Lettre ouverte à SEM Macky Sall Président de la République du Sénégal
et Président en exercice de la CEDEAO
Objet: La date du 28 Mai pour le dialogue national au Sénégal
Monsieur le Président de la République,
J’ai appris avec beaucoup de surprise que vous avez décidé de faire du 28 mai la date du dialogue national au Sénégal. Je voudrais attirer votre attention sur le fait que le 28 mai est la date anniversaire de la création de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO.) L’institution régionale fut créée le 28 Mai 1975 à Lagos au Nigeria pour donner corps tout à la fois à la vision des Chefs d’Etat et à l’aspiration profonde des peuples ouest africains à l’unité.
En 1982, constatant la faiblesse de l’appropriation de la CEDEAO par les peuples, vos devanciers ont pris la décision d’organiser chaque année la semaine de la CEDEAO dans les Etats Membres, laquelle serait ouverte par le Chef de l’Etat lui-même (Décision A/DEC.10/5/1982 portant Décision relative à l’application du protocole sur la libre circulation et au programme d’information du public). Cette décision ambitionnait de faire en sorte que la CEDEAO soit vue, connue et reconnue par les citoyens de l’Afrique de l’Ouest pour renforcer leur sentiment d’appartenance à une communauté de destin au-delà de leurs frontières nationales.
En organisant un dialogue sénégalo-sénégalais à la même date, vous porterez un grand coup aux efforts de ceux qui œuvrent inlassablement, au Sénégal et dans la sous-région, pour traduire en acte la vision 2020 consistant à passer de la CEDEAO des Etats à la CEDEAO des peuples et approfondir l’intégration régionale.
J’imagine que vos services n’ont pas eu le réflexe d’attirer votre attention sur cette question car je sais bien qu’en tant que Président en exercice de la CEDEAO, vous ne sauriez poser, en connaissance de cause, un acte tendant à affaiblir dans votre pays la construction de la citoyenneté communautaire. Si votre décret n’est pas encore signé, le peuple Sénégalais et Ouest africain vous saurait gré de choisir une autre date, pourquoi pas le 3 avril, veille de la fête nationale du Sénégal, pour discuter du passé, du présent et du futur du Sénégal et dialoguer sur l’état de la Nation. Ainsi vous laisserez à la CEDEAO sa date et vous encouragerez les Sénégalais et parler de l’intégration régionale plutôt que de leurs problèmes internes.
Monsieur le Président,
Vous avez par ailleurs décidé de lancer un programme dénommé PUMA, avec pour finalité de développer les localités situées dans les “espaces frontières”. Si je salue l’opportunité d’un tel programme, car ayant été parmi ceux qui n’ont de cesse de théoriser l’importance des villes frontalières dans le développement du Sénégal, je questionne cependant l’approche méthodologique qui fonde le diagnostic ainsi que les présupposés économiques qui le sous-tendent.
J’ai toujours réfuté l’idée selon laquelle les villes éloignées de la capitale ou se situant sur les frontières avec nos voisins sont des territoires enclavées et périphériques. En adoptant une approche complexe de la territorialisation et en plaçant la région ouest africaine au centre de nos objectifs économiques, on se rend bien vite compte que les villes dites ” périphériques” sont en réalité des “centres” car étant les points de passage obligés vers nos voisins. Nous devons donc les développer non pas seulement pour mieux les relier au territoire national, ce qui bien évidemment doit être un objectif permanent, mais pour mieux les arrimer aux pays voisins, nous ouvrant ainsi un accès durable et facile à nos marchés naturels.
Qui peut douter du rôle de la ville de Kidira dans le développement du Sénégal si on tient compte du transit des près de 700 camions Maliens circulant tous les jours sur le corridor Dakar-Bamako dans les deux sens?
Comme le dit la publicité sur le Plan Sénégal Emergent qui passe sur les chaines de télévision, investir au Sénégal c’est se donner un marché de plus de 300 millions de consommateurs ouest africains. On est donc bien loin de nos 14 millions de Sénégalais. Or les portes de ce marché d’avenir, qui représentera 450 millions dans 15 ans, sont à Ziguinchor, Mpack, Selety, Senoba, Linkiring, Diaobé, Karang, Keur Ayib, Kidira, Kedougou, Bakel, Saraya et j’en passe. Je ne peux donc que vous encourager à poursuivre et accélérer ce projet de modernisation des villes aux frontières en les voyant comme nos “pôles économiques avancés” vers le marché régional.
Pour finir, je reviens sur la date du 28 Mai pour vous dire que si vous la maintenez comme date du dialogue NATIONAL au Sénégal, vous enterrerez le dialogue REGIONAL avec nos voisins.
Et je suis sûr que ce n’est pas ce que vous voulez. Car comme Mohamed Mahatir, ancien Premier Ministre de la Malaisie, vous savez sûrement que “travailler à la prospérité de ses voisins n’est pas de la générosité mais du bon sens”
Bien respectueusement.
Dr Cheikh Tidiane DIEYE
Citoyen de la CEDEAO