Le piment fait partie de cette famille de produits qui sont de vrais magiciens. Des illusionnistes qui mystifient d’un coup de leur baguette magique nos sens et nous conduisent à prendre des vessies pour des lanternes. Car on dit que le piment nous brûle la langue et la bouche. Pourtant, nulle cloque, boursouflure ou plaie ne se forme à la suite de l’explosion de chaleur due au contact avec le piment, mais la sensation d’une brûlure plus ou moins intense, qui nous semble bien réelle. Et rien ne sert d’appeler les pompiers avec leurs lances à eau, boire n’y changera rien.
Le piment commun compte 25 espèces dont 5 ont été domestiquées et diversifiées en de nombreuses variétés (près de 140) par les peuples amérindiens. Né apparemment en Amérique latine, peut-être en Bolivie, il était cultivé dès 7 000 ans av. J.-C. C’est Christophe Colomb qui le ramena en Europe dès son premier voyage en 1493. C’est d’ailleurs pour cela qu’on le nomme «poivron» car Christophe Colomb, qui se croyait aux Indes, prit ces petites baies piquantes pour des grains de poivre rouge. Le piment est un fruit charnu et creux. Lorsqu’il est petit, de forme pointue et que sa saveur est plus ou moins brûlante, on l’appelle piment. Lorsque le fruit est gros et que sa saveur est plus douce, on l’appelle poivron.
C’est aujourd’hui l’épice la plus consommée au monde. Et cela grâce à sa composition très particulière qui lui donne ses qualités gustatives et ses vertus médicinales. C’est tout d’abord, après le persil, le légume qui contient le plus de vitamine C. Et le responsable du piquant du piment est une molécule nommée capsaïcine. Elle est tellement puissante qu’elle reste décelable même si on dilue un gramme de cette substance dans 10 mètres cubes d’eau. C’est d’ailleurs comme cela que l’on mesure la force d’un piment depuis 1912. Cette année-là, un pharmacien nommé Wilbur Scoville a créé une échelle basée sur des tests de dégustation. On dilue du piment broyé dans des quantités d’eau croissantes et on demande à des testeurs volontaires de goûter la mixture. Tant qu’au moins 60 % des testeurs détectent le piment, on continue les dilutions. L’échelle va de 0, neutre, à 10, explosif en passant par 3, relevé ou 6, ardent. Les deux piments les plus forts sont le tabasco, classé 9, volcanique, et le habanero, classé 10.
Alors, comment le piment réussit-il son tour de passe-passe de nous faire croire qu’il brûle ? Il faut d’abord savoir comment fonctionne ce que l’on appelle le goût et qui est en fait un mélange du goût stricto sensu, de l’odorat, du toucher, de la vue et parfois de l’ouïe. Tout cela fusionne dans la bouche pour donner le goût sous la baguette du chef d’orchestre qu’est la langue.
La cavité buccale contient des milliers de papilles gustatives. Chaque papille contient de nombreuses structures appelées bourgeons. Et chacun d’eux contient quelques dizaines de cellules sensorielles reliées au cerveau. Ces cellules ont à leur surface des récepteurs qui sont un peu comme des serrures. Il y a plusieurs types de serrures, par exemple celles qui ouvrent le goût sucré, le salé, l’amer. Mais aussi celles qui reçoivent les clés du froid ou du chaud.
Quand on introduit un aliment ou une boisson dans la cavité buccale, c’est comme si, au niveau moléculaire, on déversait des tas de clés. Celles-ci vont aller dans leur serrure correspondante. Et la cellule sensorielle va envoyer au cerveau le message selon lequel des serrures ont trouvé leur clé. En fonction du nombre de ces rencontres, la sensation sera plus ou moins forte.
Il a été démontré par des chercheurs que la molécule du piment responsable de l’effet de brûlure, la fameuse capsaïcine, est la clé qui ouvre la serrure responsable de la surveillance thermique du chaud. La capsaïcine parvient donc à crocheter cette serrure, qui envoie alors tout de suite au cerveau un message du type «alerte, ça chauffe». En passant, c’est le même mécanisme avec le menthol, mais avec les serrures du froid.
Toutefois, ces récepteurs thermiques, contrairement à ceux du goût, ne se trouvent pas que dans la bouche. Il y en a partout sur le corps. C’est pourquoi il faut faire attention en manipulant des piments forts de ne pas se frotter les lèvres ou les yeux et de se savonner les mains après. Certains sont si forts qu’ils peuvent d’ailleurs irriter les peaux sensibles. Dernier conseil, la capsaïcine n’étant pas soluble dans l’eau, mieux vaut boire un peu de lait, de yaourt ou d’huile pour atténuer la sensation de brûlure.
Avec Figaro