Le ministre de l’Economie, des Finances et du Plan a fait perdre au Trésor public plus de 40 milliards de francs Cfa dans des remises gracieuses d’impôts à des contribuables très solvables. C’est ce qu’a annoncé hier, lors d’une conférence de presse, le Syndicat autonome des agents des impôts et domaines (Said).
Lequel s’est également offusqué de la renonciation à 4,1 milliards au profit des sociétés de télécommunication ou encore un abandon d’impôt sur le résultat au profit du Port pour un montant de 8,5 milliards. Des manquements que les syndicalistes assimilent à une prédation des recettes budgétaires.
Les syndicalistes ouvrent les poubelles des Fisc. Après avoir tenté en vain d’entrer en contact avec les plus hautes autorités du pays pour les mettre au parfum des nombreux milliards jetés par la fenêtre par le Fisc, le syndicat autonome des agents des impôts et domaines (Said) a tout mis sur la place publique, hier. En conférence de presse, les camarades d’Elimane Pouye ont révélé que le Trésor public sénégalais a perdu plus de 40 milliards de francs Cfa dans les remises gracieuses d’impôts, une nouvelle mesure du Code général des impôts destinée aux entreprises coupables de fraude fiscale et faisant l’objet de redressements fiscaux. Et selon, les syndicalistes, du Code général des impôts de 1976 à celui de 2012, en passant par celui de 1992, et malgré les multiples modifications, la remise gracieuse a toujours été réservée aux seules personnes indigentes ou en situation de gêne. «Les agents de notre Administration ont toujours refusé d’instruire de telles demandes malgré la pression de la hiérarchie qui les savait illégales. Par cette modification, on aura légalisé une forfaiture et ouvert la boîte à pandore pour de telles pratiques. En tout état de cause, cette loi aura fini de porter un sacré coup au consentement à l’impôt parce que porteuse de germes de discrimination, de népotisme et de corruption», souligne la déclaration liminaire du Said lors de la conférence de presse.
Même si ces remises gracieuses ont généré des pertes de recettes pour le Trésor public pour un montant estimé, par ledit syndicat, à plus de 40 milliards, le plus grave pour eux, c’est qu’elles ont été accordées gracieusement à des «contribuables très solvables». Sans vouloir dénommer les véritables bénéficiaires, les syndicalistes cite quand même les cas d’une société de distribution d’essence qui, au même moment, a racheté plusieurs stations services à ses concurrents, pour 1 milliard 324 millions 110 mille 600 francs, d’un grand groupe de presse que récemment des sondages ont désignés leaders dans plusieurs secteurs des médias pour 1 milliard 5 millions 954 mille 330 francs Cfa, ou encore cette société d’assurance détenue par des capitaux exclusivement sénégalais pour 971 millions 506 mille 948 francs. «Si le ministre de l’Economie, des Finances et du Plan conteste, le Said est prés à publier au détail prés la liste des entreprises et les montants», préviennent les syndicalistes qui s’interrogent sur le fait que celles-ci soient estampillées confidentielles.
4,1 milliards laissés aux opérateurs télécoms
A ces recettes perdues dans les remises gracieuses, les syndicalistes ajoutent la renonciation à des recettes fiscales votées par l’Assemblée nationale le 27 octobre 2014, par une loi de finances rectificative qui a institué à son article 20 le prélèvement spécial sur le secteur des télécommunications (Pst) applicable «à compter du 1er janvier 2014». Selon eux, le ministre de l’Economie, des Finances et du Plan s’est «royalement arrogé le droit, dans une correspondance, de la faire appliquer à partir de décembre 2014, soit, onze mois après. Ainsi, selon M. Pouye, Amadou Bâ a fait perdre au Trésor public au minimum 4 milliards. Selon le syndicaliste Sonatel y gagnerait 3,3 milliards de francs, Expresso 350 millions et Tigo 400 millions.
Dans les arbitrages aussi, le Trésor a perdu gros, selon les syndicalistes. Rappelant qu’en 2014, pour un redressement fiscal d’un montant de 13 milliards, la Cbao a été invitée à s’acquitter de la modique somme de 2 milliards pour solde de tout compte, ils estiment que le ministre de l’Economie et des Finances a, par la même occasion, renoncé «par une décision d’opportunité» à 10 milliards au profit de la banque la plus prospère du Sénégal en toute illégalité. Et plus récemment, ajoutent-ils, dans une correspondance n°006451 MEFP/CAB/CT.ID du 23 juin 2015, Amadou Bâ a consenti un abandon d’impôt sur le résultat au profit du Port autonome de Dakar pour un montant de 8 milliards 501 millions 389 mille 774 francs alors que la même société a réalisé sur le même exercice un bénéfice avant impôt de 28 milliards 397 millions 328 mille 069 francs et a effectué des dons et libéralités de 1 milliard 747 millions 247 mille 783 francs.
Les fonds communs derrière «l’agitation»
De même, les syndicalistes relèvent que l’Etat a signé avec la société Sabodala Gold, qui exploite l’or du Sénégal à Kédougou, un accord transactionnel financier relatif à la Contribution spéciale sur les produits des mines et carrières, qui a fait perdre au Trésor public la somme de 5 milliards 500 millions 317 mille 256 francs.
«A côté de ces décisions formelles, il y a des deals secrets entre les autorités de l’administration fiscale, sous l’onction du ministre de l’Economie et des Finances, et des entreprises coupables de fraudes fiscales. Concrètement l’Etat renonce à des milliards que lui doivent de grandes entreprises de télécommunication, des banques, des entreprises d’assurance etc. sous le prétexte qu’elles lui prêtent de l’argent», ajoute le Said. Qui rappelle que le Sénégal est un pays qui ne vit que de taxe puisque les recettes non fiscales financent moins de 5 % du budget. Raison pour laquelle, il veut susciter un débat national sur la politique fiscale, notamment sur les dépenses fiscales qui offrent annuellement à des sociétés étrangères plus de 300 milliards d’exonérations fiscales et la fiscalisation du secteur informel qui malgré sa contribution de 50 % à la formation du Pib ne contribue qu’à hauteur de 4 % de recettes fiscales.
Du côté du ministère des Finances, on met cette «agitation» des syndicalistes sur le compte d’une logique corporatiste et égoïste et non patriotique ou économique. «Les agents reçoivent des gratifications sur les pénalités. C’est pourquoi ils sont contre les remises gracieuses qui sont parfaitement légales parce que prévues par la loi. Le ministère a une logique économique. La fiscalité est un instrument économique. Mieux vaut aider une entreprise qui traverse des difficultés afin qu’elle puise être sauvée et payer ses impôts et continuer à en payer plutôt que de la fermer et de perdre définitivement des recettes. L’entreprise est la vache à lait de l’Etat. L’Etat a changé de philosophie. Au lieu de passer tout son temps à traire la vache, l’Etat s’intéresse et veille sur la santé de la vache car plus elle est grasse plus elle va donner du lait. Ces efforts en faveur de l’entreprise constituent un manque à gagner pour eux dans leur fonds commun», souligne un collaborateur du ministre qui a préféré requérir l’anonymat.