Ce n’est pas la première fois qu’un tel conflit de compétence se pose entre Tribunal civil et Tribunal militaire. Dans l’affaire Malick Bâ, le commandant Samba Sall et ses subalternes ont été mis sous mandat de dépôt par le doyen des juges de Dakar, après inculpation. Il en était de même pour l’affaire Mamadou Sy et Bana Ndiaye pour lequel l’ex-commandant de la brigade de Podor et ses présumés complices ont été emprisonnés. Leurs avocats avaient alors crié à la «détention illégale» car, pour eux, ce sont des agents de corps militaire (Gendarmerie nationale, Ndlr) poursuivis pour des faits commis dans le cadre du service.
Par voie de conséquence, leurs conseils avaient indiqué qu’ils sont justiciables devant une juridiction militaire et non devant le Tribunal civil. C’est par la suite qu’ils seront tous libérés à la faveur d’une liberté provisoire. Un conflit de compétence de cette nature a été noté dans l’affaire Ibrahima Samb consécutive à cet apprenti-chauffeur torturé à mort par des policiers (selon l’accusation) et mis dans une malle de voiture. Au nom de la compétence territoriale, le procureur de Diourbel a voulu que la Dic lui transmette les résultats de l’enquête. Cette position a été motivée par le fait que «le statut de la Police, en tant que corps paramilitaire, ne renvoie pas devant le Tribunal militaire en ce qui concerne les infractions de droit commun». Au même moment, le Tribunal militaire se déclarait compétent, au motif que les agents incriminés «des éléments d’un corps paramilitaire qui ont commis des infractions dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions». En fait, dans plusieurs affaires, le Parquet de Dakar et ceux des régions ne parlent pas le même langage. Dans bien des cas, Dakar renvoie devant le Tribunal militaire des affaires pour lesquelles les procureurs des régions refusent de saisir la juridiction militaire. Ce que Wal Fadjri avait en son temps qualifié de «tiraillement entre les parquets régionaux». Aujourd’hui, la fréquence de ces contradictions indispose dans les cours et tribunaux. L’on se rappelle que le Parquet de Kolda avait fait emprisonner deux gendarmes en service à la Bridage territoriale, suite à l’évasion de deux trafiquants de drogue pris avec 200 kg de chanvre indien. Le procureur de cette région s’était opposé à son renvoi devant le Tribunal militaire. Mais le tribunal régional des flagrants délits de Kolda va plus tard se déclarer incompétent. Le procureur s’était opposé à sa libération, alors que, dit-on, la libération s’imposait d’office. Il aura fallu d’intenses diligences pour qu’ils soient remis en liberté. Dans cette affaire, l’on a reproché au procureur d’avoir abusé de ses prérogatives pour placer les gendarmes sous mandat de dépôt, alors qu’ils étaient en service. C’est pourquoi les spécialistes de la justice militaire considèrent que «le militaire arrêté dans le cadre d’une enquête pour un délit lié au service doit être gardé à vue, pendant le temps de l’enquête, puis remis à la disposition de son unité aussitôt après l’enquête préliminaire, en attendant la délivrance d’un ordre de poursuite». D’une manière générale, le traitement de certaines affaires laisse voir une «contradiction manifeste». Dans certains cas, les militaires sont renvoyés devant le Tribunal militaire pour des fautes commises dans l’exercice de leurs fonctions et même pour des infractions relevant du droit commun. Pour d’autres, ils sont renvoyés devant les juridictions de droit commun. Les exemples ne manquent pas pour le second cas. Dans l’affaire Balla Gaye, le policier Thiendella Ndiaye, agent d’un corps paramilitaire qu’est la Police, a été traduit devant le Tribunal militaire. La même situation a prévalu dans le dossier des conducteurs du véhicule Dragon de la Police à l’origine de la mort de Mamadou Diop, lors des violences électorales. Le douanier Serigne Mbaye Fall (la Douane est un corps paramilitaire) a été traduit devant la Cour d’assises militaire pour avoir tiré sur le crâne d’un fraudeur, à Matam. Auparavant, lorsqu’il a été renvoyé devant la Cour d’assises civile de Saint-Louis, celle-ci s’était déclarée incompétente et l’a renvoyé devant la juridiction militaire. Le dernier cas en date est celui d’un garde pénitentiaire de la prison de Kédougou traduit devant le Tribunal militaire. Par contre, dans d’autres affaires similaires, le Tribunal militaire est entré en compétence. Le dernier exemple est le cas de l’ex-directeur de la prison de Thiès, Bada Fall, poursuivi pour avoir monnayé des grâces présidentielles. Il en est de même pour le lieutenant de la Douane impliqué dans l’affaire du Lamantin Beach. A cette liste, s’ajoutent les policiers de Grand-Yoff dans la mort d’Ousseynou Seck jugés au Tribunal correctionnel de Dakar. L’article 37 du Code de justice militaire stipule : «les infractions d’ordre militaire et les infractions d’ordre toute nature commises par les militaires dans le service, la caserne et les militaires chez l’hôte sont justiciables devant les tribunaux ordinaires à formation spéciale». La solution réside, pour certains, dans l’organisation de séminaire de mise à niveau à l’attention des procureurs sur la procédure militaire. Cette formation continue en direction des parquetiers sur le Code de justice militaire et sur le statut paramilitaire est pour qu’ils accordent leurs violons dans le traitement des affaires militaires.
P. NDIAYE