Il y a trois ans, notre pays avait fêté la Korité sur trois jours, montrant le visage d’une communauté musulmane plutôt chahutée, ce qui avait poussé le Pr Iba Der Thiam à lancer au mois d’août de cette année 2012 un véritable appel… de détresse dans le quotidien national. Il y disait en substance : «De nos jours, Dieu a mis à la disposition des musulmans des moyens technologiques (téléphone, Sms, Internet, télévision, calculs astrophysiques) permettant d’être informé, en temps réel, sur l’apparition du croissant lunaire, partout dans le monde».
Et de conclure en proposant, «… que les musulmans s’asseyent, rapidement, autour d’une table et résolvent, définitivement, le problème du croissant lunaire».
Presque comme une suite de sa contribution, il y a peu, jour pour jour, était organisé un atelier en vue de «la proclamation d’une journée nationale sur le croissant lunaire au Sénégal» auquel était invité le Pr Iba Der Thiam. Assurément, une réalisation de son vœu, lui qui déclarait au sortir des travaux : «Nous pouvons trouver une solution aux divergences qui existent entre les musulmans lorsqu’il s’agit de regarder l’apparition de la lune (…) et la science peut nous y aider». Le principal objectif de la journée nationale est d’amener la communauté sénégalaise à s’accorder sur les dates de célébration des fêtes musulmanes dont la fixation dépend de l’observation du croissant lunaire. C’est que le croissant lunaire est en train de devenir un sérieux sujet de divergences avec la naissance sur les flancs de la Conacoc de nouvelles commissions d’observation concurrentes à vocation nationale. Et l’on a même vu, sur les réseaux sociaux, le sermon du vendredi d’un imam sur le mode «takfîrî» des extrémistes religieux, sermon inspiré par une fausse rumeur…
La problématique du croissant lunaire tourne autour de trois questions : ne faudrait-il observer le croissant que dans les limites étriquées et artificielles des frontières ? Jusqu’à quand faudrait-il encore rester attaché à la lettre de la tradition prophétique de l’observation à l’œil nu ? Ou bien, comme le suggère le Pr Iba Der Thiam, ne faudrait-il pas faire usage du calcul astronomique ? La journée nationale devra passer en revue ces trois questions. Par delà le Sénégal, les divergences sur le croissant lunaire embarrassent l’ensemble de la Ummah dans la diversité de ses groupes humains répartis sur tous les fuseaux horaires et sous toutes les latitudes du globe terrestre, offrant ainsi une image à l’opposé des principes d’unité et de fraternité prônés par l’islam. «Le bantou est un frère et l’arabe et le blanc», a chanté le poète président dans notre hymne national, une redite du Coran…
La problématique sénégalo-sénégalaise de la célébration à l’unisson des fêtes musulmanes pose, en même temps, la question de la détermination du début des mois lunaires et entraîne, ipso facto, celle de la crédibilité du calendrier musulman. C’est faire droit à la vérité de dire que cette crédibilité pourra difficilement être fondée sur l’observation visuelle, les paramètres à maîtriser sont trop nombreux et constituent la source du désordre constaté… D’un autre côté, le calcul astronomique ne saurait constituer un interdit religieux : c’est depuis le Khalifat abasside d’al-Mamoun, il y a près de 12 siècles, que les savants musulmans, se fondant sur les enseignements prophétiques, l’ont vulgarisé au monde. C’est un legs de la civilisation arabo-islamique au monde qu’il serait plutôt plus rationnel d’admettre comme aide à la gouvernance de la Ummah pour rester sur les traces du second khalife bien guidé du Prophète (Psl) qui a instauré le calendrier hégirien à cet effet.
C’est le Coran sublime qui institue le jeûne du mois de ramadan comme un des piliers de l’islam dans un verset, bien connu, «des jours décomptés». Le Coran ne sera pas plus explicite et c’est la pratique, la Sunna du Prophète (Psl), qui enseignera le rituel de cet acte d’adoration. Enseignement conforme avec le Coran qui indique que «les nouveaux croissants lunaires sont des marques pour les hommes et pour le Hajj» permettant de fixer les limites du mois de ramadan comme de tous les autres mois lunaires. Le Coran ne détaille pas qu’il faille observer de visu le croissant lunaire, Allah (Swt) a déjà honoré l’homme en le dotant d’intelligence. Les croyants ne jeûnent pas pour le croissant lunaire et son observation ne devrait pas passer pour un acte d’adoration : «Le jeûne vous est prescrit… pour que vous soyez pieux» ; «des jours décomptés».
Le Prophète de l’islam (Psl), le meilleur des enseignants et qui a enseigné les Mondes, indiquera à ses compagnons, dans une tradition également bien connue, le début et la fin du décompte des jours du mois de ramadan par la méthode de l’observation visuelle du croissant lunaire. Une leçon d’astronomie destinée à un auditoire qui ne savait pas écrire, encore moins calculer. Un auditoire auquel l’injonction a également été donnée d’«aller chercher le savoir jusqu’en Chine». Les compagnons, leurs suivants et les suivants des suivants sont allés aussi en Inde… Il ne s’agissait pas d’aller chercher le «savoir de la compréhension» de la religion, ‘ilm ul-fiq, mais d’y glaner la science des étoiles, l’astronomie, «les étoiles par lesquelles vous êtes guidés», dit le Coran.
Fidèles à cet enseignement prophétique, les savants musulmans, astronomes réputés des trois premiers siècles de l’ère de l’islam correspondant au Moyen-âge européen, ont enseigné le calcul algébrique au reste du monde : l’Occident en a hérité l’écriture des nombres en chiffres arabes et, dit-on, la découverte du zéro, la moitié de l’écriture informatique. C’est le titre du traité produit par l’un d’eux qui donnera son nom à l’algèbre, discipline mathématique bien connue des potaches ; le bien nommé s’appelait Muhammad Ibn Musa al-Kawarizmi, son nom ethnique désignera la méthode bien connue du monde informatique, l’algorithme.
Gros paradoxe à l’orée du 3ème millénaire ouvrant l’ère d’une civilisation des savoirs gouvernée par l’informatique, c’est l’attachement viscéral à une interprétation d’un enseignement prophétique qui sème littéralement le désordre dans la ‘Ummah et la renvoie à un autre âge d’un auditoire qui ne savait pas écrire, encore moins calculer. Faisant ainsi de larges pans de ses populations musulmanes des analphabètes du millénaire naissant au sein desquelles il est question de réduction de fractures numériques. «Quand on leur demande de suivre ce qu’il est descendu du Coran, ils disent oui mais nous suivons ce que nos pères nous ont laissés» : condamnation sans équivoque d’un conformisme contre productif qui ne favorise pas le progrès.
Cette «journée nationale sur le croissant lunaire» à organiser devra être une belle opportunité pour notre pays de marquer à nouveau son leadership au niveau de l’Oci, comme rappelé par le Pr Iba Der Thiam en faisant valider par les ”ulama ul-fiq” sénégalais un calendrier fondé sur le calcul astronomique. Pour ce faire, il est essentiel que l’autorité de l’Etat se départisse de sa «laïcité importée» pour être partie prenante de cette initiative. Entreprise titanesque surtout du fait de pesanteurs sociales, mais largement à la portée de la qualité et de l’intelligence de notre élite. Parce qu’il ne s’agit pas de réinventer la roue, les travaux sur le sujet existent depuis les débuts de l’islam produits par d’authentiques musulmans.
A l’heure de la mondialisation, l’enjeu en est pour la ‘Ummat ul-islam non seulement de montrer une image d’unité à l’opposé de l’image des déchirements qui traversent les pays musulmans, mais surtout d’être conforme à l’enseignement prophétique et de témoigner de la véracité du Message divin véhiculé par le Coran sublime. «Etre des musulmans pour lesquels le Prophète de l’islam (Psl) a été un témoin afin d’être, à leur tour, des témoins aux autres hommes», la seule attitude pour qu’il ne soit pas… caricaturé. A l’heure où l’on s’engage dans une ère de civilisation des savoirs, une ère des Lumières qu’avait déjà suscitée l’islam des premiers siècles, c’est le moment ou jamais de retrouver ce leadership et il en repassera par la remise en cause de beaucoup d’idées reçues…
Momar GASSAMA
Dakar