L’année 2014, 29 cas d’évasions ont été recensés dans les établissements pénitentiaires du Sénégal. L’année précédente, c’est-à-dire 2013, 38 cas ont été enregistrés. Jusque-là, on a assisté à une courbe décroissante. Cela malgré l’augmentation de la population carcérale qui est passée de 34 617 détenus en 2013 à 36 028 en 2014. Le nombre d’évasion avait alors baissé car il était jadis à un taux d’un évadé pour 1 000 détenus.
Lequel avait chuté jusqu’à 0,80 évadé pour 1 000 détenus. Mais cette tendance est renversée, depuis un certain temps. Car l’évasion est devenue fréquente dans certains pénitenciers. Aujourd’hui, la Maison d’arrêt de Rebeuss est en passe d’occuper la première marche du podium. Mais il n’est pas le seul car sur la liste figurent les prisons de Kaolack, Ziguinchor, Thiès, Diourbel… Selon une enquête menée au sein de certains pénitenciers, il ressort que les difficiles conditions de détention poussent certains détenus à développer un sentiment d’incompatibilité avec le milieu carcéral. Cela ressort de plusieurs témoignages de détenus. Dans le passé, de célèbres pensionnaires traduits en justice brandissent cette raison. «Madame la juge, je serais sincère pour vous dire que si l’occasion se présentait à nouveau, je vais encore m’évader. A 100 mètres, les conditions de détention sont difficiles, c’est pourquoi je m’étais évadé. Avant tout, je suis un être humain. Après mon arrestation, j’ai fait 38 jours de cellule. Je suis interdit de cour et on me refuse les soins. Ma dignité humaine est bafouée dans la détention», avait confié au juge Alioune Abatalib Samb alias «Ino» lors de son procès où il était poursuivi pour «évasion» avant son décès en détention. La même cause a été invoquée lors du dernier cas d’évasion à Rebeuss et dont les cinq ont été pris et un détenu, Mansour Diop, toujours en cavale. Les longues détentions sont bien une réalité dans les prisons. Et celles-ci incitent les pensionnaires des prisons à se faire la belle pour renouer avec leur vie d’antan. 10 ans en taule, sans procès Doyen des détenus de Rebeuss, Moustapha Sow alias «Malaw» vient d’entamer sa onzième année de détention avant jugement. 31 ans, emprisonné depuis avril 2005, il est souvent interné à l’infirmerie à cause d’une maladie qui l’a presque rongé. De visu, c’est un homme squelettique qui tient difficilement sur ses pas. Il marche en se courbant et présente des signes extérieurs de folie. Une expertise médicale ordonnée par le juge empêche sa libération. «Il mange dans les poubelles, erre dans la cour de la prison et monologue à longueur de journée», confie un de ses voisins de chambre récemment libéré, convaincu que celui-ci est gagné par la démence. Chef de la chambre 10, Mangoné Kassé alias «Alex» a bouclé neuf ans de détention provisoire. Il est à ne pas confondre avec le compagnon de feu Ino, Alassane Sy dit «Alex», actuellement détenu au Camp pénal de Liberté 6. Ce détenu est le troisième plus ancien chef de chambre de cette prison, à côté de Ndiogou Bèye. L’enquête menée par Wal Fadjri révèle que le même sort frappe son compagnon d’infortune, Bacary Cissé dit «Paul», victime de «dossier perdu», mais qui a reçu notification ces derniers mois. Détenu pour autre cause, c’est-à-dire rattrapé en prison par d’autres plaintes, ce dernier est le chef de chambre 14. Il a été placé sous mandat de dépôt depuis 2005. Pensionnaire de la chambre 31, Pape Thiam clôt le cercle des détenus ayant bouclé 8 ans sans jugement à Rebeuss. S’agissant des détenus ayant purgé 7 ans sans procès, il y a le Malien Boubacar Diarra (chambre 31) incarcéré depuis l’âge de 18 ans. Il a été placé sous mandat de dépôt le 30 janvier 2009. Viennent ensuite les prisonniers ayant bouclé six ans. Dans ce lot figurent de nombreux prisonniers qui attendent d’être fixés sur leur sort, notamment Cheikh Oumar Sow de la chambre 26. Meneur de la deuxième grève de la faim à la suite de quoi il était tombé dans le coma, des rumeurs ont même circulé au sujet de sa mort, ce qui a poussé ses camarades à la radicalisation. Et, en même temps, occasionné la mutation du major de l’infirmerie et de tous ses hommes, sur demande du procureur de la République. L’étude révèle que les longues détentions sont accentuées par l’absence d’avocats, avec des détenus ayant fait plus de six ans. C’est, d’ailleurs, la plus grosse vague. Cette liste est longue. Très longue même ! Aliou Badara Ndiaye, Saliou et Bouba ont bouclé 4 ans pour «trafic de chanvre indien» portant sur 125 kg. Pape Saër Ndiaye (emprisonné depuis 2009), Amath Dièye, Baye Niass, Baye Modou Fall, Mademba Dièye, Thiallé, Ndamal Darou ont bouclé deux ans, pour «vols». Ils n’ont encore reçu aucune notification sur la date de leur procès. La même galère concerne Moustapha Sow, Nabi Rassoul, Fallou Mboup (chambre 44) ainsi que Cheikh Oumar Sow de la chambre 45. Le surpeuplement vient se greffer à ces maux car rien qu’à Rebeuss, 50 à 80 détenus entrent par jour, alors que seuls 5 voire 15 en ressortent. Les matons, agneaux du sacrifice malgré le sous-effectif Selon une source pénitentiaire, l’effectif des gardes dans toutes les 37 prisons (que nous tairons pour des raisons de sécurité) est égal à celui de la Lgi. Cette insuffisance de surveillants de prison confère un certain avantage aux détenus. Et ils en sont bien conscients. Ce qui s’est passé aux prisons de Tambacounda et Ziguinchor, avec des attaques de prisonniers sur des matons pour s’enfuir, sont à inscrire sur ce compte. Le ratio «un garde pour deux détenus» est loin de trouver un terrain d’application au Sénégal, même si cela relève des normes internationales. C’est d’ailleurs le même motif (insuffisance de gardes) qui avait facilité à Ino son évasion spectaculaire en 2001. Il s’est rué sur le maton et le frappe avec violence. Avec ses complices, ils réussissent par la suite, à l’aide d’armes blanches, à maîtriser le seul gardien qui se trouvait à la porte principale, avant de s’échapper. Plusieurs évasions de détenus se sont soldées par des sanctions judiciaires et disciplinaires, dans les rangs des agents de l’Administration pénitentiaire. Suite à l’évasion de quatre détenues de la Maison d’arrêt et de correction pour femmes de Rufisque, condamnées pour «trafic international de cocaïne», la directrice de la prison a été mutée et deux gardes condamnés pour «complicité et négligence». L’évasion d’Ino n’est pas restée impunie. Selon plusieurs témoignages, «Ino aurait profité du manque de vigilance du seul gardien qui, au moment des faits, dégageait les bols vides afin de permettre aux détenus d’avoir assez d’espace où dormir». Une évasion qui va secouer l’Administration pénitentiaire puisque le directeur adjoint d’alors a été placée sous mandat de dépôt par le doyen des juges de l’époque, Demba Kandji, le 10 juin 1999. Un autre maton le rejoint au gnouf quelques jours plus tard. Il fallait s’y attendre suite à la menace brandie par Serigne Diop, ministre de la Justice d’alors. «La justice sénégalaise doit être reconnue comme la femme de Cléopâtre, c’est-à-dire qu’elle doit fonctionner de telle sorte qu’on ne doit soupçonner aucun de ses membres. Cela pour dire que les exigences de la justice doivent être vécues totalement et acceptées par ses membres (…). Tous ceux qui sont trempés dans cette histoire seront purement et simplement sanctionnés», avait-il indiqué. Dossiers perdus, détenus oubliés… Les détenus oubliés ou victimes de dossiers perdus se disent être victimes d’«esclavage». C’est le cas pour Ibrahima Sall alias «Yves». Condamné à six mois, il a été oublié dans la prison pendant deux ans et 18 mois avant d’être libéré. «Il aura fallu que l’assistant social fasse des diligences auprès du greffe pour qu’il soit libéré», témoigne le concerné. Certains détenus durent en prison à cause des nombreux renvois. C’est le cas de Manguèye Dione qui a été renvoyé pendant 18 mois. Et pourtant, les autres personnes impliquées dans le dossier ont été libérées. Imam Mané de la chambre 2 a vu son jugement renvoyé plus d’un an ainsi que son co-détenu du nom de Coulibaly. A la Mac de Thiès, une dame attend désespérément sa libération prononcée par la Cour d’appel. Mais qui est retardée par le fait que le dossier s’est égaré quelque part dans les tiroirs de la Justice. Les projets entrepris par l’Administration pénitentiaire sont censés résoudre les problèmes qui incitent les détenus à l’évasion. Il s’agit notamment de la pose de la première pierre de la prison moderne de 1 500 places et de l’Ecole nationale de l’Administration pénitentiaire à Sébikotane. L’allocation journalière des détenus sera portée de 721 à 1 000 Frs Cfa. Il s’y ajoute d’autres mesures comme la libération conditionnelle de plusieurs condamnés. Mais les responsabilités sont aussi élargies aux procureurs et juges d’instruction, auteurs des «mandats de dépôt systématiques» à l’origine du surpeuplement dans les prisons. Elles sont aussi élargies à la Chancellerie avec les promesses de la tenue d’une session de Chambre criminelle avant fin 2015 parmi tant d’autres annonces qui tardent à se concrétiser. Entre le détenu et l’évasion, c’est un mariage qui remonte aussi longtemps que l’histoire des prisons. Le phénomène a toujours existé. Au Sénégal, on se rappelle de l’évasion d’Ino de la prison de Rebeuss, laquelle n’était que le parachèvement de deux premières tentatives au niveau du commissariat central de Dakar. Ce qui l’a conduit jusqu’en Belgique avant d’être pris et rapatrié sur Dakar, en 1997. Il n’avait que 20 ans à cette époque. Si le plus célèbre cas d’évasion reste celui de feu Alioune Abatalib Samb «Ino», d’autres cas sont répertoriés, notamment le légendaire Yaadikone qui s’est distingué par 32 évasions avec autant d’arrestations. Pape NDIAYE