«L’avocat n’est pas l’ennemi de l’enquête ni des policiers. Il ne doit pas être craint ni faire l’objet de réactions méfiantes. Il ne doit pas être perçu comme un intrus, mais comme l’auxiliaire de justice qu’il est, dont la mission consiste à faire respecter les droits de son client et les garanties attachées à la défense. Les droits de la défense ne sont pas une faveur consentie à regret, mais une nécessité absolue et intangible sans laquelle il ne peut y avoir de procès équitable.»
Ce vade-mecum, signé du Conseil national des barreaux en France, marque l’entrée des droits de la défense dès le stade de l’enquête dans les commissariats de police et les locaux de gendarmerie grâce à l’assistance effective de l’avocat à la faveur de l’adoption de la loi 2011-392 du 14 avril 2011 sur la garde à vue.
Et pourtant, la présence effective de l’avocat au cours de la garde à vue, première phase de la procédure pénale, a mis du temps à s’imposer dans le droit français. Elle a subi une accélération favorable aux droits de la défense à partir d’une série d’arrêts inaugurée en 2008 par la Cour européenne des droits de l’homme dont les principes ont ensuite été repris et développés par le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation. Le législateur français a donc tiré les conséquences de l’effondrement du droit positif et du rappel par le juge de l’obligation de respecter, au stade de la garde à vue, certains standards de protection des droits des personnes poursuivies. Avec cette réforme, la France a accédé de façon concrète et effective au droit à un procès équitable. Au Sénégal, la reforme tarde à prendre forme. Les débats ne sont d’ailleurs guère suscités malgré quelques faits saillants ayant défrayé la chronique (Affaires Abdoulaye Wade Yengou et Kékouta Sidibé dans lesquelles des cas de torture suivis de mort ont été dénoncés pendant la période de garde à vue).
La garde à vue est réglementée par les dispositions des articles 55, 55 bis et 55 ter du Code de procédure pénale sénégalais. Ces dispositions ne prévoient l’intervention de l’avocat que dans l’hypothèse d’une prolongation de la garde à vue après l’expiration du délai de 48 heures initialement prévu. Cette intervention est cependant fort restreinte, car l’avocat n’a pas le droit d’assister aux interrogatoires de son client et autres confrontations. Il n’a droit qu’à un simple entretien avec ce dernier qui ne peut excéder 30 minutes avec la possibilité de présenter des observations écrites qui seront jointes à la procédure. Dans la réalité des faits, l’avocat est rarement contacté d’autant plus que la loi permet à l’enquêteur de se limiter à la seule mention dans le procès-verbal de la personne gardée à vue que l’avocat choisi n’a pu être contacté.
Aujourd’hui la recommandation de la Cour européenne des droits de l’homme, dans l’affaire Salduz C/Turquie, s’impose avec rigueur chez nous dans les mêmes circonstances et suivant le même contexte : «La notion d’assistance effective signifie que l’avocat doit avoir un rôle actif et dynamique pendant la garde à vue pour mettre en œuvre toute la vaste gamme d’activités qui sont propres au conseil». Le constat est fait que les droits de la défense sont fragilisés compte tenu du renforcement de «l’importance de la phase d’enquête préliminaire dans la constitution des éléments sur le fondement desquels une personne mise en cause est jugée». Afin de garantir une «assistance effective» par l’avocat, une réforme de la garde à vue s’impose permettant ainsi l’étendue des droits de la défense et de leur exercice. L’avocat doit pouvoir consulter le dossier de la procédure, notamment le procès-verbal d’enquête. Il doit également pouvoir s’entretenir avec son client dès le début de la garde à vue dans des conditions qui garantissent la confidentialité. L’avocat doit également être présent pendant les auditions et confrontations concernant son client. Il pourra ainsi prendre des notes, poser des questions en fin d’interrogatoire et porter des observations au dossier de la procédure, et d’autre part préparer la suite de la procédure en cas de renvoi devant une juridiction de jugement.
A l’instar des arrêts Salduz et Dayanan, nous affirmons que le droit de toute personne poursuivie à être effectivement défendue par un avocat, figure parmi les éléments fondamentaux du procès équitable. D’ailleurs, le législateur de l’Uemoa ne s’y est pas trompé. En effet, le Conseil des ministres de l’Uemoa a adopté le 25 septembre 2014 un règlement numéro 05/CM/UEMOA relatif à l’Harmonisation des règles régissant la profession d’avocat dans l’espace Uemoa. Ce règlement prévoit en son article 5 : «Les avocats assistent leurs clients dès leur interpellation, durant l’enquête préliminaire, dans les locaux de la police, de la gendarmerie, ou devant le parquet. A ce stade, aucune lettre de constitution ne peut être exigée de l’avocat.» Ce règlement est entré en vigueur depuis le 1er janvier 2015.
La question qui taraude l’esprit est, dès lors, de savoir pourquoi les dispositions prévues par ledit règlement tardent à être effectives. Il n’est pas besoin de rappeler que les règlements communautaires sont d’application immédiate et ne nécessitent guère de mesures nationales de transposition. Pourquoi refuse-t-on alors à l’avocat d’assister son client dès son interpellation ? Doit-on continuer à baisser du regard alors qu’on viole allègrement les droits de la défense depuis le 1er janvier 2015 ?
Et pourtant, l’article 166 du Code de procédure pénale prévoit clairement : «Il y a également nullité en cas de violation des dispositions substantielles du présent titre, autres que celles visées à l’article 164 et notamment en cas de violation des droits de la défense.» Il est évident qu’en application des dispositions combinées de l’article 5 du Règlement de l’Uemoa et de l’article 166 du Code de procédure pénale, toutes les procédures dans lesquelles la personne interpellée par la police ou la gendarmerie, a manifesté son souhait de se faire assister par un avocat et qui s’est vue refuser ce droit, devraient être annulées. Ce cri de cœur s’adresse aux organisations de défense des droits de l’homme, mais surtout aux justiciables qui sont interpellés au premier chef et qui doivent exiger l’application immédiate du Règlement de l’Uemoa.
Maître Ousseynou NGOM
Avocat à la Cour