Chapitre 3 : Coup de Foudre
«Être heureux, c’est apprendre à choisir. Bien vivre, c’est apprendre à ne pas répondre à toutes les sollicitations, à hiérarchiser ses priorités».
Aicha, la découverte
Un an plus tard
Aujourd’hui, mon père connaît ses priorités : Nous, ses enfants. Avant, je n’avais qu’une paire de chaussures, je partageais mes quelques habits avec mes cousines et nous ne mangions que rarement à satiété. Nous étions toujours plus de quinze enfants autour d’un bol et c’était la loi du plus rapide. Nous ne mâchions presque jamais la nourriture. Ô quels souvenirs ! Maintenant, tout ça est assez loin. La vie a bien changé et la maigrichonne de Aicha a laissé place à une fille bien potelée.
Cela fait presqu’un an quand nous avons quitté la grande maison familiale. Un an que nous vivons en harmonie, heureux dans notre maison, à nous. Elle n’est certes pas très grande; mais elle nous convient admirablement. Il y a en tout trois chambres, un salon, une douche et une petite cour. Ma plus grande joie, c’est d’avoir ma chambre, à moi toute seule. Plus les : “éteins la lampe!”; “Je veux dormir!” ou encore « qui a volé mon argent ? »; « Pourquoi tu portes ma robe ? »… Pire, je ne trouvais jamais suffisamment de tranquillité pour faire mes exercices ou m’adonner à une des mes pansions favorites : la lecture. Le changement s’est fait ressentir jusque sur mes notes qui se sont largement bonifiées. Et comme si le bonheur ne suffisait pas, mes parents étaient plus souvent à la maison. Ils revenaient tôt de leurs boulots puisque n’ayant plus à fuir les disputes incessantes, les moqueries et autres quolibets. On en profitait ainsi pour nous retrouver dans la cour, pour discuter de tout et de rien, dans plus grande jovialité etc… Cette atmosphère aidant, j’appris à mieux les connaître et à plus les aimer.
Une fois par mois, mon père nous amène à notre ancienne demeure, la grande maison familiale, où nous restons toute la journée. A travers ce geste, il démontre qu’il ne veut pas couper les ponts. Au début, l’atmosphère était électrique mais, au fur et à mesure, les tensions se sont apaisées. Sauf qu’entre ma mère et ses belles sœurs, la guerre était toujours d’actualité. Ces dernières ont essayé, à plusieurs reprises, d’incruster leurs enfants mais mon père n’a jamais accepté que mes cousines viennent dormir à la maison. C’était encore un scandale mais il savait qu’en les laissant passer un weekend, elles finiront par s’installer définitivement. Or, s’il accepte un enfant de tante Mariétou, il ne pourra pas refuser celui de tante Mbène, ou encore d’oncle Djibi…et avant même de s’en apercevoir, la maison serait déjà pleine.
J’ai terminé mon année secondaire avec brio et comme d’habitude j’ai raflé le prix du meilleur élève de Fatick. L’année prochaine, je pourrai faire les concours nationaux et en réussir deux ou trois. En plus, avec les moyennes que j’ai, je pourrai facilement obtenir une belle bourse et une bonne école à l’étranger. Mon boulot de guide à l’hôtel n’est pas très contraignant alors j’ai le temps de lire les livres que mes professeurs me donnent pour les vacances.
Toc toc
- Tu es prêtes, dit Menoumbé derrière la porte. Je saute de mon lit et enfile rapidement mes ballerines. Quand je sors de la chambre, il me scrute comme à son habitude pour voir si je ne porte pas quelque chose de trop sexy. Mon problème avec lui, c’est qu’il tient un peu trop à cœur son rôle de grand frère.
- Ton body-là est un peu trop court, dit – il, d’un ton sec. Et qui t’a acheté ce jean serré, on dirait un macaque.
C’est vrai que le body avec l’effigie de l’hôtel qu’on m’a donné est un peu serré et assez court. Je me sens à l’étroit dedans, mais je n’ai pas le choix. A moins de vouloir prendre la porte,c’est comme ça.
- Arrêtes de jouer au jaloux avec moi ? Je me demande comment tu vas faire quand je partirai dans un autre pays ?
- On ira ensemble, c’est tout.
- Qui toi ? Il n’est pas interdit de rêver.
Paf, un coup sur la tête et c’était encore parti pour une fausse dispute jusqu’à l’hôtel. Mon frère à deux ans de plus que moi et nous sommes très liés. Contrairement à moi, il n’a jamais trop aimé l’école mais mon père l’a forcé à y rester jusqu’au brevet. Après, cela a été un vrai parcours du combattant pour le faire travailler aux champs. Finalement, mon père lui a trouvé ce job de maître d’hôtel là où il était jardinier. Je lui en veux des fois pour son manque d’ambition. Mais, c’est son choix, je n’y peux rien. Ce qui me chagrine en revanche, c’est de voir mon petit frère suivre ses pas. D’ailleurs, on a dû, cette année, le mettre au Da’ara à Kaolack, chez mon grand-père maternel. Il était devenu incontrôlable. Quant à moi, comme toujours, je suis arrivée à convaincre papa de faire ce job de guide pour les vacances. Ça va me faire un peu d’argent de poche et avec, je pourrai acheter des livres au programme qui sont si coûteux.
Je me suis liée d’amitié avec une fille de chambre, Amina, une vraie fofolle. On ne peut pas la zapper ; tout le monde la connaît. Mais le problème avec elle, c’est qu’elle est un peu frivole, surtout avec les clients. Elle flirte avec tous les hommes qui travaillent dans l’hôtel, du cuisinier en passant par mon frère et aucun d’eux n’est insensible à son charme. Elle n’est certes pas très belle; mais avec ses formes : ouf. Une vraie africaine avec tout ce qu’il faut.
En arrivant à l’hôtel, je vois qu’il y a déjà beaucoup de remue-ménage. Le chef de service vient vers nous en tapant des mains avec un large sourire.
- Ah les enfants, c’est une bénédiction que vous arrivez toujours si tôt, surtout toi, Aicha.
- Ah bon ? Pourquoi ?
- Hier soir, nous avons reçu dix nouveaux clients, rien que des hommes d’affaire et c’est le maire en personne qui les a amenés. Il m’a dit en partant qu’il aurait besoin d’un bon guide pour aujourd’hui à la première heure. Quant à toi Menoumbé, je veux que tu me répertories deux filles pour le nettoyage de leurs chambres durant toute la durée de leur séjour. Je pourrai par-là savoir vers qui me tourner en cas de vol, explique oncle Badou sur un ton ferme et menaçant avant de courir vers la cuisine.
Il est 8h30 quand les filles commencent à se présenter, elles sont cinq en tout. Elles passent devant moi sans me dire bonjour et se précipitent vers mon frère, elles doivent déjà être au courant de la nouvelle. Qu’est – ce qu’elles ne feraient pas pour des pourboires ?
Je les regarde une dernière fois avant de m’éclipser pour aller me cacher et m’évader quelques heures dans mon roman d’Agata Christi. Je me hâte d’ouvrir le livre, je suis tellement pressée de connaître l’auteur du crime. Le jardin est mon lieu de prédilection, l’odeur des fleurs mélangées à celle de la mer me procure une sensation de bien-être exquise. Je m’assieds, ferme les yeux et prends un grand bol d’air, avant d’entrer dans mon univers à moi. Malgré la modique somme de 25 000 francs que l’on me paye, travailler dans cet endroit merveilleux me fait énormément plaisir. Intégrer la nature de manière authentique et dans un esprit poétique avec des cases pittoresques bâties sous forme d’un collier posé entre terre et mer, l’hôtel est juste paradisiaque.
J’étais très concentrée sur ma lecture quand je sentis une présence. Lorsque je lève la tête, mes yeux croisent celui d’un homme au regard intense et dont la beauté est désarmante. Ce genre de beauté n’existe que dans les films hollywoodiens, pensais – je. Habillé en chemise blanche courte manche à carreaux, assortie d’un jean bleu, l’homme s’assied nonchalamment sur un banc, à quelques mètres de moi, les jambes croisées. Le temps s’est suspendu, il prend tout l’espace et je n’arrive plus à respirer normalement, ni à détourner mon regard. Avec son teint clair et ses traits si fin, il doit sûrement être un toucouleur, ou un métisse, ou un bambara…Je ne comprends pas pourquoi mon cœur bat si fort face à cet homme dont le regard captivant fait fondre. C’est la première fois qu’un homme me faisait autant d’effets.
Malick, le conquérant
Pourquoi je n’arrive pas à détourner mon regard de cette femme, ou fille ? Malgré son corps de femme, c’est une jeune fille. Elle avait le sourire aux lèvres quand elle est entrée dans le jardin. Son visage est si pur et si innocent que je ne peux m’empêcher de l’admirer : une vraie beauté naturelle. Quand nos regards se sont croisés, j’ai cru recevoir une décharge électrique. C’est la première fois qu’une femme me faisait autant d’effets. Et, depuis son apparition, je ne bouge pas d’un iota tellement je suis subjugué. Je reste là à l’admirer assise autour de ses belles fleurs multicolores qui lui donnent l’allure d’une fée. Serait – ce ça le coup de foudre ? A cette pensée, je souris. Malick Kane, tu n’es plus un gamin pour croire à ces trucs débiles. Quand je me décide enfin à me lever pour aller vers elle, je la vois se tourner vers une voix qui appelle au loin.
Aicha, Aicha….Elle me lance un coup d’œil une dernière fois avant de sortir du jardin en courant. Dommage, pensais-je. Cette fille fait sûrement partie du personnel de l’hôtel vu comment elle est habillée. Alors forcément, je la reverrai mais pour faire quoi ? Je suis-là pour trois jours seulement, en plus elle semble trop jeune pour moi. Alors ressaisis-toi mec, me-dis-je.
Je me décide finalement à aller prendre mon petit déjeuner et là je vois que l’équipe est au complet.
- Bonjour monsieur Diop, je vous ai cherché partout, on n’attendait que vous pour commencer.
- Bonjour monsieur le maire, je faisais une petite promenade matinale. Cet hôtel est vraiment magnifique.
- Oui, il est le plus beau dans Fatick, dépêchez-vous de prendre votre petit déjeuner, une longue journée nous attend.
Cet homme ne m’inspire aucune confiance, ces politiciens ne sont là que pour leur propre intérêt et non ceux de la population. Je ne devrais pas dire cela puisque je travaille pour l’un d’entre eux. En fait, je suis le chef de cabinet du ministre de la Promotion des investissements étrangers. Là, j’ai pour mission de convaincre ces hommes d’affaire d’investir leur argent dans notre pays. Je sais qu’ils vont le faire parce qu’aujourd’hui, l’Occident, avec la crise économique, a plus que besoin de l’Afrique pour survivre. Notre continent regorge de ressources naturelles très riches ; seulement avec nos politiques de mal gouvernance, les populations n’y voient que du feu. J’ai accepté ce boulot dans le but unique de pouvoir défendre les intérêts de mon pays. Je ne peux pas changer les contrats déjà signés mais pour les futurs, j’aimerai faire partie de ceux qui les négocient. De plus en plus, je me rends compte que la réalité est tout autre. En plus des marchés de gré à gré, il y a tellement de magouilles dans ces contrats que je suis toujours un peu plus dégoûté de travailler avec mon patron. Je pense que je vais finir par démissionner. J’ai assez de notoriété et de connaissances pour trouver les fonds nécessaires pour la réalisation mon rêve d’étudiant.
De retour dans ma chambre, je trouve une femme de chambre. Dès qu’elle me voit elle commence à battre les cils. Quand est – ce que les femmes comprendront que les hommes n’aiment pas les «proies faciles» ? Je me dépêche de prendre quelques affaires avant de rejoindre les autres à la réception. La journée risque d’être longue, j’espère qu’on aura un bon guide, pensais-je. Et c’est à cet instant même que je vois ma fée, debout devant le petit groupe qui s’était déjà formé autour du maire. Comme tout à l’heure, le voir m’enchante, mais la façon dont le maire la regarde ne me plaît pas beaucoup. A ma grande surprise, ce dernier me l’a présente comme étant le guide.
- Elle n’est pas trop jeune pour ça ? demandais – je sans la quitter du regard. Elle les yeux baissés, semble vraiment troublée par ma présence.
- C’est ce que j’ai dit à Badou mais il m’a laissé entendre qu’elle est la meilleure dans tout le pays ; en plus elle a un bon français. Je me tourne vers elle pour mieux l’observer et le fait qu’elle soit si timide me rend encore plus sceptique.
- Quel âge avez-vous ?
Elle sursaute quand je m’adresse à elle et me regarde bizarrement. Malgré l’effet qu’elle me fait, mon professionnalisme ne me permet pas d’amener un guide pas du tout compétent. Cette politique des hôtels à fourrer aux clients de belles femmes pour nous divertir, m’énerve chaque jour un peu plus. En plus, à la voir de plus près, je me demande si elle est majeure. Elle ne dit rien et semble confuse. Je vous pose une question, dis – je, dans un ton retenu.
- J’ai 16 ans monsieur, répondit – elle d’une voix tremblante.
- J’en étais sûre marmonnais – je. Je me tourne vers le maire.
- Puis-je voir le responsable de ce cirque ? J’essaye de contrôler ma colère devant elle. Le maire lève innocemment la main avant de poursuivre.
- Calmez-vous et ne vous inquiétez surtout pas, si vous jugez qu’elle est incompétente, je me ferai le plaisir de la remplacer. Je connais cette ville comme ma petite poche. N’oubliez pas que j’en suis le maire. De plus, il est hors de question de m’enlever une si belle créature, continua – t – il.
Je la vois faire une grimace et mettre ses mains dans sa poche. On aurait dit qu’elle n’avait pas envie de nous accompagner. Ne voulant pas faire de scandale devant les autres, je finis par capituler. Mais je crois que c’était plus le fait que je ne voulais pas, au fond de moi, me séparer d’elle. Allez savoir pourquoi.
Dans le minibus, je n’arrêtais pas de regarder vers la direction de la jeune fille. Assise à côté du chauffeur, elle lisait son livre sans se soucier de ce qui l’entoure, ce qui est inapte pour un guide. Je suis remonté que l’hôtel nous ait filé une petite fille comme guide, mais je n’arrive pas à lui en vouloir à elle. Nous avions décidé, pour notre séjour à Fatick, de visiter la ville le premier jour. Mon but était de faire d’abord connaître la région à travers ces lieux pittoresques, avant de voir le côté économique et productif de la région pour convaincre les bailleurs de financer un maximum de projets. Je regarde en direction du maire qui n’arrête pas de parler de choses inutiles et je vois bien qu’il est en train d’exaspérer mes hôtes. Je lui fis alors signe de venir s’asseoir à mes côtés pour qu’il puisse m’instruire de son programme, de l’endroit où l’on se rend… C’est à cet instant qu’une voie enchanteresse s’élève sur un haut-parleur du bus.
Bonjour tout le monde, je me présente : je m’appelle Aicha Ndiaye. Aujourd’hui, j’aurai le plaisir de vous faire découvrir ma ville dans toute sa splendeur même si une journée n’est pas suffisante pour vous montrer nos plus beaux sites. Fatick bénéficie des conditions climatiques favorables à son développement. Son potentiel est immense, notamment avec la présence de nombreux cours d’eaux dans la région. A cela, s’ajoutent ses plages de sables fins, ses chapelets d’îles, d’îlots et de méandres, qui offrent un charme impressionnant. Il convient d’ailleurs de rappeler que la région de Fatick est membre du club des plus belles baies du monde. Elle dispose d’une faune et d’une flore variées ainsi que la réserve de biosphère du Delta du Saloum et surtout un important patrimoine historique et socio-culturel….
Subjugué par cette belle voix qui lui donne l’allure d’une conteuse, elle nous présente Fatick avec une telle facilité et professionnalisme. En plus, son français était impeccable. Comme les autres, j’étais captivé par ses récits. Elle connaissait la région du bout des doigts. Elle était passée d’une personne timidement inexperte à une historienne. Pour commencer, nous avons visité le Sosso No Maad ou la randonnée rituelle du roi. C’est un parcours de plusieurs sites mémoriaux qu’avait suivi Silmang Marone, le sixième roi du Sine qui était à la recherche de son père. Et durant toute la matinée, elle nous a emportés dans son petit monde, on aurait dit que nous étions en face de Shéhérazade des mille et une nuits. Ensuite, pour déjeuner, elle nous a amené dans un hôtel magnifique « Les Palétuviers » où nous avons mangé de grosses langoustes délicieuses. Le domaine s’étale au milieu de grands baobabs remplis d’oiseaux de toutes sortes. Et que dire de la vue, probablement l’une des plus belles au Sénégal. Nous avons profité du ponton de l’hôtel pour partir directement en chaloupe au delta de Saloum avec un paysage féérique qu’offre la mangrove.
A notre rentrée, nous étions fatigués mais heureux de cette belle journée. Grâce à cette fille qui avait été un guide exceptionnel, l’intérêt de ces hommes d’affaires s’est vu quadruplé alors que nous n’avions pas encore visité les sites d’activités. Il fallait que je m’excuse auprès d’elle, vu la façon brusque dont je me suis emporté avec elle ce matin. En plus, elle a été si professionnelle malgré les assauts agaçants et répétés du maire. Cet homme n’avait aucune honte à la draguer mais il n’était pas le seul. Deux des hommes d’affaires ont essayé aussi à plusieurs reprises de s’approcher d’elle. Mais j’étais impressionné et charmé de voir avec quel tact elle les rejetait sans les vexer. Elle doit sûrement en avoir l’habitude. C’est vrai qu’il était difficile voire impossible de ne pas tomber sous son charme malgré son âge. Elle était d’une maturité déconcertante et j’étais plus aussi séduit par sa beauté naturelle que par son esprit vif et brillant. Quand elle prit congé de nous, je me dépêchais de la rattraper pour m’excuser. Malgré le fait que nous avons était ensemble toute la journée, nous n’avons pas une seule fois échangé de mots ; mais seulement quelques regards furtifs qui en disaient long sur nos pensées. Il se passait quelque chose entre nous ; mais quoi ? J’étais comme qui dirait déboussolé, complétement à l’ouest. Si on m’avait dit qu’une jeune fille de seize ans m’intimiderait à ce point, j’en aurai ri, moi le Don Juan de Dakar.
Dès qu’elle me vit, elle augmenta la cadence comme pour me fuir.
- Attendez mademoiselle, s’il vous plaît. C’est la première fois qu’une femme me fuit, pensais – je. Elle finit par s’arrêter en croisant ses mains en signe de défense. Maintenant que je suis si près d’elle et en face, je me surprends à admirer ses grands yeux si blancs et cette bouche si appétissante. L’attirance entre nous deux est si forte qu’elle est devenue perceptible. Aucun de nous deux n’arrive à détacher son regard et les arbres qui forment une chaine autour de nous ne fait que renforcer cet enchantement. A un moment, c’est comme si nous étions seuls au monde et je sens le battement de mon cœur qui s’accélère. L’atmosphère devient électrique et j’ai du mal à trouver les mots. La seule chose dont j’ai envie est de la toucher. Finalement elle baisse son regard et recule d’un pas, ce qui me ramène à la réalité. Ça a été rapide mais je sens que je n’oublierai jamais ce premier face-à-face. Je me reprends vite et lui dis.
- Je voudrais vous présenter mes excuses les plus sincères pour ce matin. Cela m’apprendra à juger une personne à travers son apparence. Vous faites ce métier depuis quand ?
- Deux ans monsieur, cette année est la troisième, dit – elle, les yeux toujours baissés !
- Cela veut dire que vous n’aviez que 13 ans quand vous l’avez commencé, c’est vraiment fascinant ; ça a dû vous prendre beaucoup de temps pour savoir autant de choses.
- Quand on aime quelque chose, on n’éprouve pas de difficulté à connaître tout d’elle.
Sa réplique me fit sourire et avant que je ne lui réponde, elle battait déjà retraite en ajoutant : « Il faut vraiment que j’y aille, mon frère m’attend depuis une heure». Je me surprends à la suivre sans savoir pourquoi, je ne voulais pas la quitter. Alors une idée me vint à l’esprit.
- J’ai remarqué dans vos récits historiques, que vous faisiez souvent allusion aux activités économiques de la région. Avez-vous plus de connaissances par rapport à cela ?
- Oui, côté agriculture je suis calée puisque mon père est cultivateur. Aussi j’ai eu à faire un exposé en 3ème sur la production du sel donc j’en connais un rayon. Le reste un peu moins.
- Formidable, alors vous nous accompagnerez demain. Comme ça, nous pourrons mieux nous connaitre. Elle tressaille comprenant l’allusion. Je voudrais que vous nous suiviez dans nos excursions pour les deux jours à venir, si ça ne vous dérange pas? Elle acquiesce de la tête avant de filer comme une folle vers un homme qui semblait l’épier. Sûrement le frère dont elle parlait tout à l’heure et il ne semble pas content.
J’ai passé le reste de la soirée et la moitié de la nuit à penser à elle. C’est la première fois que cela m’arrive, en plus avec une mineure. Il va falloir que je dompte cet instinct animal qui se réveille en moi à chaque fois que je suis devant elle. Je ne peux pas me permettre certains écarts, mon boulot ne me le permet pas, ma moralité non plus. En plus le peu que j’ai échangé avec elle me prouve qu’elle est l’innocence en personne. Et même si elle était majeure, je me suis promis de ne plus me jouer des femmes après que ma petite sœur fut enceintée. Avant cela, j’étais un goujat, un vrai don juan, un homme à femmes, un briseur de cœur jusqu’à ce que ce malheur nous tombe dessus. J’en ai souffert énormément, quant à ma mère je n’en parle même pas. J’ai compris ce dicton qui dit : «il ne faut pas faire à autrui ce que tu ne veux pas que l’on te fasse». Depuis, je n’ai plus eu envie de faire souffrir la sœur d’autrui car ce qu’on avait fait à la mienne m’avait meurtri. Je ne sais pas ce qui m’avait le plus fait mal : voir l’homme qui l’a mis enceinte refuser de prendre ses responsabilités ou voir ma sœur entrer dans une dépression excessive qui a fini par la faire perdre le bébé. C’est à cet instant que j’ai arrêté de duper, tromper, mentir, promettre aux femmes pour qui je n’avais aucun sentiment. Cela fait plus d’un an maintenant que je ne sors plus avec personne. J’essaye de trouver une femme capable de me rendre heureuse, mais aucune n’est arrivée à faire battre mon cœur. En tout cas pas jusqu’à aujourd’hui. Ma mère veut coûte que coûte que j’épouse une de mes cousines ; mais les mariages arrangés-là ne m’enchantent pas du tout.
En me réveillant le matin, je pris la décision incertaine de me concentrer sur ce que je suis venu faire ici. En plus, je pars demain, alors à quoi devrais-je m’attendre ? Il est neuf heures passé quand je quitte ma chambre pour aller au restaurant. Je me tourne instinctivement du côté du jardin en passant devant. Est – elle là-bas ? Mes pas se détournent sans que je m’en rende compte. Je sais que je ne devrais pas, mais je suis comme emporté par un ouragan.
Elle est là, assise sur le même banc, les jambes croisées, lisant encore un bouquin. Je la regarde comme hier, fasciné, ébloui comme un petit enfant devant un gâteau au chocolat. Pourquoi ce petit bout de fille me fait autant d’effets ? Quand elle leva les yeux, alors je compris qu’elle n’attendait que moi. J’avais lu quelque part que le coup de foudre frappe quand on s’y attend le moins. A tel point que l’on parle de « choc amoureux ». Avec en prime, ces symptômes : des papillons dans le ventre, un sourire béat impossible à estomper comme à cet instant, des étoiles dans les yeux et souvent une question qui ne nous quitte pas : pourquoi elle m’obsède à ce point. Et tout cela je le ressens, je suis en train de le vivre sans pouvoir résister. Cette fille est le fruit défendu mais comme Adam ; je ne peux freiner cette pulsion qui me pousse à aller vers elle. C’est quand elle me sourit que j’ai arrêté de réfléchir.
La suite à lire lundi prochain…
Par Madame Ndèye Marème DIOP
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