Quatrième semaine du procès d’Hissène Habré, c’est le défilé des victimes et rescapés à la barre. Leurs témoignages surviennent après ceux des experts qui auront duré trois semaines. Récit.
Dans son témoignage devant la Chambre africaine extraordinaire d’assises, Amath Maty Otman a exposé la cruauté des hommes du président Hissène Habré face à la communauté des Hajjarays. Il en a d’ailleurs profité pour exposer l’exécution de 12 missionnaires. En réponse aux questions et interpellations des juges du Tribunal spécial, Otman a fait savoir que «les tortionnaires mettaient des brindilles ou tiges dans le pénis des détenus». Occasion qu’il saisira pour faire noter qu’«avec cette cruauté, certains détenus demandaient à mourir parce que c’était horrible». En ce qui concerne l’exécution des missionnaires protestants dans la localité de Mongo (Centre du Tchad), le témoin a expliqué que ces missionnaires ont été emprisonnés illégalement puis exécutés au pied de la montagne. Les corps ont, par la suite, été enterrés dans une fosse commune dans le village de Madia où un charnier a été trouvé.
«Les tortionnaires mettaient des tiges dans le p… des détenus»
Sa curiosité lui a valu son emprisonnement. Otman a fait savoir aux membres de la Chambre de jugement du Tribunal ad hoc qu’il a été arrêté par la milice populaire pour qu’il ne parle pas de ce qui s’est passé. C’est-à-dire l’arrestation des missionnaires, suivie des actes de tortures et de l’exécution desdits missionnaires. Détenu durant 11 jours à la maison des anciens combattants de Mongo, transformée pour les circonstances en camp de détention, il a fait part aux juges des exactions et tortures dont il a fait subies de la part des éléments de la milice populaire et de la Sécurité présidentielle de Habré. Il en profitera même pour exposer les brimades corporelles dont il a fait l’objet au niveau du dos par le seul fait des hommes de l’ex-homme fort de N’Djaména.
Quid de la responsabilité directe du Président Habré face à ces exactions commises à Mongo ? Arguments à l’appui, Otman a démontré la culpabilité directe de Habré. A l’entendre : «L’ordre d’arrêter et d’exécuter les missionnaires provenait de Habré via son autorité régionale : le préfet de Mongo». Il a également dénoncé les proches collaborateurs de Habré : Hassan Jamus et Mouhamet Bidon comme exécuteurs des ordres. Toutefois, acculé par les questions des avocats de la défense, Otman a réfuté certaines déclarations qu’il avait tenues devant la Chambre d’instruction qui ont établi l’ordonnance de renvoi de Hissène Habré en procès.
«Dans les pick-up, on s’asseyait sur les corps des détenus»
On en sait un peu plus sur les conditions de détention des détenus sous le régime du président Hissène Habré. Dans son témoignage, Gbarda Akhaï reste convaincu que la moitié de la population tchadienne a été exécutée par Habré et son régime. Pour avoir assumé les fonctions de fossoyeurs au camp de la Direction de la documentation et de la sécurité (Dds), Akhaï est largement revenu sur l’inhumation des détenus. Et, c’est pour soutenir qu’ils leur arrivaient, souvent, de s’asseoir sur les corps des détenus dans les pick-up au cours du trajet d’inhumation dans les cimetières ou fosses communes. En ce qui concerne son travail de fossoyeurs, Gbarda Akhaï de préciser : «Il n’y avait pas de linceul et pas de rituel. Avant d’embarquer les cadavres aux cimetières ou fosses communes, les corps étaient mis dans des sacs de riz». Il poursuit : «On constatait souvent des cadavres en état de décomposition. Les trous devant accueillir les corps des victimes n’étaient pas trop profonds». Non sans faire savoir que les parents des victimes n’étaient pas informés de l’état de santé des détenus.
«Les cadavres étaient mis dans des sacs de riz»
Père de 17 enfants, Gbarda Akhaï a passé deux ans et cinq mois en prison. Fossoyeur et cuisinier dans la prison dite «locaux», ensuite à la Dds, il a été torturé comme tous les autres prisonniers. Il a révélé que la nourriture, principalement constituée de boule à base de manioc et de la sauce, n’était servie qu’une seule fois dans la journée. En outre, il a expliqué que plusieurs prisonniers ont perdu la vie, à cause des mauvaises conditions d’incarcération. S’agissant des détenus, il a soutenu que c’est Habré qui ordonnait que l’on mette des câbles électriques sur leurs organes, notamment sur leurs parties intimes et leurs seins.
Gbarda Akhaï qui est également entendu à titre de simple renseignement parce que témoin et partie civile dans la procédure a exposé les exactions commises par les agents de la Dds aux détenus. Sous ce rapport, il a fait savoir que des décharges et fils électriques étaient souvent introduits dans les parties génitales des détenues femmes. «Les agents de la Dds étaient considérés comme des anges de la mort qui arrachaient les âmes de la population tchadienne», fait-il savoir. S’agissant de ses fonctions de cuisinier de la prison, le témoin a fait savoir aux juges qu’une vache était égorgée, chaque semaine, pour 3 253 prisonniers.
Magib GAYE