Depuis 72 heures, le paysage médiatique sénégalais est secoué par l’affaire Lamine Diack. Les procès verbaux divulgués par les journaux le Monde, L’Equipe, le Parisien éclaboussent le Sénégal. Lamine Diack, ex-président de l’Iaaf, a reconnu qu’il était à la tête d’une vaste entreprise de corruption. Les faits sont dignes d’un film de Al Capone. Pourtant, un petit rappel historique nous édifierait à mieux cerner cette affaire.
En effet, c’est le journal anglais The Guardian qui avait sorti dans un premier temps un papier en décembre 2014 parlant de corruption au sein de l’Iaaf et impliquant directement le fils du président de l’Iaaf, en l’occurrence Pape Massata Diack. The Guardian avait même avancé le montant de 5 millions dollars qu’aurait touchés Massata Diack pour la candidature des Jeux à Doha (le quotidien Le Soleil du 13 décembre 2014.) En plus, en décembre 2014, la télévision ARD (Allemagne) avait publié un reportage choc intitulé : «Dopage confidentiel : Comment la Russie fabrique ses vainqueurs» et elle avait déjà évoqué l’entreprise de corruption qui minait l’Iaaf, et par ricochet son président.
Cette diffusion avait poussé l’Assemblée nationale allemande à réclamer la création d’une commission d’enquête.
Enfin, dans une émission à Canal Plus appelé le «Supplément», le ministère français des Sports avait réagi sur l’argent du dopage en admettant qu’il y avait réellement des faits de corruption de la fédération de Russie au bénéfice de certains membres de l’Iaaf. Il avait décrit, de manière scientifique, comment cette machination s’opérait. Le responsable de la lutte antidopage Gabriel Dollé cachait les résultats des tests, moyennant des versements d’espèces. Des faits reconnus par Lamine Diack, en parlant des versements en espèces de l’ordre de 190 000 euros au profit du Dr Dollé.
Cependant, ces révélations ont des conséquences néfastes, qu’on se situe du côté des sportifs ou du Sénégal. En effet, pour les sportifs, ce scandale révèle la tricherie qui a toujours prévalue au niveau de l’Iaaf. Dès lors, il existerait de réels doutes sur certaines performances des athlètes. Sous ce rapport, Lamine Diack a fait du tort au monde de l’athlétisme. Sa démission expresse du Cio en atteste au lendemain de sa mise en examen. Aussi, les sponsors officiels de l’Iaaf vont réclamer des dommages et intérêts. Ceux qui suivent l’actualité, savent que les faits poursuivis par le teigneux juge Renaud Van Ruymbeke (Babacar Justin Ndiaye, laser du lundi, sur Dakar actu) contre Lamine Diack sont graves. D’ailleurs, depuis novembre 2015, M. Diack est poursuivi pour abus de biens sociaux, faits de corruption et blanchissement aggravé, et il encourt la peine de 10 ans d’emprisonnement ferme.
Pour le Sénégal, cette affaire a une double conséquence, tant sur le plan moral que politique. En effet, monsieur (vous m’excusez d’employer le minuscule) Diack a sali le Sénégal. Il a déshonoré le Sénégal, il a commis un acte de trahison.
Je m’explique : Lamine Diack était un ambassadeur du pays, et il a été nommé à ce poste parce que la République a mis des moyens, et des hautes personnalités se sont mobilisées pour sa réélection, sous ce rapport, il a commis un acte de trahison. En plus, le fait le plus grave pour ma part, c’est la tentative de déstabilisation du pays, lors des élections de 2012. Comme il le reconnaît, il a utilisé l’argent de la corruption pour combattre le régime de Wade, en s’appuyant sur des jeunes de la banlieue et des moyens logistiques. Dès lors, c’est un acte de trahison, car utiliser des moyens illicites pour déstabiliser un régime démocratiquement élu, équivaut à la pure trahison.
Ainsi, voilà que cette personne qui a obtenu toutes les grâces de la République, se glorifie d’avoir participé à l’alternance au Sénégal, par l’argent de la drogue, le dopage étant de la drogue. Nous devons exiger, qu’il soit arrêté et traduit devant la Haute Cour de justice pour trahison. Voilà pourquoi la justice sénégalaise se doit de se saisir du dossier, pour enquêter sur l’origine des fonds qui ont été utilisés par certaines associations très actives dont Babacar Justin Ndiaye appelle «le mouvement Y».
Enfin, la question qu’on doit se poser est : qu’est-ce que M. Diack attendait en contrepartie de ses agissements ? Car les réponses qu’il a exposées, à savoir son combat contre la démolition du stade Alassane Diouf, sont farfelues et légères. Tout le monde sait qu’on ne peut pas mobiliser 984 millions (chiffre révélé par M. Diack pour faire partir Maître Wade) pour défendre des souvenirs de jeunesse. De ce qui précède, nous devons demander la récupération de toutes les distinctions de la République reçues par M. Diack.
Sur le plan politique, la seule lecture que j’en fais, est que la manière dont les hommes politiques paradent à coups de bolides et autres moyens colossaux, lors des élections, nous obligerait à penser qu’ils bénéficient de financements extérieurs. Comme l’atteste Mr Babacar Justin Ndiaye, la France Afrique demeurera toujours. Mais le fait le plus grave est que M. Diack a admis s’être activé pour faire barrage au fils de Wade lors des élections municipales de 2009.
Il le justifie par la lutte contre la dévolution monarchique du pouvoir. Il oublie qu’il a été le premier à mettre en place cette pratique, en aidant son fils Massata à intégrer l’Iaaf et en prenant son autre fils Khalil comme conseiller.
Pour terminer, nous demandons à M. Latif Coulibaly de méditer cette affirmation de Euripide : «Parle si tu as des mots plus forts que le silence, sinon garde le silence.» En effet, sa réaction contre les révélations de Lamine Diack, parlant de complot d’un grand cabinet et dont il tait volontairement le nom, laisse penser à un manque de rigueur, mieux, à un manque de sérieux.
Cheikh Mbacké FALL