CHRONIQUE DE Abdourahmane CAMARA
Rien ne s’oppose plus à ce que le président Macky Sall retrouve sa famille libérale. Les franges les plus significatives de son parti, l’Alliance pour la République (Apr), sont pour, et ses deux alliés les plus représentatifs du point de vue électoral que sont le Parti socialiste (Ps) et l’Alliance des forces de progrès (Afp) n’émettent pas d’objection. Le voudraient-ils même, qu’il serait malvenu de leur part de s’opposer à des retrouvailles entre le président de l’Apr et sa famille politique d’origine, le Parti démocratique sénégalais (Pds). D’ailleurs, aucun de ses autres alliés n’a jusqu’ici remis en cause sa liberté de se rapprocher ou de nouer alliance avec qui il veut. Par conséquent, qu’il reprenne langue avec son ancien père spirituel, Abdoulaye Wade, devrait, en principe, être sans conséquence sur l’avenir de la coalition au pouvoir, Benno Bokk Yaakaar.
Mais en principe seulement. Parce que le chemin menant à ces retrouvailles serait parsemé d’embûches. Le plus gros écueil à surmonter sera le cas Karim Wade. Comment lui rendre la liberté sans que le pouvoir exécutif ne perde la face ? Mais également comment l’amener à accepter définitivement sa condamnation à une peine infamante ? En effet, solliciter le pardon de Macky Sall (qu’il s’agisse de grâce présidentielle ou de liberté conditionnelle) revient à reconnaitre le verdict de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei). Or il l’a contesté un tel verdict jusque devant le groupe de travail des Nations-Unies sur la détention arbitraire qui lui a donné raison aussi bien quand il l’a sollicité que lorsque l’Etat du Sénégal a contesté l’avis qu’il avait rendu à cette occasion. Il l’a également attaqué devant le tribunal de grande instance de Paris qui a déclaré recevable sa plainte pour détention arbitraire.
Autrement dit, Karim Wade tient le bon bout dans la bataille juridique que mènent ses avocats au plan international. Il n’y a, dès lors, aucune raison pour qu’il se contentât d’une grâce présidentielle qui lui ferait certes recouvrer cette liberté dont il a été privé pendant trois longues années, mais en laissant intacts les effets de sa condamnation à 6 ans de prison ferme, à savoir la perte de ses droits civiques (il ne pourra plus voter ni être éligible), la confiscation de ses biens et l’obligation qui lui est faite de payer une amende d’un peu plus de 138 milliards de francs Cfa. D’autant que solliciter ou même accepter, sans en faire la demande, le pardon de Macky Sall équivaudrait à avouer qu’il s’est enrichi illicitement. Ce qu’il aura contesté tout au long de son procès et même après. N’avait-il pas été violenté par de zélés gardes pénitentiaires pour avoir refusé de comparaître devant cette juridiction d’exception ? Une Crei dont il aura contesté la légalité jusqu’au bout, à travers notamment son refus systématique de répondre aux questions des avocats de l’Etat et du parquet.
Le voudrait-il, Abdoulaye Wade parviendra-t-il à convaincre son fils de faire table rase de cette lutte acharnée pour sa réhabilitation qu’il a menée pendant tout ce temps depuis sa cellule de Rebeuss ? Trois ans durant lesquels il aura été traîné dans la boue, sa dignité d’homme bafouée sans que jamais, la preuve matérielle de ses prévarications ne soit rapportée. Seulement, Macky Sall n’a que la grâce présidentielle à lui offrir s’il ne veut pas s’aliéner le soutien de nombre de ses alliés (la Ld et le Pit en particulier), mais également de responsables de premier plan de son parti comme l’ancienne Premier ministre et ministre de la Justice, Aminata Touré, à l’origine de la traque qui a envoyé Karim Wade et Cie en prison.
Certes, le président du groupe parlementaire majoritaire, Moustapha Diakhaté, a évoqué récemment la possibilité d’une amnistie. Une telle option faciliterait, certes, les retrouvailles libérales, mais sa mise en œuvre ne sera guère aisée. D’abord, parce que le parti du président de la République n’est pas majoritaire à l’Assemblée nationale et sans les voix des députés du Ps et de l’Afp, il ne pourra pas faire passer un projet de loi d’amnistie, ni même porter une proposition de loi amnistiant les délits reprochés à Karim Wade et Cie. Ensuite, parce que la cohésion de la coalition Benno Bokk Yaakaar pourra difficilement résister à un tel aveu d’échec de la traque des biens supposés mal acquis. Et la déception du «peuple des Assises» n’en sera que plus grande face à cet énième reniement d’un engagement fort des participants aux Assises nationales : celui portant sur la reddition des comptes.
Ainsi, dans sa marche pour des retrouvailles avec Abdoulaye Wade, Macky Sall voit se dresser devant lui un mur qui se nomme Karim Wade et derrière lequel l’attend un gouffre d’incertitudes liées à la réaction imprévisible de nombre de ses alliés en cas d’amnistie.
Par Abdourahmane CAMARA*
Directeur de publication de Walf Quotidien
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