Devant sa petite tente plantée aux abords de la piste d’atterrissage de
Ce jeune homme de 26 ans, qui dit avoir pardonné « pour que le pays avance », n’attend désormais qu’une chose : voter. « Avec la transition, il n’y a pas de bonne gouvernance, tout le monde veut un bout de pouvoir. Si on trouve un homme qui répond aux besoins de ce peuple, cela va changer », espère-t-il. « Sans élection, les gens en armes continueront à semer l’anarchie », ajoute Emmanuel Namkpanon, son ancien voisin, également réfugié dans ce vaste camp, dont le nombre de pensionnaires varie, par milliers, au gré des flambées de violence.
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Le même désir est invoqué non loin de là, au PK5 (poste kilométrique 5). Le dernier fief de la minorité musulmane à Bangui s’est partiellement désenclavé depuis la venue du pape François, fin novembre, mais demeure un ghetto dont on ne sort qu’en prenant des précautions qui peuvent s’avérer salvatrices. « Maintenant, je vais à la banque ou à la mairie dans le centre-ville, mais je change de tenue. J’enlève mon boubou, car c’est encore dangereux », raconte Amadou Kabara.
« Je veux voter, car il faut que la paix s’enracine. Il faut que l’on élise un homme capable de nous ramener des investisseurs », estime ce commerçant, pris en étau entre les anti-balaka, qui ont attaqué le quartier à de multiples reprises, et les autoproclamés protecteurs des lieux, regroupés autour de personnalités de l’ex-Séléka, la rébellion qui avait occupé le pouvoir de mars 2013 à janvier 2014.
« Fausse transition »
Ces derniers jours, la République centrafricaine (RCA) a vécu à l’heure de la campagne pour les élections présidentielle et législatives. Les affrontements ont cessé. Bangui s’est couverte d’affiches à l’effigie des candidats. Les trente postulants à la présidentielle ont enchaîné les meetings. Les plus nantis ont sillonné le pays en avion pour convaincre les quelque deux millions d’inscrits sur les listes électorales de voter pour eux. Plus que les programmes axés sur la réconciliation, la restauration de la sécurité et le développement, ce sont les distributions de tee-shirts et de billets qui ont aimanté les foules.
Après l’annonce, le 24 décembre, d’un huitième report du vote depuis mars 2014, alors qu’il devait se tenir trois jours plus tard, les scrutins destinés à élire un nouveau chef de l’Etat et 140 députés étaient prévus pour le mercredi 30 décembre.
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La France, en premier lieu, tenait à tout prix à ce qu’ils soient organisés avant la fin de l’année. « Il faut sortir de cette fausse transition qui n’a que trop duré pour avoir une autorité reconnue avec laquelle nous pourrons traiter. Ces élections ne seront pas parfaites, mais c’est le moment. Et quelle est l’alternative ? », considère une source au ministère français de la défense, pressée de rapatrier une partie des 900 soldats encore déployés dans le cadre de l’opération « Sangaris ».
L’organisation de ces élections est un immense défi dans un pays où, en de nombreux endroits, les infrastructures routières appartiennent au passé et où la loi des armes est toujours d’actualité. Le référendum du 13 décembre, qui a validé l’adoption d’une nouvelle Constitution, a permis de mesurer l’ampleur des problèmes.
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Dans le nord-est du pays, où ils se sont repliés et dans le quartier du PK5, des combattants de l’ex-Séléka ont tenté d’empêcher le vote par la violence. Leur chef, Nourredine Adam, a proclamé la sécession des zones qu’ils contrôlent, avant de revenir sur ses déclarations, sous la pression du Tchad, notamment, qui conserve une influence sur ses anciens protégés. Les groupes anti-balaka, fidèles à l’ancien président François Bozizé, ont, eux aussi, perturbé le vote dans la région de Bossangoa, leur fief.
La pression militaire des forces internationales – casques bleus de la Minusca, la mission de maintien de la paix de l’ONU en RCA, et soldats français – a poussé les responsables de ces deux groupes, théoriquement ennemis, mais qui partagent des intérêts communs, à accepter le jeu démocratique et de soumettre leurs revendications aux futures autorités. « La communauté internationale est plus forte que nous. Nous allons laisser la population voter librement et attendre le président élu pour discuter avec lui de notre désarmement. Nous avons compris que la communauté internationale veut se débarrasser du problème et vous verrez qu’après le vote, ça va capoter », prédit le « général » Abdoulaye Hissène, l’un des chefs de l’ex-Séléka du PK5.
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Des cartes d’électeurs sous le manteau
La menace d’une élection empêchée par les armes semble passée. D’autres épreuves sont à surmonter. Les bulletins de vote fabriqués à l’étranger ne sont arrivés à Bangui que quelques jours avant le vote. Ils sont en cours d’acheminement. « En voiture, à moto, à bicyclette ou en pirogue, le matériel sensible sera déployé sur toute l’étendue du territoire », promettait lundi Julius Ngouade-Baba, le rapporteur général de l’Agence nationale des élections (ANE). Une autre source considérait que « ce serait un miracle » si le vote se tenait dans 80 % des 5 687 bureaux de vote. La principale inquiétude porte sur les législatives, où les bulletins de 37 des 140 circonscriptions n’avaient pas encore quitté la capitale lundi 28 décembre.
Autre problème à régler dans l’urgence, celui du niveau des agents électoraux. Des formations sont dispensées en urgence, des présidents de bureau et des assesseurs ont été remplacés à la hâte après le fiasco du référendum constitutionnel de décembre, où près de la moitié des procès-verbaux de décompte des voix étaient invalides ou inutilisables car, selon plusieurs sources, de nombreux agents étaient illettrés. Une autre source évoque un sabordage volontaire, car ces derniers n’avaient pas reçu leurs salaires. Une répétition de ces défaillances entacherait gravement la crédibilité des élections.
Enfin, plusieurs candidats s’inquiètent ouvertement de fraudes. Ils disent avoir constaté que des cartes d’électeurs se vendent sous le manteau. Ils doutent également de la partialité des autorités de transition qui, faute de pouvoirconcourir, favoriseraient un poulain.
Avec un pays où il n’existe même plus un squelette d’administration, où les groupes armés attendent en embuscade, où l’économie est dévastée et où les serviteurs de l’Etat, au sens premier du terme, ne se bousculent pas, « le futur président, quel qu’il soit, aura une bombe à retardement entre les mains, admet un proche d’un candidat. Sans une volonté ferme des nouvelles autorités et un soutien massif de la communauté internationale, on ne s’en sortira pas ».
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