En décidant de porter l’affaire qui l’oppose au Sénégal devant la CEDEAO, le président gambien a omis une étape importante dans le conflit, celle de la médiation. Maintenant qu’il est débouté par l’organisation ouest-africaine, Yaya Jammeh, qui fait face à une fronde sans précédent d’une opposition qui se ragaillardit, va-t-il finir par plier ?
La « guerre froide » qui oppose le Sénégal à la Gambie et qui se matérialise par le blocus de la transgambienne connait depuis mardi dernier une nouvelle tournure loin d’être favorable au Président Yaya Jammeh. En effet, en jugeant la plainte de ce dernier contre le Sénégal sans objet, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (Cedeao) n’a pas seulement désavoué l’homme fort de Banjul. Elle lui a également fermé une des rares portes qui pouvait mener à la conciliation. « Un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès », disait l’autre. Le « bon procès » dont peut se prévaloir la Cedeao qui a dépêché une mission d’enquête en Gambie (5 et 6 avril dernier) et au Sénégal (7 et 8 avril), risque d’aboutir à « un très mauvais arrangement » pour le président gambien. En décidant d’aller directement au procès, Jammeh a presque annihilé ses chances de voir des pourparlers aboutir à une prise en compte de ses exigences. Quel éventuel médiateur ne prendrait pas en compte la décision de l’organisation ouest-africaine? Si s’asseoir autour d’une table s’imposait, le Sénégal est d’ores et déjà assuré de la bonne place du décideur. Pourtant, la décision de recourir au jugement de la Cedeao a été prise alors qu’une rencontre de négociations entre officiels sénégalais et gambiens était annoncée pour les jeudi 30 et vendredi 31 mars passés. Comme si elles étaient assurées de l’issue du procès, les autorités sénégalaises avaient décidé de surseoir aux négociations en attendant le verdict. La tentative de médiation du Président Condé est ainsi étouffée dans l’œuf. Maintenant qu’il est prononcé et que le Sénégal est conforté dans son indifférence mesquine, rien n’augure d’une levée imminente du blocus.
JAMMEH ISOLE
Avec la décision de la Cedeao, Yaya Jammeh semble avoir compris qu’il ne peut plus compter sur grand monde. Et s’il s’est précipité de porter l’affaire en jugement, c’est en grande partie parce qu’il sait que le peuple gambien n’en peut plus. Pour un pays dont les industries peuvent être comptées du bout des doigts et qui dépend plus que le Sénégal de l’extérieur pour approvisionner ses habitants, le blocus prolongé ne peut qu’être que source de tension. L’opposition gambienne n’ignore pas cette nouvelle donne. Malgré la sanglante répression des forces de l’ordre qui a déjà coûté la vie à un opposant, les détracteurs du régime de Yaya Jammeh se sont de plus en plus entendre et affichent une détermination qui leur était, jusque-là, inconnue. Avant-hier, en dépit des fortes menaces, de nombreux Gambiens membres pour la plus part du principal parti d’opposition, l’Udp, ont manifesté pour réclamer la libération de leurs camarades interpellés et jugés pour rassemblement non-autorisé. Pour de nombreux observateurs, la tournée nationale annoncée par l’homme fort de Banjul entre dans le cadre d’une nouvelle stratégie du président gambien conscient qu’il ne peut désormais compter que sur ses concitoyens qu’il ne peut pas continuer à matraquer dans un contexte de famine généralisée. Pris entre le marteau des opposants gambiens et l’enclume des transporteurs pour ne pas dire des autorités sénégalais, Jammeh semble avoir pris le parti des Gambiens qui lui sont encore favorables à quelque sept mois de la prochaine présidentielle. Une stratégie qui tend à renseigner qu’il n’est pas sur le point de lâcher du lest.
Son parcours ne plaide pas en faveur d’une reculade
Yahya Abdul-Aziz Jemus Junkung Jammeh est à la tête de la Gambie depuis 24 ans. Arrivé au pouvoir à la suite du coup d’Etat qui a renversé Daouda Diawara le 22 juillet 1994. Depuis, aucune offensive n’a été assez déterminante pour ébranler son fauteuil de président de la République de Gambie. Réélu à trois reprises à travers des élections dont il était le seul candidat sérieux, l’homme peut se targuer d’avoir déjoué de nombreux coups d’Etat réels ou supposés. Et semble enclin au jusqu’auboutisme.
Mame Birame WATHIE