La traque des biens mal acquis annoncée en grande pompe par l’actuel régime risque de finir en eau de boudin avec la grâce présidentielle promise à Karim Wade. Et c’est encore le pays qui, après quatre années de conflit politique, perd encore dans cette vendetta.
Ci-gît la traque ! Après quatre ans de poursuites, de pressions, de bras de fer, d’humiliation, le Sénégal se retrouve au point de départ. Finalement, avec la grâce présidentielle qui profile à l’horizon pour Karim Wade, c’est le pays qui aura beaucoup plus perdu de ces actions qui frisent le règlement de compte. Mais, ce qui est plus déplorable dans cette traque, c’est que ce climat de soupçon et de peur installé dans le pays depuis 2012 a détourné du pays de nombreux investisseurs et plombé l’économie nationale. Surtout avec le Plan Sénégal émergent (Pse) sur lequel les autorités jouent leur va-tout. En effet, même si les actuels tenants du pouvoir défendent le contraire, la traque a freiné l’allure dudit programme dont la plupart des projets tardent à démarrer, faute de financements. Car, le risque politique est un facteur déterminant dans la décision des investisseurs. Et ce risque était bien réel au Sénégal ces dernières années. Un fait aggravé par le règlement tardif de la question du mandat présidentiel, autre grande inquiétude des bailleurs qui avaient promis de miser leurs billes sur le Pse. De plus, avec le revirement spectaculaire de Macky Sall, nombreux étaient ceux d’entre eux qui craignaient une crise politique dans le pays.
Si l’investissement en a reçu un sacré coup, la facture a été très salée pour les finances publiques avec notamment les honoraires d’avocats, les commissions rogatoires déployées à travers le monde et qui n’ont rien découvert, les centaines de millions de francs Cfa payés aux administrateurs provisoires tels que Alboury Ndao de Dp Wolrd ou encore Abdoulaye Sylla de Ahs pour ne citer que ceux-là.
L’issue politique de cette traque montre que l’ex procureur de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei), Aliou Ndao a eu raison trop tôt sur nombre de Sénégalais, lui qui était déterminé à n’en faire qu’une affaire purement juridique là où tous les faits montraient qu’elle était purement politique. Décidé à convoquer les autres personnes visées par la traque, il en payera son poste en pleine audience. Une décision qui prouve que la justice n’était que le bras armé de l’Exécutif. Sinon, comment comprendre que les nombreuses demandes de libertés provisoires des complices de Wade-fils soient rejetées puis acceptées quelques mois après le dégel du climat politique entre le Pds et le parti présidentiel ?
Ainsi, avec un tel épilogue, Macky Sall semble avoir trahi sa promesse de gouvernance transparente, mais aussi le vote de tous ces Sénégalais qui, pour ses déclarations sur la lutte contre la corruption qui avait gangrené le régime de Wade, avaient porté leur choix sur sa personne. Le rêve d’un changement qualitatif de gouvernance du peuple est ainsi brisé.
Après avoir gracié Karim Wade et ses complices avec tout ce tohu-bohu, cela devrait certainement pousser Macky Sall à être conséquent avec lui même pour supprimer cette juridiction d’exception tant décriée. Mais ce qui est plus grave pour le pays, c’est que les gestionnaires des deniers publics vont définitivement se faire une religion sur la bourgeoisie politico-religieuse qui fait et défait: il suffit l’intervention des religieux ou d’une base politique solide, sorte d’assurance tout risque, pour se tirer d’affaire dans n’importe quel crime économique. Ce qui, en outre, risque de saper le travail des différents organes de contrôle de l’Etat comme la Cour des Comptes et même l’Ofnac et confirme qu’un conflit politique se termine par une solution politique.
Seyni DIOP