«A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire», disait Pierre Corneille, dans Le Cid. De cette pièce théâtrale est née l’expression, le dilemme cornélien. Au Sénégal, le président Macky Sall a fait face à ce dilemme : comment faire un mandat de sept ans, sans mécontenter les Sénégalais à qui il n’avait cessé de promettre cinq ans.
Comme Rodrigue, qui peinait à choisir entre son amour Chimère et la vengeance de son père Don Diègue, le président Sall a pu, après quatre ans, trouver la solution à son dilemme : «vaincre avec péril et triompher sans gloire».
Les premières tendances du scrutin du dimanche dernier se dessinaient au soir du 20 mars, donnant une certaine avance au «Oui» qui l’emportait dans la majorité des bureaux de vote. Cette tendance s’est maintenue jusque tard dans la nuit sans susciter le moindre enthousiasme des partisans du chef de l’Etat. Au siège de l’Apr, malgré la présence de certains responsables, aucune voix exaltant la victoire du camp présidentiel ne résonnait, s’élevant au-dessus de la mêlée. Et, si les partisans du «Oui» font profil bas, c’est parce que beaucoup d’entre eux comprennent que leur équipe a gagné un match de football en marquant un but de la main.
Macky Sall a certes gagné, mais sa victoire, à la Pyrrhus, n’a-t-elle pas été acquise au prix d’innombrables entorses à la démocratie ? Avec sa campagne anticipée, le chef de l’Etat a foulé du pied les règles qu’il a établies. En effet, après avoir signé un décret qui fixe le début de la campagne référendaire pour le 12 mars, le président Macky Sall n’a pas attendu cette date pour entamer la sienne. En outre, en annonçant le 16 février qu’un référendum allait être organisé le 20 mars, le leader de l’Alliance pour la République (Apr) a faussé le jeu démocratique en prenant tout le monde de vitesse. Pour une consultation nationale, intéressant l’ensemble des Sénégalais, le chef de l’Etat n’a donné aucune chance à ses adversaires qui ont manqué de temps et de moyen pour faire une véritable campagne sur toute l’étendue du territoire. Pendant ce temps, forts des moyens «infinis» de l’Etat, Macky Sall et ses souteneurs ont parcouru le Sénégal en distribuant des liasses. Un milliard 800 millions auraient ainsi été répartis entre les différents comités électoraux du parti au pouvoir. A ces frais de campagne destinés aux responsables politiques, viennent s’ajouter les millions que Macky Sall a lui-même distribués pour enrôler dans sa croisade contre le «Non» beaucoup de célébrités. Si contre ces arguments, les partisans du président de la République n’opposent qu’un «c’est de bonne guerre», l’image de Macky Sall a été égratignée jusqu’à l’éraflure. Des achats de conscience qui se faisaient au vu et au su de tout le monde. En l’espace de 48 heures, le lutteur Balla Gaye 2 est passé du «Non» au «Oui». Face à un adversaire qui ne donne pas de coups physiques, il n’a pas, semble-t-il, hésité à prendre 50 millions avant et 50 millions après à la suite d’une audience que le Premier ministre lui a accordée. Si pour les célébrités, le pouvoir a mis la main au plus profond de la poche, pour les Sénégalais lambda tenaillés par la faim, quelques kilogrammes de riz auront suffi. Les images montrant des pickups distribuant des sacs de riz ont fait le tour du monde, à travers la toile. Toute honte bue, Moustapha Cissé Lô s’interrogeait, tel un prince né avec une cuillère d’argent à la bouche : «Que voulez vous ? Que ceux qui n’ont rien à manger suivent ceux qui n’ont rien» ? Des pratiques aux antipodes de la morale et de la démocratie qui ont persisté jusqu’au jour du vote. A Ziguinchor comme dans beaucoup d’autres localités, le bulletin du «Non» était échangé contre cinq mille francs.
Autant d’anomalies qui ont laissé pantois beaucoup de Sénégalais qui se sont fait désirer toute la journée du 20 mars. Et malgré toutes ces armes non conventionnelles utilisées, le président Macky Sall, qui a laissé de nombreuses plumes dans la bataille, ne s’en est sorti qu’avec une victoire étriquée, obtenue à l’arrachée.
WALF