CHRONIQUE POLITIQUE
Non seulement, il n’en a pas fait la demande, mais il n’en veut pas non plus. N’empêche que Karim Wade sera, malgré lui, libéré de prison à la faveur d’une grâce présidentielle. Une situation inédite dans les annales de la justice sénégalaise.
Et pour faire passer la pilule qui doit être fort amère pour le fils du président Wade, lui qui a toujours clamé son innocence, allant jusqu’à récuser la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei), un petit tour à Touba et une audience de plus d’une heure avec le khalife général des mourides auront suffi au président de la République.
Macky Sall le sait : seul Cheikh Sidy Moukhtar Mbacké peut faire plier Karim là où Abdoulaye Wade a échoué. Pour l’amener naguère à mettre fin à la grève de la faim entamée depuis sa cellule à Rebeuss, n’avait-il pas suffi d’un ndiguël du khalife général des mourides, transmis par son fils aîné, Serigne Moustapha, pour que le pensionnaire de 100 mètres mette un terme à sa diète le 18 janvier 2015 ? Parce que Wade-fils a fait acte d’allégeance au khalife général des mourides et, en talibé discipliné, il obéit à la lettre à ses injonctions. C’est ce ndiguël que Macky Sall est allé chercher mardi à Touba. Et il l’a obtenu. Le décret présidentiel grâciant le célèbre prisonnier de Rebeuss et ses complices pouvait dès lors être signé, en attendant sa notification aux concernés et à leurs conseils.
Il est quand même paradoxal qu’on ait pu en arriver à cette libération forcée, après tout le tintamarre fait depuis quatre ans autour de l’enrichissement illicite du fils d’Abdoulaye Wade. Voilà quelqu’un qui a été condamné pour des faits de prévarication sur les deniers de l’Etat par la Crei à 6 ans de prison et à une amende de 138 milliards de francs avec confiscation de tous ses biens (meubles et immeubles), condamnation confirmée par la Cour suprême, et que l’on supplie quasiment pour qu’il accepte une grâce présidentielle qu’il n’a ni demandée, ni voulue. Les autorités politiques ne peuvent exciper de raisons humanitaires pour justifier sa remise en liberté parce qu’il ne souffre d’aucune maladie incompatible avec son maintien en détention, contrairement à Bibo Bourgi et Alioune Samba Diassé. Tout autant que les besoins du dialogue national lancé le 28 mai dernier ne suffisent pas à expliquer que le président Macky Sall soit allé à Canossa. Parce que Karim Wade ne pèse rien politiquement à l’heure actuelle pour pouvoir influer, d’une façon ou d’une autre, sur la stabilité politique du pays.
L’explication de ce retournement de situation est, sans doute, à chercher ailleurs. Notamment dans le deal subodoré par Idrissa Seck entre Macky Sall et Abdoulaye Wade, qui n’est certainement pas superfétatoire. L’actuel locataire du palais présidentiel croit savoir que, sans une collaboration de son prédécesseur, il ne parviendra pas à pacifier l’espace politique. Or, c’est ce signal fort qu’attendent nombre d’investisseurs étrangers pour mettre leurs billes dans les projets fondateurs du Plan Sénégal Emergent (Pse). Si ces projets tardent tant à décoller, c’est surtout faute de financements disponibles, malgré les engagements pris par les bailleurs de fonds et qui se chiffrent en milliers de milliards de francs Cfa. Certes, partout où Macky Sall s’est rendu ces trois dernières années, il a reçu des promesses de financement de la part des bailleurs de fonds, mais leur mise en application est conditionnée par un facteur déterminant qu’est le risque politique.
En libérant Karim Wade, il croit avoir neutralisé son père et ce qui reste du Pds. Et parce qu’il lui a fait bénéficier d’une grâce et non d’une amnistie, il évite, du coup, tout débordement sur sa gauche, étant entendu que le Pit, la Ld et ses autres alliés gauchisants, dont le pouvoir de nuisance est aussi important qu’est faible leur poids politique, ne remettront jamais en cause ce pouvoir régalien qu’il tient de la Constitution. Et les cris d’orfraie ne viendront pas du Ps et de l’Afp si attachés aux symboles de la République. Quand bien même des principes qui fondent cette même République sont foulés au pied. Parce que la grâce présidentielle, on ne doit, en principe, l’accorder qu’à un condamné ayant fait amende honorable. Or, non seulement, Karim Wade ne s’est pas amendé, mais il ne reconnaît pas les compétences de la juridiction d’exception qui l’a jugé, à plus forte raison sa condamnation.
C’est ainsi que Wade-fils a attrait devant le tribunal de grande instance de Paris les magistrats qui l’ont fait arrêter (l’ancien procureur spécial Alioune Ndao et son substitut Antoine Félix Abdoulaye Diome), leur commanditaire (l’ancien Garde des Sceaux Mimi Touré) ainsi que ceux qui ont instruit son dossier plus à charge qu’à décharge et ceux qui l’ont jugé et condamné. Il accuse dans sa plainte contre X tous ces «dépositaires de l’autorité publique, à savoir, magistrats, fonctionnaires et tous ceux qui de près ou de loin, n’ont rien fait pour mettre un terme» à sa détention arbitraire, d’avoir pris part à sa séquestration pendant trois ans. Et ces chances d’obtenir gain de cause devant la justice française sont intactes. Parce qu’à l’instar du groupe de travail des Nations-Unies qui avait qualifié d’arbitraire sa détention, les juges français ne tiennent pas en grande estime les juridictions d’exception telle que la Crei. Et Macky Sall sait que les effets de manche des avocats de l’Etat n’y changeront rien. A-t-il, pour autant, sollicité du khalife général des mourides qu’il fasse pression sur Karim Wade pour l’amener à se désister de sa plainte contre l’Etat du Sénégal devant le tribunal de grande instance de Paris ? En tout cas, telle est la voie royale s’il veut s’éviter, dans ce dossier, un énième camouflet au niveau international.
Par Abdourahmane CAMARA*
* Directeur de publication de Walf Quotidien
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