Le 27 septembre 2015, l’Assemblée générale des Nations Unies a adopté officiellement les dix-sept nouveaux Objectifs du millénaire pour le développement durable (Odd) qui vont remplacer les anciens Omd. Quinze ans auparavant (en 2000), les dirigeants de la planète s’étaient en effet mis d’accord pour adopter une stratégie commune sous forme d’une «Déclaration du Millénaire».
Huit Objectifs du millénaire (Omd) furent alors adoptés, concluant toute une série de conférences et de sommets internationaux organisés dans les années 90, notamment : le Sommet mondial de l’alimentation en 1996 (réduire de moitié la faim en 2015) ; la Conférence internationale sur la population et le développement (Caire, 5-13 septembre 1994). Un plan sur la population et le développement a été établi pour être mis en œuvre par tous les pays lors de cette Conférence ; la quatrième conférence sur la femme (Beijing, 1995) ; la Conférence internationale sur l’environnement : Copenhague (décembre 2009) et Afrique du Sud (décembre 2011).
Les sept premiers objectifs visaient à éradiquer l’extrême pauvreté et la faim, assurer l’éducation primaire pour tous, promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes, réduire la mortalité infantile, améliorer la santé maternelle, combattre le Vih/Sida, le paludisme et autres maladies infectieuses et assurer un environnement durable. Le huitième objectif encourageait et recommandait la mise en place d’un partenariat global pour le développement, assorti d’objectifs spécifiques en matière d’aide internationale efficace, de relations commerciales et d’allègement des dettes.
Intérêt et limites des Omd
L’intérêt principal des Omd réside dans ce que la fixation de cibles précises à atteindre en 2015, et la définition de cibles intermédiaires, contribue à donner plus de cohérence et plus d’orientation vers les résultats aux politiques de développement des pays en développement et notamment africains. L’intégration des Omd dans les Documents de stratégie de réduction de la pauvreté (Dsrp) a grandement facilité leur opérationnalisation dans les budgets des pays, à travers des allocations pour les secteurs prioritaires, en particulier sociaux, et l’engagement accru de la communauté internationale en faveur de l’Afrique à travers l’aide publique au développement. De fait, la plupart des pays ont pu améliorer certains de leurs indicateurs sociaux dans la décennie 2000-2010.
Toutefois, les premières évaluations de ces conférences (5 et 10 ans après) ont révélé que des progrès minimes ont été réalisés, mais que les objectifs assignés ne sont pas atteints. De même, il ressort de l’évaluation générale des progrès accomplis en Afrique en 2012, sur le front des Omd, qu’en dépit des avancées positives dans l’ensemble, les résultats restent mitigés, selon l’indicateur utilisé et le pays concerné, tant et si bien que le rythme global de la progression ne suffira pas à garantir la réalisation des Omd avant la date cible de 2015. Sur 60 indicateurs, seuls deux (le taux net de scolarisation dans le primaire et le taux de scolarisation des orphelins par rapport aux non orphelins âgés de 10 à 14 ans) sont presque certains d’être réalisés.
Cette timide et modeste progression globale de l’Afrique sur la voie de la réalisation des Omd masque cependant de fortes disparités entre les divers groupes sociaux et les différentes régions. On constate en particulier que les gains obtenus au niveau de l’ensemble des indicateurs sont faussés, car ils ne concernent que certaines catégories de la population comme les couches les plus aisées et les populations urbaines. Les inégalités d’accès aux services publics (éducation, santé, eau et assainissement) aggravent davantage la marginalisation des groupes exclus de la société. Cet état de fait a été reconnu dans le Document final de la réunion de haut niveau sur les Objectifs du millénaire pour le développement, qui préconise de s’atteler aux inégalités comme un moyen efficace pour garantir que les progrès soient étendus à l’ensemble des segments de la population.
Cette situation, que d’aucuns peuvent caractériser de contreperformance de l’Afrique, s’explique par plusieurs facteurs : I) faiblesse des conditions initiales ; II) objectifs trop ambitieux ; III) fréquence des chocs exogènes ; IV) capacités insuffisantes des gouvernements et des administrations publiques ; V) déficiences dans les choix budgétaires et manque d’efficience dans les dépenses publiques, etc.
En vérité, la conception des Omd pose elle-même problème, en ne tenant pas compte des différences de situation entre pays, en se focalisant uniquement sur l’atteinte des cibles et en ne valorisant pas assez les progrès marginaux effectués par les pays.
L’après 2015
En perspective de l’après 2015, trois écoles de pensée se sont dégagées :
– L’école de ceux qui souhaitent prolonger, de quelques années, le délai de 2015, en gardant les mêmes indicateurs et les mêmes cibles ;
– L’école de ceux qui suggèrent d’ajuster légèrement les Omd existants, en introduisant de nouveaux indicateurs ;
– L’école de ceux qui prônent un changement profond d’approche, en repensant entièrement la problématique Omd.
En tout état de cause, les réflexions menées dans le cadre de la plate-forme «RIO+20» devraient aboutir à la définition d’un nouveau cadre de suivi du développement, à travers des indicateurs sociaux, environnementaux et institutionnels. Il s’y ajoute que la démarche Omd n’accorde pas suffisamment d’importance à la dimension économique qui est à la base du progrès social. Il est donc crucial de dépasser le cadre strict des huit Omd définis et de penser le phénomène du développement comme un tout cohérent et indivisible. Car, l’adage dit qu’on ne gère pas ce qu’on ne mesure pas. Il est donc indispensable d’élargir la perspective des indicateurs du développement, en veillant à les mettre en cohérence avec les théories de la croissance et du développement des nations, et à prendre en compte l’ensemble des dimensions du développement. Telle est du reste la Vision du programme Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad) de l’Union africaine.
Le Nepad est basé sur les principes directeurs ci-après : (I) appropriation africaine et leadership ; (II) promotion et protection des droits humains, de la bonne gouvernance et de la démocratie ; (III) la fondation du développement de l’Afrique sur les ressources et l’ingéniosité des Africains, avec un développement centré sur l’homme ; (IV) la canalisation des ressources pour une exploitation de qualité comme quantifiée par les études sur l’impact de développement et aux objectifs des consommateurs ; (V) la promotion de l’égalité entre les sexes/genres ; (VI) l’accélération et le renforcement de l’intégration économique régionale et continentale ; (VII) la construction de nouvelles relations de partenariat entre les Africains, et entre les Africains et la communauté internationale et plus particulièrement avec le monde industrialisé; (VIII) la mise en œuvre des programmes de développement holistiques et intégrés pour l’Afrique.
Cette vision du Nepad est donc en phase avec la nécessité d’élargir les indicateurs et de les considérer dans une optique de développement à long terme. Elle pose également comme exigence que les Africains s’approprient eux-mêmes leur développement et conservent donc le choix initial des indicateurs à mesurer et à suivre.
Dans le cadre des discussions sur l’après 2015, il est donc de la plus haute importance que les pays en développement (d’Afrique et d’ailleurs) proposent la première version des indicateurs du développement à suivre aux niveaux national, régional et mondial. Un dialogue pourra ensuite être ouvert pour améliorer cette première proposition et s’entendre sur la batterie d’indicateurs à considérer ainsi que sur leur niveau de suivi (national, régional ou mondial). Cette exigence a été en partie satisfaite car, contrairement aux Omd de 2000, les Odd ont fait l’objet d’échanges approfondis au sein du continent, au niveau des experts et des responsables politiques. (A suivre)
Moubarack LO
Dakar, Sénégal
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