au lieu de cela, la Cour suprême a préféré sortir de son territoire de compétence qui a été, encore une fois, bien délimité par la loi en matière pénale. Et elle n’a pas dit le droit. Pis, elle a violé la loi en entrant en voie de condamnation contre Aïda Diongue. Plutôt que de se prononcer sur la forme de l’affaire attraite devant elle, comme l’y oblige cette loi, elle a pris position sur le fond et en faveur de l’une des parties, à savoir le parquet général qui reçoit ses instructions écrites comme orales du ministère de la Justice. Ce qui nous ramène encore au Garde des Sceaux Sidiki Kaba.
Le président Macky Sall a-t-il donné son onction à l’opération consistant à dépouiller de tous ses biens celle qu’il présentait tout récemment comme étant une sœur pour lui ? Si tel était le cas, cela signifierait que le temps de la décrispation des relations avec le Parti démocratique sénégalais (Pds) qui avait débouché sur le dialogue national et la libération de Karim Wade à la faveur d’une grâce présidentielle, est révolu. Seulement voilà : la direction du Pds est toujours dans les dispositions pour apaiser ses relations avec le pouvoir. C’est ce qui explique sa décision de participer à l’élection des membres du Haut conseil des collectivités territoriales (Hcct). Une institution à la création de laquelle le Pds s’était opposé, en appelant à voter massivement Non au référendum du 20 mars dernier. En fait, tout porte à croire qu’au ministère de la Justice, on a encore fait dans l’excès de zèle en amenant de hauts magistrats à sortir de leur domaine de compétence pour sévir durement contre Aïda Diongue. L’essentiel était de lui faire rendre gorge, que la loi ait été bafouée importait peu.
Dans ces conditions, à quoi doit bien pouvoir s’attendre Nafi Ngom Keïta de la Cour suprême à propos de son recours pour excès de pouvoir contre l’Etat, à la suite de sa défenestration de la présidence de l’Office national de la lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac) ? Pas grand chose, peut-elle se dire, elle qui avait beaucoup hésité à ester en justice contre l’Etat puisque doutant, alors, de l’impartialité de la Cour suprême dont elle a eu des bisbilles avec le premier président après le refus par ce dernier de faire sa déclaration de patrimoine.
Par Abdourahmane CAMARA*
* Directeur de publication de Wal Fadjri Quotidien
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