CHRONIQUE POLITIQUE
Cela fait quatre ans que le Parti démocratique sénégalais en cherche un dans ses rangs. Quand il a cru en avoir trouvé en la personne de Souleymane Ndéné Ndiaye, qui s’est façonné une stature d’homme d’Etat après son passage à la Primature, quand bien même il lui manquait ce charisme faisant cruellement défaut aux héritiers de Me Abdoulaye Wade, celui-ci avait préféré bouder et claquer la porte du Pds, au motif qu’il ne se rangerait jamais derrière le «gosse» (ainsi qu’il appelait le fils du Pape du Sopi). Dès lors, la voie semblait balisée pour Modou Diagne Fada qui aura fait toutes ses classes au Pds dont il a gravi tous les échelons. Mais cet homme du sérail aura vu trop grand trop tôt. Le secrétaire général du Pds l’a même trouvé présomptueux. Pince sans rire, son ambition était de prendre le contrôle de l’appareil du parti et mettre définitivement à la retraite l’unique «actionnaire» du Pds depuis le départ d’Idrissa Seck. Ce qu’Abdoulaye Wade, encore omniprésent dans les instances de décision, a assimilé à un crime de lèse majesté. Certes, du bout des lèvres, il accepte le candidat choisi par le Pape du Sopi pour la présidentielle, mais ce n’est pas à un vieux singe qu’on apprend à grimacer. Wade n’est pas dupe, lui le champion du «wax waxeet» : dès qu’il aura pris le contrôle de l’appareil du Pds, rien n’empêchera Modou Diagne Fada de changer de position.
Le fils de Darou Mouhty contraint à faire ses bagages, le Pds s’apparente, depuis, à une armée de colonels où aucune tête n’émerge pour supplanter les autres. Son numéro deux, Oumar Sarr, manque cruellement de charisme. Et il est, en outre, fâché avec l’éloquence. Eloquent, El Hadj Amadou Sall l’est, mais il est excessif dans son expression et trop passionné pour être pris au sérieux par l’opinion publique. Cette pondération qui lui fait tant défaut, Madické Niang semble être moulé là dedans, sa serviabilité faisant le reste. Certes, il n’existe pas au Sénégal un homme politique aussi bien introduit que lui dans toutes les familles religieuses, mais cela ne suffit pas à asseoir un leadership. Il faut, en plus, du charisme et il n’en a pas. Tout comme Habib Sy qui a eu, en plus, le malheur d’avoir pris ses distances avec le noyau dur du Sopi. Contrairement à ce dernier dont la base politique a été réduite à sa portion congrue entre 2009 et aujourd’hui, Aïda Mbodj, elle, a assis son leadership aussi bien à Bambey que chez les femmes du Pds. Son talent d’Achille est d’être une… dame, dans un environnement particulièrement misogyne. Quant à Samuel Sarr, il est plus un soldat du wadisme qu’autre chose, au même titre qu’un Abdoulaye Faye, un Pape Samba Mboup et autres sopistes de lait.
Alors que les rares vieux compagnons du Pape du Sopi encore en activité, en scrutant l’avenir, s’inquiétaient pour leur parti, Macky Sall vient de leur offrir ce leader charismatique qu’il cherchait. En la personne de Karim Wade. Il l’a créé de toutes pièces dans le «laboratoire» de Rebeuss. Et cela lui a pris trois ans et trois mois. Quand il le faisait jeter en prison le 15 avril 2013, Karim n’était rien. Au plus, n’était-il que le fils de… Il semblait prédestiné à suivre son père dans sa retraite politique. Plutôt que de faire courir les foules, il les faisait se détourner. Puisqu’il représentait encore pour elles l’incarnation du projet de dévolution monarchique du pouvoir naguère prêté à son président de père et dont la mise à exécution avait fait tant de victimes.
Macky Sall va changer du tout au tout le destin du fils d’Abdoulaye Wade. Obnubilé par un besoin incompressible d’assouvir sa rancune tenace envers son ancien père spirituel, il prit des chemins de traverses pour faire payer son fils. Quel meilleur moyen de faire souffrir durablement le vieux président déchu si ce n’est d’envoyer son fils unique en prison pour longtemps ? Et le moyen le plus rapide et le plus sûr pour y parvenir ? Pas en tout cas les juridictions de droit commun qui sont plombées aussi bien par l’existence du double degré de juridiction que par la charge de la preuve qui appartient à l’accusateur et leur profond attachement à la présomption d’innocence. Quoi d’autre alors ? La Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) pardi ! Elle sera, alors, ressuscitée et ses magistrats triés sur le volet. Et Macky Sall de se frotter les mains.
Mais il oubliait que la Crei est une juridiction d’exception avec toute la charge négative qu’elle charrie. Qu’elle est inique à cause de ses deux tares congénitales : l’absence du double degré de juridiction et le renversement de la charge de la preuve. Avec la Crei, on peut tout mettre sur le dos de l’accusé qui est chargé d’apporter la preuve de sa non culpabilité à la place de l’accusateur et aucun de ses actes depuis l’instruction ne peut être contesté devant une autre juridiction. A cause de ce monstre d’iniquité, l’Etat perdra les procès intentés contre lui dans ce dossier aussi bien devant la Cour de justice de la Cedeao que devant le groupe de travail des Nations-Unies. Pis, beaucoup de commissions rogatoires internationales envoyées par la Crei seront revenues infructueuses. Et après trois ans de procédure, personne n’est en mesure d’avancer qu’un seul milliard de francs Cfa a été retrouvé dans les comptes de Karim Wade.
Alors que l’agent judiciaire de l’Etat recherche partout et sans succès ces centaines ou milliers de milliards naguère prêtés à Karim Wade et à ses complices par Amath Dansokho, Jean-Paul Dias ou le responsable du Forum civil, Me Moussa Félix Sow (aussi avocat de l’Etat dans ce dossier), voilà Macky Sall qui libère Karim Wade. Il l’a grâcié sans qu’il n’en fasse la demande. Pis ou mieux, c’est selon, il lui a rendu les honneurs. En effet, jamais un homme politique, soupçonné de malversations portant sur près d’une centaine de milliards de francs et condamné pour cela, n’avait bénéficié de tant d’égard que le fils d’Abdoulaye Wade. C’est le directeur de l’administration pénitentiaire et le régisseur qui le mettent dans un véhicule banalisé, pour le conduire, à 1 h 30 du matin, chez un de ses avocats, Me Madické Niang, où il a pu tailler bavette tranquillement avec le fils aîné du khalife général des mourides, avant de le transporter jusqu’à l’aéroport pour le mettre dans un jet privé affrêté spécialement par l’émir du Qatar. C’est beaucoup trop d’honneur pour un condamné pour enrichissement illicite.
En se décidant à grâcier dans la précipitation Karim Wade, Macky Sall a fait d’une pierre deux coups : il a exécuté sa part du deal éventé par Idrissa Seck et il rend un éminent service à Abdoulaye Wade en faisant de son fils un homme auréolé d’un charisme qu’il n’aurait jamais eu sans son passage en prison. S’il y a un homme qui soupçonnait, depuis plus de trois ans, l’existence entre Abdoulaye Wade et Macky Sall d’un deal antérieur à celui portant sur la libération de Wade-fils, c’est bien Sidy Lamine Niasse et l’histoire semble lui donner raison. En tout cas, en expulsant manu militari du pays Karim Wade, interdit de se rendre à son domicile familial au Point E, à plus forte raison à Touba pour renouveler son allégeance au khalife général des mourides et le remercier pour tout, les autorités donnent également l’impression que le fils d’Abdoulaye Wade fait désormais peur. Ce qui en rajoute à son charisme. Mais celui-ci ne lui sera pas de grande utilité pour galvaniser les foules s’il continue de ne parler aucune langue vernaculaire du pays.
Par Abdourahmane CAMARA*
* Directeur de publication de Walf Quotidien
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