Sous le prétexte d’une fraude dans le concours des élèves-maîtres, Serigne Mbaye Thiam s’est substitué à la Justice en écartant, d’office et d’autorité, les 690 présumés faussaires, sur la base d’un arrêté ministériel. Conséquence juridique : au regard de la loi, les griefs reprochés aux futurs enseignants n’existent pas, faute de constat des faits par voie judiciaire.
Dans son arrêt rendu à la veille de la Tabaski, la Cour suprême a annulé l’arrêté n°38-16 du 27 août, du ministre de l’Education nationale, portant «annulation de l’admission de 690 élèves-maîtres». Serigne Mbaye Thiam en a ainsi décidé suite à des soupçons de fraude. Il a annulé leur admission et procédé à leur remplacement. Au lendemain de leur radiation, les concernés ont attaqué la décision ministérielle, à travers un «recours en annulation pour abus de pouvoir», devant la Cour suprême qui leur a donné gain de cause. Une déroute qui lève un coin du voile sur la démarche jugée «laconique» du département en question.
La première erreur fatale du ministre a été de sanctionner d’office et d’autorité, alors que l’affaire à une connotation purement pénale. «Le soupçon de fraude ne repose sur aucune base légale. La fraude n’a pas été constatée juridiquement. De ce fait, il n’appartient pas au ministère d’en faire le constat parce qu’il n’est pas une entité juridique. Une fraude se constate non pas sur constat des agents du ministère, mais par un auxiliaire de justice assermenté», révèle un spécialiste en droit. Selon le juriste, «il n’appartient pas au ministre de l’Education nationale de sanctionner en cas de fraude. Ce que la loi lui autorise de faire, c’est de prendre des sanctions disciplinaires lorsqu’il constate une faute lourde comme l’absentéisme d’un enseignant. La fraude ne relève pas de la compétence de l’Administration».
Il ressort de ces éclairages que le ministère se devait d’intenter une procédure en «faux et usage de faux» et porter plainte. La Justice se chargerait alors d’auditionner les concernés, c’est-à-dire les 690 élèves-maîtres et déterminer s’il y a fraude ou pas. En ce moment, le ministre peut, valablement, prendre un arrêté de suspension, le temps que le contentieux soit vidé par les tribunaux. De ce fait, même une saisine de la Cour suprême n’allait pas annuler la suspension de ces élèves-maîtres car cette juridiction ne statue jamais sur une affaire déférée devant elle tant que les juridictions inférieures n’auront pas vidé le dossier. C’est le principe selon lequel «le criminel tient le civil en respect».
Ce qu’en dit le Code des obligations de l’Administration
La fraude dans le concours des 690 élèves-maîtres, pour la session 2013-2014, a été découverte à la suite d’une mission de contrôle des inspecteurs de l’éducation. Les conclusions ont révélé que des notes ont été gonflées. Sur les 2 545 admis, 690 l’ont été suite à des falsifications de notes. En l’état, il semble que le ministère de l’Education nationale n’est pas dans une logique de se conformer à la décision rendue par la Cour suprême. Du moins si l’on se fie aux réactions du ministre lui-même et de certains de ses collaborateurs qui, au lendemain de l’annonce de la décision de désaveu, ont estimé que la fraude a bel et bien existé. Et que la Cour suprême n’a statué que sur la forme et non sur le fond. Les conséquences d’une inexécution d’une décision de Justice sont lourdes, sur le plan pécuniaire. Oubliant ainsi qu’une juridiction qui statue sur la forme en annulant une procédure n’examine jamais le fond. Les articles 142 et suivants du Code des obligations de l’Administration prévoient un «dommage anormal et spécial». Ce qui signifie que la réintégration des 690 élèves-maîtres dans le circuit et leur indemnisation s’imposent.
Un ministère miné par des scandales
Ce scandale n’est pas sans rappeler les cas précédents qui ont éclaboussé l’Education nationale. L’histoire des faux ordres de mission et de service est pendant en justice. Certains sont en liberté provisoire, d’autres toujours en détention. Une autre affaire impliquant l’Office du bac et dont le plaignant est la fille d’un célèbre dignitaire est aussi en examen devant les cours et tribunaux. Et pour boucler la boucle, les cas de fraudes massives notées dans les examens et concours avec des candidats détenteurs de copies corrigées, les scandales notés sous le magistère de Kalidou Diallo, entre autres.
Pape NDIAYE