CHRONIQUE DE WATHIE
Et de trois ! L’Assemblée nationale burundaise n’avait pas encore fini d’adopter le projet de loi portant retrait du pays de la Cour Pénale Internationale (CPI) que l’Afrique du Sud annonce à son tour son intention de tourner le dos à la juridiction internationale. Au même moment, Yahya Jammeh, qui peut décider pour son Assemblée nationale, informe que la Gambie n’en est plus membre. En moins d’une semaine, trois pays africains ont pris leur distance, s’émancipant d’un instrument symbole de la domination du continent noir.
Le président burundais assure ses arrières. Loin de vouloir porter le costume du panafricain fier, abhorrant la dépendance de l’Afrique, Pierre Nkurunziza s’aménage une porte de sortie ne menant pas à la Haye. Pour avoir tripatouillé la Constitution burundaise afin de s’accorder un troisième mandat à coups de baïonnette, l’homme fort de Bujumbura sait que la fin de sa saga pourrait bien être écrite par les magistrats du tribunal international à l’instar d’un certain Laurent Gbagbo. En décidant de retirer son pays de la CPI, il coupe l’herbe sous les pieds de Fatou Bensouda, procureure générale de la Cour pénale internationale. D’autant que des études préliminaires pouvant aboutir à l’ouverture d’une enquête, sont en cours. Yahya Jammeh n’est pas loin de cette logique. Acculé par les organisations de défense des droits de l’homme, le président gambien se sait attendu au tournant. Mais contrairement à Pierre Nkurunziza, Yahya Jammeh a toujours manifesté son hostilité envers cette cour qui a consacré son compatriote Fatou Bensouda procureure générale pour notamment atténuer les diatribes du dirigeant gambien. Souvent esseulé par ses positions, l’homme fort de Banjul semblait attendre le moment propice pour claquer la porte de la CPI. S’il ne s’agissait que de ces deux pays, le tribunal international pourrait toujours se réjouir d’un semblant de crédibilité. Mais l’Afrique du Sud est venue s’ajouter à la liste des mécontents prenant leur distance. Le pays de Nelson Mandela a sans doute compris que ce tribunal particulier ne mérite pas qu’elle déclenche une guerre contre le Soudan. Et pourtant, le conflit a été évité de peu. Alors qu’il prenait part au 45e sommet des chefs d’Etat de l’Union africaine, en juin 2015, le président soudanais, Omar el-Béchir s’est vu notifier une interdiction de sortir du territoire sud-africain par un tribunal de Pretoria. A Khartoum, il était question d’envoyer un commando récupérer le président el-Béchir. Il a fallu un Jacob Zuma, la tête hors des scandales, pour désamorcer la bombe. En vrai fumiste, la CPI réussit à monter les pays africains les uns contre les autres. Le président, Uhuru Kenyatta, a eu la même crainte pour l’avion. Accusé de crimes contre l’humanité, le chef de l’Etat du Kenya a manqué de nombreuses rencontres d’organisations sous-régionales et de l’Union africaine, pour ne pas avoir à imposer un coup de force afin de rentrer au bercail.
Ces dirigeants ont certes de véritables comptes à rendre, mais sont loin d’être les seuls. Seulement, la CPI, qui se focalise sur leur pédigrée, ne se préoccupe que de ce qui se passe en Afrique. Sur les dix enquêtes qu’elle a ouvertes depuis son entrée en vigueur le 1er juillet 2002, neuf concernent des Etats africains. Et à chaque fois, c’est le gars qui n’obtempère pas aux injonctions des Occidentaux qui se retrouve à la Haye. Aucun des adversaires de Laurent Gbagbo, écroué à La Haye depuis le 30 novembre 2011, de même que Charles Blé Goudé, n’est inquiété. Guillaume SORO qui était à la tête d’une milice qui a scindé la Côte d’Ivoire en deux ne se préoccupe pas de CPI.
«Toutes les affaires soulevées par la CPI visent des pays africains (…), jamais un pays européen ou Israël, malgré les crimes qu’ils commettent», a dénoncé Ibrahim Mahmoud, conseiller du président soudanais. Les Américains ont commis toutes sortes d’exactions en Irak, en Afghanistan etc., mais ne seront jamais devant un magistrat agissant pour la CPI. Les Russes massacrent les Tchéchènes durant de nombreuses années mais ne s’y rendront pas eux non plus. C’est aussi valable pour les Israéliens qui déciment impunément les Palestiniens. Mais ce que ce proche d’Omar el-Béchir a oublié de préciser, c’est que ce sont les pays africains qui se sont fourrés dans la gueule du loup. Sur les 193 pays membres de l’ONU, seuls 124 ont ratifié le Traité de Rome. Pendant que des pays membres du Conseil de sécurité des Nations-Unies comme les USA, la Chine ou la Russie, émettent des réserves et refusent de s’y conformer, les pays africains se sont levés comme un seul homme pour parafer et ratifier ledit Traité.
Maintenant que les effets pervers se font ressentir, les appels répétés exhortant à un retrait collectif des pays africains de la CPI se multiplient. Vivement la prise de conscience.
Par Mame Birame WATHIE
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