Chanteur, guitariste, reconnu internationalement comme un pionnier du «blues» ancestral, même s’il récusait ce terme peu approprié à la valeur patrimoniale de sa culture traditionnelle, Ali Farka Touré était un homme attaché à sa terre et à son histoire, et bien qu’il fût célébré jusqu’aux États-Unis, il tenait à conserver ce lien fort avec ses racines en privilégiant son quotidien à Niafunké, au bord du fleuve Niger. Disparu il y a 10 ans, le 7 mars 2006 à 66 ans, il est encore aujourd’hui un exemple de probité qui inspire ses nombreux héritiers.
Bien qu’il se soit intéressé à la musique, dès sa prime jeunesse, bien qu’il ait débuté sa carrière au cœur des années 60, ce n’est que très tardivement que le monde réalisa l’importance artistique du personnage et son immense talent de conteur. Il aura fallu des voyages et des rencontres pour que la notoriété d’Ali Farka Touré ne soit pas seulement reconnue en Afrique de l’Ouest, mais sur toute la planète. Ses conversations musicales avec Taj Mahal ou Toumani Diabaté, sa curiosité sincère pour d’autres univers sonores, et son respect pour l’histoire de ses contemporains, ont façonné son image de sage que l’on écoute et que l’on consulte.
Lors du tournage du film « From Mali to Mississippi » de Martin Scorsese, le bluesman américain Corey Harris eut le privilège de dialoguer avec Ali Farka Touré. Ce long-métrage tentait de relier deux continents, l’Afrique et l’Amérique, à travers une forme d’expression, le blues, qui semblait trouver ses origines sur la terre rouge du Mali. Est-il pourtant pertinent de comparer les musicalités africaines et américaines ? Est-il seulement légitime d’utiliser le mot « Blues » pour définir l’identité d’Ali Farka Touré ?
En enregistrant en 1994, en compagnie du guitariste américain Ry Cooder, l’album « Talking Timbuktu », Ali Farka Touré eut la possibilité d’exposer sa subtile poésie musicale et de lui offrir une exposition internationale. Mais que de chemin parcouru pour qu’enfin les trésors des traditions ancestrales maliennes parviennent jusqu’aux oreilles d’admirateurs américains et européens !
Alors, qui a raison ? Faut-il bannir à tout jamais les comparaisons entre la source africaine du blues et les ornementations américaines ? Faut-il abandonner cette comparaison récurrente entre John Lee Hooker et Ali Farka Touré ? La place d’Ali Farka Touré dans « L’épopée des Musiques Noires » a-t-elle été sous-estimée ? Les nombreux hommages rendus après sa disparition nous prouvent que son rôle fut déterminant dans notre découverte et notre connaissance des traditions africaines. Rares sont ceux à avoir osé critiquer Ali Farka Touré. Sa prestance naturelle imposait-elle le respect ou était-il tout simplement inattaquable tant son comportement, sa générosité, son grand cœur, étaient indiscutables ?
Attentif et altruiste, Ali Farka Touré s’intéressait surtout à la jeune génération. Lorsqu’il découvrit Lobi Traoré, guitariste de Ségou au Mali, il fut impressionné par son jeu enraciné dans l’âme noire, et décida de produire son album « Bamako ». Bien que son aventure musicale fut brève, Lobi Traoré, décédé le 1er juin 2010, avait pleinement tiré profit des conseils et de l’expérience de son aîné, Ali Farka Touré, dont le talent artistique et l’enracinement dans la tradition ont préservé un répertoire resté au contact de la source originelle.
RFI