Remis en liberté tard dans la soirée d’avant-hier, après avoir été soumis au feu roulant d’interrogations de la Division des investigations criminelles (Dic), le journaliste Mame Birame WATHIE est revenu de long en large sur son audition. Walf Quotidien livre, ici, les points saillants de son intervention livrée, hier au cours de son face–à–face avec la presse, dans les locaux du Groupe Wal Fadjri.
Recel de documents
«Ce matin (jeudi), j’ai eu à parcourir la presse. Mon attention s’est focalisée sur deux articles qui parlent de mon arrestation. Je ne voudrais pas citer les organes, mais ceux qui ont parcouru les journaux de ce jour peuvent savoir de quoi il s’agit. Je voudrais juste préciser une chose : Il n’a jamais été dit à la Dic que l’on me reprochait quoi que ce soit en rapport avec le délit de recel de documents administratifs. Le recel dont on parle, c’est ce matin que je l’ai découvert dans la presse. Hier (mercredi), à aucun moment, de mon arrivée peu avant 10 heures à la notification de ma libération, à 23 heures 55, personne n’a parlé de ce type d’infraction sortie de nulle part. Quand on a notifié ma garde à vue, j’ai insisté auprès des inspecteurs pour leur demander de me dire effectivement ce qu’ils me reprochaient, pour avoir une idée nette et claire des griefs portés contrer ma personne. Hélas, ils ne m’ont donné aucune réponse».
Raisons obscures de la convocation
«Je considère que, jusqu’à présent, les raisons pour lesquelles j’ai été convoqué ne m’ont pas été signifiées. Je trouve que la vidéo qui est, aujourd’hui, mise en cause n’est juste qu’un prétexte. Le temps de ma garde à vue, avec le recul, j’ai un peu cogité et je me suis rendu compte, quelque part, que les personnes qui m’ont convoqué, n’ont pas véritablement indiqué les raisons pour lesquelles elles m’ont appelé. Parce que je connais bien les locaux de la DIC (Division des investigations criminelles) pour y avoir séjourné lorsque j’étais étudiant. J’y étais gardé à vue à l’époque en tant que président de l’Amicale des étudiants à la Faculté des lettres et sciences humaines de l’UCAD. Les archives de la Dic retiennent certainement le nom de Mame Birame Wathie. Je suis persuadé que les enquêteurs savent que Mame Birame Wathie n’est pas quelqu’un qui balance ses sources d’informations. Je ne suis pas non plus quelqu’un qu’on peut intimider et, ça, les policiers le savent parfaitement. S’ils m’ont convoqué, ce n’était pas pour la raison qu’ils ont indiquée. Maintenant, puisque qu’ils ne l’ont pas indiqué de manière explicite, je m’en tiens à la version officielle des faits».
Source jamais dévoilée de l’info’
«Les policiers m’ont demandé la personne qui m’a fourni cette vidéo. Ils ont indiqué que c’était dans le cadre d’une enquête qu’ils mènent. Et qu’à travers ladite vidéo, ils ont de nouveaux éléments qui leur donnent une bonne piste à exploiter. La moindre des choses, c’était de remercier la personne à la base de cette vidéo ayant permis de relancer l’enquête, mais pas de la harceler de la manière dont j’en étais victime. L’inspecteur de police en charge de l’enquête qui m’interrogeait n’avait aucune preuve pouvant attester sans équivoque que je suis l’auteur de cette vidéo. Mais j’ai accepté cette responsabilité parce que je ne suis pas quelqu’un qui fuit ses responsabilités. Je lui ai clairement indiqué que même si vous n’avez pas de preuve que cette vidéo émane de moi, j’en prends l’entière responsabilité, au nom de l’obligation de protection vis-à-vis de nos sources d’informations. C’est moi qui l’ai publiée sur le site Walfnet. Les faits se sont avérés indiscutables, personne n’a rien à y redire. Même si j’allais faire 25 ans là-bas (en prison), ils n’auront jamais ma source. Ça c’est assuré. Je n’ai pas atterri dans le journalisme par hasard. C’est un choix qui obéit à plusieurs critères. En faisant le choix de servir à Walf, je suis prêt à tout, la prison en fait partie. Ceux qui me connaissent savent que Mame Birame WATHIE ne recule pas s’il est dans la vérité. La prochaine fois que l’on me convoquera pour me demander mes sources, que le procureur de la République m’emmène directement en détention à Rebeuss, parce que ce sont des éléments que je ne donnerai jamais».
Notification de la garde à vue
«Vous êtes en train de mener une enquête. En tant que citoyen, je suis disposé à collaborer avec vous et à vous fournir tous les éléments qui vous permettent de mener à bien votre enquête. Je suis également disposé à répondre à toutes les questions pouvant contribuer à la manifestation de la vérité. Mais ne me demandez pas où est ce que j’ai pris la vidéo parce que je ne le dirais pas. Après le face-à-face avec l’inspecteur, on m’a notifié qu’il reste un autre interrogatoire qui doit être fait par le chef de la DIC. Je suis resté là pendant deux, trois heures de temps sans rien faire. Je ne sais pas ce que le directeur faisait durant tout ce temps. Il m’a ensuite rappelé vers 16 heures. Quand je suis entré dans son bureau, il m’a posé la même question que l’inspecteur. Je lui ai répété la même chose. Le chef de la DIC a insisté, j’ai campé sur ma position. Face à ma détermination à ne jamais révéler ma source, quel qu’en soit le prix à payer, le chef de la DIC a lui-même dit qu’il comprend la sacralité de la source pour un journaliste et qu’il allait me laisser rentrer chez moi. Il fallait juste remplir certaines formalités d’usage avant de quitter les locaux de la DIC. Lorsque j’étais sur le point de sortir, un agent m’a demandé d’aller répondre au chef qui m’a signalé qu’il y a un revirement de situation : le procureur a ordonné que je sois retenu tant que je refuse de donner ma source. Et c’est sur ces entrefaites que la mesure de garde à vue m’a été notifiée».
L’animateur espion
«Il y a un animateur qui m’a appelé bien avant que je ne réponde à la convocation de la DIC pour me poser des questions sur l’origine de la vidéo en question. Et les mêmes questions m’ont été posées par les enquêteurs de la DIC. J’ai dit qu’il n’était pas possible, à partir de la vidéo, que quelqu’un puisse identifier sa carte. Ce n’est pas possible. Lors du montage de l’élément, j’ai pris la précaution de dire au technicien de procéder au filoutage de manière à ne pas permettre une identification. C’était pour éviter pareille situation. J’ai été étonné quand on m’a dit que telle personne indique avoir vu la vidéo ou aperçu sa carte d’identité. Pour moi, c’est juste une aberration. C’est quelque chose qu’ils (les enquêteurs) ont inventé pour asseoir leur accusation. On est suffisamment responsable pour éviter de publier des trucs qui, quelque part, peuvent créer des problèmes dans ce pays. Cette responsabilité, personne n’est venu nous l’enseigner. Comment comprendre que les Sénégalais courent derrière leurs cartes d’identité et d’électeur et qu’un dépotoir où on jette des cartes soit à Rufisque ? C’est ce qui nous intriguait. A Kaolack, les enquêteurs ont pu déférer trois personnes auteurs des cartes jetées de la mairie. Dans le contexte actuel, si la presse n’en parle pas, cela ferait l’affaire des tenants du pouvoir et quelque part leur enlever une épine du pied. Or, notre mission c’est d’alerter et de porter la voix des sans voix, en vue d’orienter l’action du gouvernement ».
Emile DASYLVA (Walf Quotidien)