C’est un secret de polichinelle de savoir que la première phase de la Couverture Maladie Universelle (CMU) qui a institué la gratuité des soins pour les moins de cinq ans a impacté négativement sur le fonctionnement de nos structures sanitaires qui manquent de tout (personnels, intrants et consommables). Ainsi le Sénégal est très en deçà des normes édictées par l’OMS en terme de personnel médical, paramédical et d’infrastructures sanitaires. Ce qui constitue un frein pour l’atteinte des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) et la réussite de la CMU. On ne peut parler de « la santé pour tous » sans au préalable fournir un personnel de santé qualifié et en nombre suffisant pouvant permettre le maillage de tout le territoire national jusque dans ses contrées les plus enclavées. Ainsi on note un manque criard de personnel de santé notamment de médecins, ce qui contraste avec le chômage endémique des agents de santé (médecins, infirmiers et sages-femmes). Sous le poids des obligations familiales, les plus dégourdis se font exploiter dans les structures sanitaires dans conditions indignes. Ceux qui ne peuvent pas faire valoir de leurs compétences dans ces conditions préfèrent se tourner les pouces ou bien changer de métier. C’est révoltant et inadmissible de voir un jeune médecin qui a sacrifié toute sa jeunesse et enduré huit (8) années de formation aussi dures que longues pour devenir un misérable qui ne peut même pas se payer le plus petit article. De là provient l’explication de ce que beaucoup de sénégalais fustigent et n’arrivent pas à comprendre jusqu’ici, je veux parler de la rareté des médecins spécialistes sénégalais dans les structures de santé. Tout le monde constate qu’il y a deux fois plus de médecins spécialistes étrangers que sénégalais dans les hôpitaux universitaires (CHU). Alors, il est important de signaler que ces médecins étrangers sont venus au Sénégal pour parachever leur formation (la spécialisation). Ce que l’on doit encourager car cela renforce la réputation de la médecine sénégalaise et contribue à l’intégration pour la concrétisation de l’unité africaine.
La question que les sénégalais devraient se poser est la suivante : pourquoi il y a peu de médecins sénégalais qui s’inscrivent dans la formation postdoctorale pour devenir des spécialistes ? Cette question trouve sa réponse dans les conditions difficiles de la spécialisation en médecine au Sénégal. Après avoir enduré les huit années de la formation initiale (médecin généraliste), le jeune médecin doit encore débourser pour payer sa formation. Du moment qu’il ne dispose pas de salaire car ne travaillant pas, ce médecin (un enfant de 28 ans) doit assurer sa formation (inscriptions, logement, transport, bouffe…) aux frais de ses parents. Il faut rappeler que l’Etat ne donne à ce médecin qu’une modite bourse qui ne couvre pas ses besoins de survie et qui n’est payée qu’à la fin de l’année académique. Cependant, pour sa spécialisation qui dure cinq ou quatre années , le médecin doit payer annuellement au minimum 500.000 F CFA ou quelquefois 3,5 millions voire plus pour les frais pédagogiques sans compter les sommes dépensées pour sa prise en charge sociale.
Sous ce rapport il devient quasi-impossible pour beaucoup de médecins sénégalais de poursuivre leur formation médicale postdoctorale en vue de devenir médecins spécialistes.
Ainsi la solution passera nécessairement par une implication de l’Etat qui a la mission régalienne d’assurer aux populations une éducation et des soins de santé de qualité. Pour cela, je suggère que l’Etat alloue plus de ressources aux secteurs de l’éducation et de la santé. Ce qui est loin d’être le cas car l’Etat traîne toujours le pas pour respecter son engagement de porter le budget alloué à la santé à 15% du budget national.
Pour doter le Sénégal d’un nombre suffisant de médecins spécialistes, l’Etat doit accompagner ces derniers dans leur formation en leur octroyant une allocation conséquente à défaut de leur payer un salaire, ceci sur la base d’un contrat bipartite gagnant-gagnant. Ce qui permettra de résorber le gap en médecins spécialistes et de réduire les disparités entre Dakar et l’intérieur du pays. Ainsi le ministère de la santé pourra doter des régions de médecins spécialistes qui par ailleurs ne trouvent aucune motivation pour y aller. Cette démotivation résulte du fait que le spécialiste qui sert en région travaille plus car le plus souvent étant seul pour une population qui dépasse de très loin les normes, pour se retrouve à la fin des mois avec un salaire sensiblement égale à celui du médecin généraliste. Au même moment son collègue établi à Dakar peut gagner des fois en une journée l’équivalent du salaire d’un médecin de la fonction publique.
J’espère que mon appelle sera entendu pour la réussite de la CMU au grand bénéfice des populations.
Dr Amadou SOW
Secrétaire Général du COMES: Collectif des Médecins en Spécialisation