Les circoncis sont-ils mieux protégés de l’infection à Vih/Sida que les non-circoncis ? En tout cas, d’après l’Oms et l’Onusida, même si elle ne protège pas à 100 % contre le virus, la circoncision réduit de 50 à 60 % les risques de contamination. Et au Sénégal plus de 86 % des hommes sont circoncis conformément à une pratique héritée des ancêtres. Seulement, les pratiques archaïques de cette circoncision par certaines communautés empêchent le pays d’atteindre son objectif de réduire de 50 % les nouvelles infections liées au Vih en 2017.
Une prévention à double tranchant méconnue des Sénégalais
Des ministères de la Santé de pays d’Afrique australe et de l’Est ont souhaité, en 2007, que la circoncision trouve sa place dans l’histoire de la lutte contre la pandémie du Sida. L’Organisation mondiale de la santé (Oms) et le Programme commun des Nations Unies sur le Vih/Sida (Onusida) venaient de recommander de considérer la circoncision comme une stratégie complémentaire de prévention de l’infection à Vih chez les hommes avec une réduction du risque de contamination de 50 à 60 %. La recommandation est basée sur de larges études menées en Afrique du Sud, au Kenya et en Ouganda, en 2005 et 2006. Les pays d’Afrique subsaharienne dotés de taux élevés d’infection à Vih ne sont pas épargnés par cet appel à la prévention.
Au Sénégal, pays où la prévalence du Vih est de 0,7 % depuis 2001, la circoncision n’est pas considérée comme une stratégie spécifique de prévention du Vih chez les hommes, même si tous ne sont pas circoncis dans le pays, si l’on en croit le chargé des programmes de l’Alliance nationale contre le Sida (Ancs). Selon Massogui Thiandoum, «la circoncision est très répandue au Sénégal, avec plus de 86 % des hommes circoncis».
La généralisation supposée de la pratique amène l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (Ansd) à se passer des données sur la circoncision lors des enquêtes sociales, notamment les enquêtes démographiques et de santé (Eds). Cependant, les estimations postées dans Wikipédia confortent le taux révélé de circoncision au Sénégal. Il est indiqué qu’en Afrique de l’Ouest, environ 90 % des adultes sont circoncis quelles que soient les ethnies et les religions, car étant un facteur traditionnel ancré dans la culture. Les Sénégalais font circoncire leurs enfants non pas parce qu’ils veulent prévenir le risque d’infection à Vih, mais parce que c’est une pratique héritée des générations antérieures qu’ils perpétuent, selon la religion ou la culture, croit savoir M. Thiandoum. Cet état de fait a pour effet positif, avec cette découverte sur la baisse du risque d’infection à Vih, de ne pas installer dans le cœur des hommes circoncis le sentiment d’être à l’abri de la propagation du Vih pour ainsi ignorer les mises en garde et recommandations sanitaires comme le multi partenariat sexuel et le port du préservatif masculin, fait noter le médecin chef de district de Kédougou, Dr El Hadj Mamadou Diokhané.
En Afrique de l’Est et du Sud, où l’Oms veut étendre la circoncision à 80 % des hommes et des nouveau-nés pour freiner la progression du Vih, il est noté, par exemple, chez certains hommes circoncis, la tendance à remettre en cause le port de préservatif qui protège à près de 100 % contre le risque de contamination du Vih. D’où cette précision de taille de l’Onusida: «La circoncision n’est pas le remède miracle. Elle ne protège absolument pas à 100 % contre le virus et les individus ne doivent pas cesser d’avoir des pratiques sexuelles à moindre risque».
La non prise en compte de la circoncision comme stratégie de prévention du Vih au Sénégal rend difficile la mesure de l’impact de cette recommandation sanitaire dans la baisse de la prévalence chez les hommes de 15 à 49 ans qui est passée de 0,7 à 0,5 % entre 2001 et 2011. La dernière enquête nationale de surveillance combinée (comportementale et biologique) lancée le 15 novembre dernier pour déterminer les comportements sexuels à risque ne prend pas en compte de façon spécifique les hommes circoncis et non circoncis. Cette enquête ne garde en ligne de mire que militaires, gendarmes, policiers, détenus, pêcheurs, camionneurs, orpailleurs et personnes handicapées.
Des pratiques archaïques jalousement conservées
De plus en plus, les communautés sensibilisées abandonnent les vieilles méthodes consistant à utiliser un objet tranchant non stérilisé pour plusieurs personnes à circoncire. Les circoncisions groupées se font en partenariat avec l’Infirmier chef de poste (Icp) de santé et des relais communautaires. Selon Massogui Thiandoum, certaines communautés en Casamance et dans le Sine n’hésitent plus, aujourd’hui, à solliciter le soutien technique et matériel de la société civile à l’approche des cérémonies traditionnelles de circoncision. «Nous réussissons avec la participation des chefs coutumiers et religieux à former les gens de la communauté qui vont, à leur tour, donner l’information et aider les praticiens à éviter les risques de contamination du Vih. Faire en sorte de ne pas utiliser un seul couteau pour par exemple 150 personnes. Mais utiliser plutôt un matériel stérilisé à usage unique»¸ soutient-il.
Si certaines communautés acceptent, lors de ces rites, de se détourner des pratiques risquées tout en gardant ce qu’elles ont de plus cher dans leurs cultures, d’autres s’y opposent férocement et rejettent toute forme de modernité dans la pratique de la circoncision. Des minorités ethniques sont encore renfermées sur elles-mêmes et, de surcroît, n’admettent pas la présence de personnes étrangères à l’occasion des cérémonies de circoncision de masse ou d’initiation traditionnelle.
Le Sénégal pourra atteindre son objectif de réduire de 50 % les nouvelles infections liées au Vih/Sida en 2017 si ces communautés venaient à être sensibilisées au bénéfice sanitaire de l’utilisation de matériel stérilisé à usage unique dans leur façon de pratiquer la circoncision. Cela aura comme conséquence positive de ne pas assombrir la perspective d’éradication de la maladie en 2030. «Il y a des difficultés parce que certaines communautés sont toujours très réfractaires à la modernisation de la pratique», estime le chargé de Programmes de l’Ancs, Massogui Thiandoum. Par rapport aux populations des zones frontalières où la prévalence du Vih est le plus souvent confondue à celle du pays voisin, le besoin de sensibiliser à la prévention du Vih est réel. Beaucoup d’insuffisances y sont notées, notamment dans l’accès aux informations sur la maladie. A cela s’ajoute l’impossibilité de pouvoir retenir le flux migratoire qui augmente la vulnérabilité des populations autochtones. «Pendant les séances de dépistage, on se rend compte que le taux de séropositivité est très élevé dans ces zones», révèle Bachir Camara, point-focal Ancs dans la région de Ziguinchor. La dernière Enquête démographique et de santé (Eds) indique une prévalence du Vih de 1 % dans la région de Ziguinchor.
Quand la circoncision profite aux femmes
Selon une étude française coordonnée par le Pr Bertran Auvert et conduite dans le bidonville d’Orange Farm en Afrique du Sud, rapportée sur le site Doctissimo, pour évaluer l’impact indirect de cette stratégie chez les femmes, les chercheurs ont comparé le taux de prévalence du Vih chez les femmes n’ayant que des partenaires sexuels circoncis et chez celles ayant des partenaires sexuels non circoncis dits intacts. Pour cela, ils se sont appuyés sur les données de trois études menées en 2007, 2010 et 2012 auprès de 2 452 femmes âgées de 15 à 29 ans qui ont permis de disposer de prélèvements sanguins, de données sur les comportements sexuels, du statut de circoncision des partenaires sexuels masculins… Plus de 30 % des femmes étudiées affirment n’avoir eu des relations sexuelles qu’avec des hommes circoncis. Résultat : le taux de prévalence du Vih chez ces femmes est de 17,8 % alors qu’il est presque deux fois plus élevé chez celles ayant des relations sexuelles avec des hommes intacts (30,4 %). A la lumière de ces données, un modèle mathématique a permis de montrer que le taux de nouvelles infections chez les femmes n’ayant que des partenaires sexuels circoncis est de 20 % inférieur au taux de nouvelles infections chez les autres femmes.
En attendant les résultats de l’étude française qui se poursuit avec le suivi de 3 000 hommes séronégatifs et circoncis, une étape importante pour mesurer l’effet, en situation réelle, d’un programme de circoncision à large échelle sur l’incidence du Vih chez les hommes, l’on tend, dans les pays les plus touchés, vers une généralisation de la pratique. Selon les auteurs de l’étude, la circoncision permettrait chez les femmes n’ayant des rapports sexuels qu’avec des hommes circoncis, de diminuer la prévalence (proportion de personnes infectées) et l’incidence de l’infection à Vih (taux de nouvelles infections) et ne favoriserait pas les comportements à risques (augmentation de nombre de partenaires sexuels, non utilisation du préservatifs). Des résultats qui confortent la place importante des programmes de circoncision volontaire au sein des plans nationaux de lutte contre le Vih.
L’acte médical délégué aux infirmiers
La circoncision comme stratégie de prévention du Vih suppose un bon maillage du territoire national en infrastructures de santé adéquates et une ressource humaine qualifiée. L’Onusida rappelle que «pour garantir des opérations hygiéniques et sans danger, la circoncision masculine doit être uniquement pratiquée par des médecins formés et dans des conditions sanitaires irréprochables…». Une norme sanitaire qui est loin d’être respectée au Sénégal où, le plus souvent, la circoncision est pratiquée en milieu sanitaire par les infirmiers habilités dans un premier temps à ne prodiguer que des soins.
Pour le médecin chef de district de Kédougou, Dr El Hadj Mamadou Diokhané, la circoncision étant un acte médical que seul un médecin doit poser, il devient impossible de faire respecter cette donne dans les contrées reculées où il n’existe généralement que des infirmiers et des Agents de santé communautaire (Asc). La solution pour beaucoup d’acteurs impliqués dans la réponse est de légiférer de sorte que les infirmiers puissent avoir la pleine compétence de poser cet acte médical, à côté de la sensibilisation des communautés au danger de certaines pratiques conservées qu’il faut renforcer de manière accrue pour que la circoncision, quel que soit le cadre, n’entraîne aucun risque d’infection.
En Casamance, précisément en zones limitrophes, des communautés mandingue et diola encore conservatrices, mais désireuses de rompre d’avec les méthodes risquées de la circoncision, voient leur élan freiné tant le manque d’infrastructures sanitaires adéquates y est criard. «Les conservateurs se trouvent dans des localités frontalières avec la Guinée-Bissau, la Guinée et la Gambie où, généralement, il n’y a pas de structures de santé. Et même s’il en existe, elles se situent à des endroits très éloignés», indique M. Camara. Rien n’encourage ces populations à abandonner les méthodes risquées de la circoncision en matière d’infection à Vih.
ENTRETIEN AVEC DR ISSA LABOU, MEDECIN UROLOGUE
«Il nous arrive de refaire la circoncision de certains adultes»
Walf : Il est dit que la circoncision permet de réduire de 60 % le risque d’infection à Vih chez les hommes. Comment cela est-il possible ?
Dr Issa Labou : D’abord, c’est un concept que l’Oms (Organisation mondiale de la santé) a initié depuis quelques années faisant savoir que le fait de pratiquer la circoncision donnait une protection relative contre l’infection à Vih/Sida chez les hommes. Cela est parti du fait qu’ils ont remarqué que dans les pays où la circoncision est pratiquement faite chez presque tous les hommes, l’infection à Vih/Sida chez les hommes avait un taux beaucoup plus bas que dans les pays où la circoncision ne se pratique. Des études ont été faites, et les résultats ont plus ou moins confirmé cette hypothèse. Ce qui a fait que beaucoup de chirurgiens dont une équipe sénégalaise étaient sollicités avec les Juifs qui font aussi systématiquement la circoncision pendant la période néonatale pour essayer de voir dans les pays où la circoncision ne se fait pas même chez les adultes comment promouvoir cette pratique. Ceci pour pouvoir diminuer le risque d’infection.
Qui dirigeait cette équipe sénégalaise ?
Ce n’était pas une équipe dirigée par quelqu’un, mais on avait sollicité en 2013 quelques chirurgiens d’ici dont moi-même, pour un séjour d’un mois en Israël pour voir dans quelles mesures on pouvait constituer un groupe d’intervention avec les Juifs qui font la circoncision le jour du baptême de l’enfant parce que chez eux ce sont les prêtres qui le pratiquent et non le personnel médical. La petite histoire, c’est que quand Israël a connu le retour des Juifs de l’Afrique de l’Est et de l’Europe de l’Est, c’étaient des adultes qui n’étaient pas circoncis. Il fallait pour ces prêtres chirurgiens acquérir une expérience des pays où la circoncision est pratiquée pour pouvoir pratiquer la circoncision chez ces adultes. C’est dans ce cadre que cette équipe sénégalaise a été sollicitée, pour ensuite descendre vers les pays de l’Afrique de l’est où la circoncision n’est pas pratiquée pour faire baisser la prévalence de l’infection à Vih/Sida chez les hommes.
Concrètement, qu’est-ce qui permet de réduire le risque d’infection chez un homme circoncis ?
Chez le patient non circoncis, il y a le prépuce qui recouvre le gland qui est souvent humide, souvent pas bien nettoyé chez certaines personnes faisant que les infections au niveau du prépuce (Ndlr : l’extrémité sensible du pénis) sont assez fréquentes. Cela fragilise plus ou moins la muqueuse du gland qui fait qu’avec les inflammations et les infections, l’infection à Vih/Sida peut avoir lieu plus facilement. Maintenant, en faisant la circoncision, le gland est à l’extérieur et n’est plus soumis aux infections répétées et à l’humidité permanente. Ce qui fait que le risque infectieux diminue drastiquement parce qu’il n’est plus couvert, il n’y a plus cette humidité permanente qui entraine l’infection. Le fait que la muqueuse du gland soit à l’extérieur, à l’air libre, lui donne de la résistance. La muqueuse se densifie rendant ainsi la pénétration du virus du sida un peu plus difficile que quand il y a une inflammation du prépuce avec tout ce qu’il y a comme infections, avec tout ce qu’il y a comme petits traumatismes pour ouvrir les tissus. Mais ce n’est pas une protection à cent pour cent. C’est une protection relative.
La sécurité qui doit accompagner la circoncision est-elle toujours garantie, si l’on sait que c’est un acte médical, mais généralement posé au Sénégal par des infirmiers et parfois par des Agents de santé communautaires (Asc) ?
La circoncision, en plus d’être un acte médical, est un acte chirurgical qu’il ne faut même pas banaliser. Tout acte médical est un acte posé par un médecin. Mais comme tout ce qui se passe dans nos pays où les gens sont en déficit de personnel médical, les médecins ne se retrouvent pas partout pour pouvoir pratiquer certains gestes. Pourtant, dans la constitution du Sénégal, la consultation est un acte médical. Mais il n’empêche que dans les postes de santé, on consulte parce qu’il n’y a pas de médecin. Cela fait que les circoncisions sont faites au niveau des postes de santé, au niveau parfois même des Cases de santé. Car, on ne peut pas empêcher à la population de bénéficier de cet acte médical. L’essentiel est que celui qui le fait soit qualifié.
Y a-t-il lieu de légiférer sur cette pratique de sorte à permettre aux infirmiers et aux Asc de faire la circoncision en toute légalité avec des compétences renforcées ?
Je pense qu’il faut adopter la loi, puisqu’on n’a pas de médecin partout, on n’a pas de spécialiste partout pour pouvoir pratiquer certains gestes. Je pense qu’il est temps pour que cette disposition de la loi soit revue pour qu’on puisse étendre cette compétence aux autres personnels de la santé. C’est un acte que, si on l’apprend, peut se faire sans risque. Parce que le problème, c’est quand il y a des complications, comment les gérer ? C’est cela qui pose plus de problèmes. Malheureusement, nous les urologues, nous recevons les complications que les gens font, et pire, à un stade un peu tardif parce qu’il n’y a pas de spécialiste partout pour les prendre en charge. Par exemple, quelqu’un peut d’une manière malencontreuse couper le gland d’un enfant. Si on n’est pas dans une zone où il y a une possibilité de récupérer rapidement cette partie coupée, parce que le spécialiste n’est pas là pour cela, à coup sûr, l’enfant risque de se retrouver avec un gland amputé.
Et que lui arrivera-t-il après ?
Cela ne veut pas dire qu’il ne sera plus homme. Aussi ce n’est pas forcément parce qu’il ne pourra plus avoir des rapports sexuels. Mais, il aura une verge qui sera amputée de son gland. C’est quand même quelque chose qui manque. Ce n’est pas un gland complet, et cela peut avoir des conséquences futures aussi bien urinaires parfois que sexuelles. Cela peut avoir même des répercussions psychologiques. Malheureusement, la situation est telle quelle. Il n’y a pas de médecin partout. Ils ne sont pas en nombre suffisant à plus forte raison des médecins mêmes qui savent faire la circoncision, car il est recommandé que la circoncision soit faite par un chirurgien.
La circoncision est-elle différemment pratiquée au Sénégal de sorte à entrainer le risque d’infection à Vih ?
A mon sens, il n’y a pas au Sénégal quelque part où la circoncision ne se fait pas. C’est une circoncision qui se fait systématiquement partout dans toutes les régions du Sénégal. Par contre, il y a des zones où la circoncision est pratiquée différemment que dans d’autres. Il y a des zones où ce qu’on coupe au niveau du prépuce est tellement minime que quand vous voyez les individus après, vous avez l’impression qu’ils ne sont pas circoncis. C’est le fait que les praticiens ne coupent pas assez le prépuce pour que le gland puisse être bien dégagé, et ça, on le retrouve dans certaines régions comme dans le Saloum. Ce qui fait que parfois même certains adultes viennent ici nous voir pour qu’on essaie de refaire la circoncision.
Comment ça ?
Ah oui ! Ce sont des gens qui ont déjà subi la circoncision, mais qui, quand ils constatent que ce n’est pas ce qui est recommandé, ils viennent nous voir et on reprend la circoncision.
Réalisé par Abdoulaye SIDY (Walf quotidien)