A peine ont-ils appris à marcher sans tomber qu’ils sont déjà livrés à la rue. Jeunes, innocents et naïfs, ils semblent ne pas être conscients de leur tragédie. Dans cette jungle, on trouve du tout : mendiants, drogués, marginaux. Eux, n’ont pas le droit de rêver. Visite guidée dans un monde où le délit fait loi.
La capitale sénégalaise n’en finit pas de manger ses enfants. Ils sont des centaines de jeunes, âgés entre 4 et 25 ans, à sillonner le chaos urbain en bande pour augmenter leurs chances de survie. Ils mendient, vivent de rapines et de petits boulots.
Il est 11 heures. Au marché Sandaga, précisément sur l’avenue Lamine Guèye, du nom de l’ancien président de l’Assemblée nationale. A côté, il y a la rue Sandiniéry. Cette rue abrite un bâtiment qui ne passe pas inaperçu aux yeux des passants. Dans ce bâtiment R+3, de couleur beige, vivent des gens qui ont choisi de tourner le dos à la société juste. C’est le lieu de résidence de ces jeunes dont l’activité favorite, à longueur de journée, est l’inhalation de stupéfiants. Ces jeunes, visages balafrés, bouches enflées, ont un regard terrifiant, et portent des coiffures extravagantes et des habits sales. Ils dégagent une odeur infecte. Certains portent des chaussures, d’autres pas. Ils vivent dans l’obscurité et le dénuement total. Ce bâtiment se situe à quelques encablures de l’immeuble Touba Sandaga. Des vendeuses de légumes et d’autres produits cohabitent avec ces marginaux qui vivent avec les ordures ménagères. Ils chinent des bagages et/ou des bouteilles vides pour aller les revendre aux «Baol Baol» (les habitants du Baol, ancienne appellation de la région de Diourbel) du parc Lambaye. C’est avec cet argent que ces jeunes survivent. Ils en achètent le diluant qu’ils sniffent à longueur de journée ainsi que d’autres drogues.
Dans ce marché devenu un repaire de délinquants, les filles ne manquent pas à l’appel. C’est le cas de Fama (nom d’emprunt). Agée d’une trentaine d’années environ, elle est installée avec ses deux enfants tout près d’un camion de ramassage d’ordures. La fillette de 3 ans est à genoux auprès de sa maman pendant que l’autre est en train de téter le sein. Quelques heures plus tard, un groupe de jeunes âgés entre 10 et 25 ans se postent au balcon du bâtiment. Pour se saouler, ils utilisent un morceau de tissu trempé dans du diluant qu’ils aspirent fortement, par la bouche ou le nez.
La police passive
Ici, passants et commerçants côtoient ces bandits en permanence. Ils n’ont pas le choix. Le marchand ambulant, Guèye, de teint noir, habillé d’une chemise blanche assortie d’un jean bleu et portant des chaussures en plastique, se dit inquiet du comportement de ces jeunes toxicomanes. «Nous cohabitons difficilement avec ces individus à cause de ce bâtiment qu’on devrait démolir. Personne n’ose s’aventurer ici à des heures tardives au risque de se faire tuer. Ces gens ne sont là que pour voler ou s’adonner à leur activité favorite: le «guinz» (inhalation de diluants, Ndlr). S’ils parviennent à voler quelque chose, ils courent se réfugier dans ce bâtiment et personne n’ose les y rejoindre», souligne-t-il. Selon Guèye, ce lieu a été baptisé «Kamb gua» ou «Réseau ba». «Il y a tout là-bas, toutes sortes de drogues et d’armes. Ils vivent avec des filles qui sont leurs femmes. La police est tout près de nous. Il y a la gendarmerie de Thionck et le commissariat central qui sont derrière nous. Chaque jour, les bérets rouges sont là sur cette avenue mais ils ne font rien», dénonce le sieur Guèye, avant de demander une aide du gouvernement pour la démolition des locaux. «Nous prions le gouvernement de nous venir en aide et de démolir ce marché et le reconstruire afin que ces vagabonds puissent déguerpir. Ces jeunes sont tous des délinquants. Ils n’ont qu’à raser ce marché», martèle Guèye.
Le vendeur de téléviseurs, Fall, qui officie dans ce marché depuis 1987, s’engage sur le même registre. Selon lui, les piétons qui circulent se méfient d’eux à cause de ces délinquants. Ils croient qu’ils sont des voleurs voire même qu’ils font partie du «gang». Par ailleurs, ce natif de Lambaye se pose la question de savoir pourquoi l’Etat du Sénégal ne peut pas déguerpir ces jeunes et démolir le bâtiment. «Pourquoi l’Etat ne peut pas prendre ses responsabilités pour démolir ce marché ? Ils n’ont rien fait. Auparavant, on l’avait incendié mais, depuis lors, ils l’ont laissé en l’état. Les policiers les voient chaque jour, mais ne disent rien. Cela n’est pas normal», dit-il. Le sieur Fall charge les agents de police: «Les policiers sont là. Les vagabonds sont là en train de tuer les gens, de les agresser et ils ne font rien», dit-il. L’homme persiste en priant le gouvernement de trouver une solution à cette situation. «Nous prions solennellement l’Etat de nous venir en aide pour que ces délinquants quittent ce lieu, qu’il fasse venir les forces de l’ordre afin de les faire sortir de ce trou», demande-t-il.
Des lieux similaires, il en existe partout dans la capitale. C’est le cas de l’ex-pont Sénégal 92 ou «Pont de l’émergence». Avant la démolition du pont, des jeunes délinquants vivaient sous le pont. Aujourd’hui, ils habitent aux alentours du chantier plus précisément dans le cercle qui se trouve auprès du pont.