NON-ASSISTANCE A…PRESSE EN DANGER
La presse sénégalaise est en danger. Et plusieurs faits le confirment. A quelques exceptions près, de nombreuses entreprises de presse agonisent. Des journaux disparaissent, des radios ferment. Et cela ne semble émouvoir personne. Les autorités assistent avec délectation au triste spectacle d’acteurs de la presse qui se débattent comme ils peuvent pour espérer survivre. Oubliant ainsi qu’une démocratie se mesure d’abord à la liberté et à la possibilité donnée à chaque citoyen de s’exprimer librement. Les Américains l’ont tellement bien compris que le premier amendement de la Constitution des Etats-Unis interdit au Congrès d’adopter des lois limitant la liberté de religion et d’expression, la liberté de la presse ou le droit de s’assembler pacifiquement.
En réalité, plusieurs raisons peuvent expliquer les difficultés auxquelles font actuellement face les entreprises et acteurs de la presse. Parmi ces raisons, on peut citer cette tendance à la gratuité de l’information. «L’information gratuite, c’est la destruction de la valeur de l’information», avertit Edwy Plenel, le fondateur du très redouté site d’informations Mediapart. La tendance à la gratuité due principalement à l’Internet n’épargne pas la presse sénégalaise. De nombreux sites Internet résument leur travail à pomper les quotidiens sans verser le moindre centime aux privés qui emploient régulièrement des journalistes en plus de dépenser des millions tous les jours pour faire vivre les entreprises. Mais que fait l’Etat face à une telle situation ? Rien, si ce n’est choisir ses propres «amis» à qui on donne tout pour faire passer de l’information souvent destinée à la propagande politique. On n’informe plus pour servir le grand nombre, les sans voix, mais juste pour servir ceux qui disposent de puissants moyens pour se faire entendre. Résultat : le citoyen ne se retrouve plus dans le travail des journalistes. Or, la mission première de tout journaliste peut se résumer à faire la lumière afin que les citoyens trouvent eux-mêmes leur chemin. Il est donc regrettable que la presse, dans sa grande majorité, n’éclaire plus le chemin pour le citoyen. Les journalistes ont plutôt tendance à mener le citoyen sur le chemin sur lequel ils veulent qu’il s’engage. Et ce dépassement de fonction pousse de plus en plus de Sénégalais à faire de moins en moins confiance à la presse. Et cela contribue fortement à la destruction de l’information, donc des entreprises de presse.
Pis, l’Etat qui traîne le pas pour l’entrée en vigueur de la nouvelle convention collective des journalistes, ne fait absolument rien pour réguler le marché de la publicité. Ce, malgré les nombreuses propositions qui lui ont été faites par d’éminents acteurs de la presse. Pourtant, les autorités le savent : il est bel et bien possible de faire régner un minimum d’ordre dans le marché publicitaire. En France par exemple, le président Nicolas Sarkozy n’avait pas hésité à supprimer la publicité sur les chaînes de télévision du service public. Parce que, soutenait le prédécesseur de François Hollande, les chaînes publiques doivent se démarquer des chaînes commerciales en étant plus exigeantes sur la qualité. Il est vrai que cette interdiction avait posé quelques problèmes dans les médias du service public, mais elle avait permis à plusieurs entreprises de presse du privé de sortir la tête de l’eau. Ce qui avait d’ailleurs poussé certains à accuser Sarkozy d’avoir servi ses «amis» patrons de presse. Au Sénégal, les différents régimes ont servi leurs «amis» de la presse, parfois en violation flagrante de la loi. Il s’y ajoute que les médias nationaux entretenus grâce à l’argent du contribuable ne font que servir le Prince et son pouvoir. Pourquoi devraient-ils alors continuer à disputer le marché de la pub aux chaînes commerciales qui ne reçoivent rien de l’Etat, si ce n’est une subvention dérisoire pompeusement appelée «aide à la presse» et qui en réalité n’aide que les amis du Prince.
Mais les entreprises de presse au Sénégal ne souffrent pas que du manque de moyens et de la gratuité de l’information. Le manque de formation des journalistes se ressent également sur le produit servi au public. Pourtant, les écoles de formation en journalisme poussent comme des champignons à Dakar. C’est que, comme l’écrit l’Américain Ted Koppel, «les écoles de journalisme sont (parfois) une perte de temps totale et absolue». Une manière de dire qu’en plus de compléter les enseignements théoriques des écoles, la formation sur le tas est parfois la meilleure. Malheureusement, avec l’avènement des nombreuses chaînes de télé, les journalistes ne prennent plus le temps de la formation. Et les nombreuses lacunes qu’ils trainent sont en train de tuer l’information. Il est donc urgent de sauver la presse d’une mort certaine.
A lire chaque Mardi…
Par Moustapha DIOP