CHRONIQUE DE MAREME
«L’idéal dans la vie n’est pas l’espoir de devenir parfait mais la volonté d’être toujours meilleur.»
Aicha : Le deuil
La vie est faite de mystère et on ne sait jamais de quoi demain sera fait. Alors ne vaudrait-il pas mieux opter pour le droit chemin pour ne pas, demain, avoir à subir la colère divine ?
Monsieur le maire l’apprenait à ses dépens. Il était mort deux heures après avoir été évacué à l’hôpital. Il ne put supporter de voir un tel déballage devant sa famille. La nouvelle nous abasourdissait. L’état de choc passé, les cris et les pleurs commencèrent à fuser de partout. Moi, je n’y arrivais pas, rien ne sortait, aucune larme, aucune émotion, rien. Cet homme était mort en emportant tout le côté humanitaire chez moi. Au contraire, je ressentis un grand soulagement, une délivrance. Je n’avais pas tort de garder la foi, de croire en la justice divine. Mais surtout j’étais fière de moi, du fait que je réagissais pendant qu’il en était encore temps et ainsi, je m’évitais la haine et le mal qui me consumèrent à petit feu. Codou en était un exemple poignant. Sa vie se détruisait parce qu’elle voulait sauver les apparences, rester une femme modèle devant cette société où l’on exigeait de la femme une loyauté totale à son mari. Aujourd’hui je pouvais tourner la page et essayer d’oublier cette histoire sombre de ma vie. Tout ce que je voulais c’était de quitter cette maison, partir, sans me retourner, chez moi.
Mais j’allais vite déchanter car ma mère me fit comprendre qu’il était de mon devoir de rester jusqu’à la fin de la cérémonie du deuil. Il fallut encore supporter ces ‘adaas’ (coutumes) de la société africaine. Ma mère resta avec moi cette nuit-là, m’enleva mon greffage et mes faux ongles. Ensuite elle se mit à m’expliquer les coutumes du veuvage. Je n’avais plus le droit de me maquiller, ni de porter des bijoux encore moins de mettre du parfum. Je devais porter des habits sombres…
Le premier jour, on nous força, mes co-épouses et moi, à nous asseoir sur une grande nappe installée dans la grande salle. Heureusement qu’elle était climatisée, vu ces grandes pagnes tissés avec lesquels on nous recouvrait. Quand je vis Mame Anta sans aucun artifice, je ne pus m’empêcher de rire. Elle me jeta un regard noir avant de venir s’assoir à mes côtés, me bousculant. On dirait un épouvantail. Ce jour-là, c’était le concours du « qui est le plus affecté par la mort du maire ». Des cris, des pleurs, et certaines femmes allaient jusqu’à se rouler sur le sol. J’étais juste abasourdie par tant de déferlement de douleur.
Au deuxième jour, les visages devenaient moins tristes, place aux commérages : qui était qui ? Qui faisait quoi ? Qu’avait mangé le maire avant de mourir ? Combien donnait le ministre tel ? Combien avait-on récolté hier dans le layou (plat déposé sur la nappe des femmes du maire sur laquelle les gens déposaient de l’argent quand ils venaient présenter leurs condoléances) ???
Au troisième jour, les masques tombaient. Mame Anta ne put s’empêcher de mettre un peu de maquillage et surtout de porter quelque chose de plus voyant. Cette femme ne reculait devant rien quand il s’agissait de son apparence. Mais son comportement n’était rien comparé à celui de mes belles sœurs et autres. C’était le concours du grand boubou thioup (tissu très cher fait à base de peinture). On dirait qu’elles s’habillaient pour un baptême. Le pire était de les voir enquêter sur les biens du maire et sur le nombre de ses enfants. Quand un invité de marque apparaissait, chacune cherchait à savoir la somme qu’il offrait. Il y avait tant de mesquineries, de voracités, d’agressions verbales que je prétextais une migraine pour me réfugier dans ma chambre. Je me demandais ce qu’il en serait au moment de l’inventaire de la fortune du maire. J’espère que maman ne m’obligera à rester dans cette maison jusque-là.
Vers 20 h, elle vint me rejoindre avec une mine hyper anxieuse.
- Qu’est-ce qu’il y a maman ? elle s’asseyait sur le lit en prenant un grand air.
- Tu ne vas pas le croire ho pop pop, ta belle-sœur, celle qui n’arrête pas de nous provoquer.
- Oui Coumbis (grande sœur du maire). Elle tapa les mains et se tint la tête.
- Billahi kou dè niak (qui meurt perd tout).
- Hi maman, qu’est-ce qui se passe, demandais-je en me levant.
- Hé bien, elle vient de m’interpeller pour me faire savoir qu’il y aura une cérémonie de remise de cadeau à 21h.
- Cheuteuteute, c’est quoi encore ces histoires.
- D’après leurs coutumes, tes belles-sœurs vont te décorer toi et les autres de tissus, d’argent, de bol…. pour vous remercier de vos années de dévotion auprès de leur frère.
- C’est quoi cette mascarade encore ? C’est vrai qu’avec leur monstre de frère-là, on devrait recevoir des médailles d’or surtout Codou….
- Attends le meilleur, en contrepartie tu vas leur rendre le double de ce qu’elles ont offert.
Cette fois, j’éclatai de rire sans le faire exprès.
- Hé Allah, attends je vais appeler Yaye Daro pour qu’elle nous vienne en aide. Quelle heure est-il ? disait-elle complètement affolée et oubliant par-là qu’elle portait une montre.
- Tu vas appeler ma tante pour faire quoi ? Toi aussi maman, tu n’es plus croyante ?
- Bien sûr que si mais….
- Il n’y a pas de mais maman, toi-même tu m’as dit que si tes belles-sœurs te détestent tant, c’est parce que tu as refusé de faire le yébi (distribution de cadeaux) au baptême de Menoumbé. Pourquoi ? Parce que Dieu l’interdit et aujourd’hui tu veux m’imposer cela. Je n’imagine même pas sa colère quand il s’agit d’un deuil. Nous serons maudits tout simplement.
- Cette fois, Il comprendra, la donne a changé ma fille. D’abord, il y a cette rumeur horrible comme quoi tu as causé la mort de ton mari et cela se répand comme de la poussière. Ensuite tu n’as versé aucune larme devant les invités et ce n’est pas du goût de tout le monde. Enfin on va te coller l’étiquette ‘ayy gaf’ (porteuse de poisse).
- Dans cette histoire, il n’est pas question de se racheter ou de faire plaisir à qui que ce soit. D’ailleurs, ces gens devraient se réjouir que je ne fasse pas un sabar (cérémonie de danse) devant la maison.
- Arrêtes ma fille, la situation est grave, on ne peut pas leur refuser cette cérémonie alors que ta réputation est plus que compromise. Tu dois penser à ton avenir, au fait qu’un jour tu vas te remarier, finis ça en beauté sinon…
- Sinon quoi maman ? Avant de penser au remariage, il faudra d’abord que tu m’enlèves tout ce traumatisme, criais-je à bout de nerf. Maman, je te le dis tout de suite, la fille gentille, consentante et dévouée à ses parents est morte. Si tu ne peux pas prendre tes responsabilités de parents, je le ferais. J’ai déjà sacrifié ma vie pour vous. J’ai été frappée, insultée, violée pendant trois mois. Tu le savais et tu n’as rien fait pour me sortir des griffes de ce bourreau et ça, tout simplement parce que tu t’occupes plus du « quand dira-t-on » que du bonheur de ta fille. Je ne sais même pas ce que je fais encore dans cette maison qui me rappelle tant d’horreur.
En même temps que je parlais, je sortis une valise et commençais à fourrer mes affaires dedans. Il n’y en avait pas beaucoup. Et, en deux temps, trois mouvements, je terminais de tout ranger. Quand je me retournais, je vis ma mère essuyer une larme et se lever à son tour.
- Wassanam, souffla-t-elle, avant de me prendre dans ses bras.
Là, je pleurais, pleurais encore, pleurais jusqu’à crier, refoulant un méchant monstre qui ne demandait qu’à sortir. WOOOOOYYYYY, WOOOOYYY, WOUYYYA YOYYYY, enchaine-je, sans m’arrêter. Quand je me calmais, elle prit mes joues entre mes mains.
- Tu as raison, nous avons déjà failli à notre devoir de parents. Je te promets que durant le reste de ma vie, je mettrai tout en œuvre pour te rendre ce bonheur et cette vie qu’on t’a pris. Elle recula et prit une valise, me laissant l’autre. Maintenant partons d’ici la tête haute.
Gnangue : le boulot
Je m’appelle Kabir Niang mais tout le monde m’appelle Gnangue (horrible). Parce que j’avais l’habitude de terroriser mes camarades dès mon plus jeune âge. Mes parents me prédestinaient à devenir le champion des arènes et très tôt mon père a commencé à m’initier en la matière. J’avais 19 ans quand le patron me recruta comme garde du corps. Je mesurais alors 1, 98 m et ma corpulence faisait penser à Rambo. A cet âge, on se croit invincible et quand on fait une bêtise, on se dit que l’on a toute la vie devant nous pour nous rattraper. Aujourd’hui, à 36 ans, j’essayais de me souvenir à quel moment je perdis mon humanité. Quand on côtoie le mal, on finit par l’incarner.
Cela faisait une semaine maintenant que le patron était mort. En un claquement de doigt, je vis mon mentor perdre le respect des siens, s’effondrer et mourir quelque temps après. Instinctivement la phrase de mon père me revint : «on finit toujours par payer ses fautes». La mort de mon patron me secoua et remua plein de remords. Si je continuais sur cette voie, j’allais me damner comme lui.
Alors je décidais de laisser cette vie et d’essayer de vivre avec ma petite femme en paix tout en espérant être pardonné un jour de mes péchés. Cette dernière qui était si bonne et si pieuse recevait cette nouvelle comme une aubaine, une délivrance. Mais avant de tourner définitivement la page, j’allais à Niongolor pas loin de Fatick où le maire avait une maison. C’est là-bas qu’il traitait toutes ses affaires louches et surtout où il cachait son argent reçu de la contre bande. J’y étais allé deux jours après sa mort pour m’accaparer de tout. Personne ne connaissait cette cachette en dehors de moi, son homme de main. Il me fallait protéger mes arrières.
Bref j’étais dans mon lit en train de réfléchir à ce que j’allais faire avec cette somme astronomique que je volais au patron. Je me demandais aussi si je ne devais pas en verser un peu à la famille ou encore à cette petite Aicha. Vu comment elle attirait la colère de la famille au troisième jour, je doutais qu’elle reçoive sa part de l’héritage. Hi, cette petite devenait une vraie bagarreuse. Alors que je m’apprêtais à partir, je le vis descendre avec une valise, suivie de sa mère qui tenait une autre. Il y avait plus grand monde à part la famille surtout les sœurs qui se préparaient pour une cérémonie de je ne sais pas quoi. Elle posa sa valise et venait dire au revoir. Coumbis fut la première à se lever et à s’offusquer. Au début Aicha essaya d’être polie et de lui expliquer qu’elle voulait juste aller chez sa mère pour se reposer. Mais Coumbis ne lui laissa même pas le temps de finir et commença à faire un grand scandale. Imperturbable, la petite resta debout la regardant droit dans les yeux et lui répondit : « Par respect pour Codou et ses enfants, je ne ternirai pas l’image de ton frère en disant le monstre qu’il a été. Ma consolation est qu’il sera bien rôti en enfer avec son gros tas de merde. Quant à moi, je n’ai plus rien à faire ici avec des hypocrites mal placés ». Hê, si une mouche passait, elle allait sûrement atterrir dans la bouche de Coumbis. Aicha n’attendit pas que Coumbis se remette du choc, elle quittait déjà la maison. Le lendemain, les sœurs de mon défunt patron lancèrent une opération de diabolisation extraordinaire à l’encontre de la petite. On entendait du tout : qu’elle fut surprise avec un homme, qu’elle n’était pas vierge, que patron était mort de chagrin d’amour, que la petite volait tout son argent et qu’il le sut….. Tout y passait, hi les femmes sont méchantes dé. Coumbis allaient jusqu’à mentir dans un journal anonymement. Aujourd’hui toute la ville croyaient dur comme fer que cette pauvre petite était un monstre alors que non. La seule solution pour cette famille était de partir et d’essayer de refaire sa vie ailleurs et pour ça je devais les aider. Mais comment ? J’étais dans ces réflexions quand mon portable se mit à vibrer. Numéro inconnu.
- Allo
- Bonjour M. Niang. Wilane à l’appareil. Je sursautais et me relevais du coude. Mes condoléances les plus sincères pour votre patron.
- Merci monsieur, répondis-je d’une voix cassée tellement j’étais surpris par son appel et puis comment il avait fait pour avoir mon numéro ?
- Je ne vais pas aller par quatre chemins. Le vieux devait me livrer un paquet et malheureusement, j’apprends qu’il est mort, c’est pourquoi je me tourne vers vous. Waw, il parlait de la petite comme d’une marchandise.
- Et que puis-je faire pour vous ?
- Pas grand-chose, juste m’emmener mon dû comme il en était convenu.
- Ce ne sera pas chose aisée puisqu’elle est rentrée chez elle. En plus j’ai décroché monsieur.
- J’ai payé très cher pour Aicha et je suis encore prêt à décaisser. Aussi, j’ai toujours voulu avoir un homme de main là-bas, à Fatick, si vous réussissez cette mission, sachez que vous pourrez intégrer mon équipe.
- Je ne sais pas quoi dire.
- Dites oui et vous ne le regretterez pas. Par contre, je dois aller à Paris pour deux semaines. A mon retour je vous rappelle.
- Merci monsieur Wilane, à bientôt. Il raccrochait et mon cœur battait la chamade.
- J’espère que ce n’est pas le fameux Wilane dont tu me parlais il y a une semaine. Je me retournais pour voir Ami, ma femme entrer avec un visage bien attaché.
- Heu oui, dis-je, en me grattant la tête.
- Qu’est-ce qu’il te voulait et surtout ne me mens pas.
- Je ne sais pas pourquoi mais ce Wilane est complétement obsédé par la petite Aicha.
- Et ?
- Et quoi, il la veut tout simplement ich, lui répondais-je.
- Je sais qu’il la veut, ce que je veux savoir c’est pourquoi il t’a appelé, dit-elle, en me toisant et en reculant d’un pas dans une position de combat.
- Tu le sais très bien chérie, répondais-je d’une voix hésitante en me recouchant pour fuir son regard.
- Donc tu vas enlever cette pauvre fille à ses parents et la livrer à un homme qui, d’après tes dires, est né sous les jupons de Satan.
- Exactement et ce n’est pas la peine de monter sur tes cheveux parce qu’il est hors de question que je désobéisse à cet homme.
- Et moi, il est hors de question que je continue à rester marier à un monstre. Je sursautais et me tournais vers elle. Elle tremblait de colère. Elle ne blaguait vraiment pas.
- Mon amour qu’est-ce que tu veux que je fasse, ce Wilane là, il est 10 000 fois plus dangereux que Wade. Si…
- Assez, cria-t-elle, en levant une main. Cette fois, elle avait les larmes aux yeux. Tu m’as toujours promis de changer, de quitter ton patron et de refaire ta vie avec l’espoir qu’un jour Dieu te pardonne toutes les choses horribles que tu as commises. Aujourd’hui Dieu te donne un choix, une nouvelle chance. Si tu ne la prends pas, alors c’est tout simplement parce que tu es naturellement mauvais. J’essayais d’ouvrir encore la bouche, elle y mit son index. Tu as deux choix : soit tu acceptes ce job pour ce Wilane et je te jure sur le Saint Coran et sur l’enfant que je porte que je te quitte pour toujours. Soit nous accomplissons notre rêve qui est de quitter ce pays et de nous installer dans un endroit où nous essayerons de reprendre honnêtement notre vie. A ces mots, elle quitta la chambre sans se retourner.
Je ne trouvais pas le sommeil cette nuit-là, surtout qu’Ami boudait la chambre pour la première fois depuis notre mariage qui date de deux ans. Elle était la seule famille qui me restait, en plus elle portait notre enfant. Ami ne me donnait jamais un ultimatum, juste des reproches quand je revenais la nuit de mes missions. Etais-je prêt à renoncer à elle pour un boulot qui tôt ou tard allait me conduire en prison ou me causer la mort.
Le lendemain, je me réveillais avec les idées plus claires. Oui, il était tant pour nous de partir. C’était à cet instant qu’elle entra dans ma chambre.
- Hé femme, vient ici. Il fallait bien jouer un peu les durs.
- Va là-bas shippppp.
- Ya quoi ? Tu deviens impolie dé, je suis ton mari.
- Ne me cherche surtout pas, shim….ses yeux lançaient des éclairs.
- Wa d’accord trésor, on va partir, juste le temps de nous faire de nouvelles identités.
Elle souriait de toute sa dentition et tapait les deux mains en sautant comme une enfant. Ensuite elle vint m’enlacer et les choses partirent vite. J’étais chaud à cet instant-là quand cette femme sortit une phrase qui me refroidit de suite.
- Je veux que tu achètes une petite maison à ma mère avant de partir. Hopeleuw.
- Et puis quoi encore ?
- Attend que je te dise, j’ai pensé à cela toute la nuit. Ma mère est veuve avec mes deux petits frères, elle ne pourra jamais s’en sortir avec cet appartement qu’elle loue, le courant…Bref je lui cède ma petite boutique et toi tu lui achètes la petite maison de ce pauvre homme dont tu avais brûlé la demeure et dont la fille risque d’être kidnappée d’ici peu. D’après ce que tu m’as dit de lui, ce serait une aubaine pour cette famille car rien ne les retient ici : un champ détruit, une famille de traitres, une réputation complétement bousillée et surtout une fille meurtrie. Je suis sûre que si l’occasion se présente comme pour nous, ils vont partir sans hésiter.
- J’ai l’impression dès fois que tu lis dans mes pensées, hier seulement je me demandais comment faire pour les aider. Alors marché conclu, on fera d’une pierre d’un coup.
Malick : Le mariage
Je n’arrive pas à croire que je me marie aujourd’hui. Normalement cela devait être le plus beau jour de ma vie mais bizarrement je manque d’entrain, je ne ris pas et ne m’amuse autant que je devais le faire. Peut-être que c’était juste le trac pour cette nouvelle vie à deux, je ne sais pas. En tout cas quand je vis tant de joie autour de moi, je me dis que je devais moi aussi me détendre et profiter de cette belle fête. D’ailleurs, je me demandais où ma mère avait trouvé autant d’argent pour organiser une telle fête. Toute la famille peul était au grand complet, du Fouta, en passant par Matan, jusqu’en Guinée. Là d’où je m’asseyais, je me choquais de voir autant de monde Billahi. Et dire que je voulais un mariage des plus simples. La maison était archicomble et ma sœur me disait que chez Abi, il y avait trois tentes dehors. Non les femmes, elles sont juste extraordinaires. Je jurais de ne pas dépasser un million pour la dot. Ma mère voulait que j’en donne deux alors ça nous pris deux jours pour être d’accord. Finalement, voyant que je ne capitulais pas, elle abandonna. Deux jours plus tard, on me demandait 500 000 francs pour l’habillement d’Abi. Trois jours après, je déboursais encore pour une petite fête entre guillemets pour mes tantes et autres qui venaient à la maison. Une petite fête, avaient-elles dit. Il y avait presque cent personnes, incroyable. Pourquoi organiser quelque chose ici alors que le mariage se passait chez Abi. Avec ça on veut que l’Afrique se développe. Peut-être quand les poules auront des dents.
- Hé mon pote, à quoi tu penses ? Je me tournais vers mon meilleur ami Moustapha.
- En fait, ces femmes m’ont saigné à blanc, presque la moitié de mes économies je te dis.
- Hihihi, tu parles, moi on m’a tout pris ce jour-là, c’est comme si elles m’avaient marabouté je te dis. Tu es a combien ?
- 2,5 et toi ?
- 4 mon gars, je te jure qu’à la fin je ne voulais même plus du mariage.
- C’est sûr que si je n’étais pas catégorique, ma mère n’allait pas finir. Oumi me dit que maman a vendu deux de ses parures en or. Quand elle m’a montré les photos de la remise de dot avec ces griots walahi j’ai cru que c’était du montage.
- Même chose pour moi. Non, les femmes je te dis toutes des sorcières, nos pauvres pères sont morts de stress tellement elles les ont fatigués avec leurs problèmes d’argent alors qu’elles voulaient juste préserver leur réputation. J’éclatais de rire et le tapais à l’épaule
- J’ai remarqué que tu commences à avoir des cheveux blancs.
- Des rouges même vont sortir de ma tête. Entre ma mère et ma femme, je ne sais pas qui je dois tuer en premier. S’il s’agissait seulement d’argent, je te jure que je pourrais gérer. Aujourd’hui j’ai peur de rentrer à la maison à cause des disputes.
- Je t’avais dit qu’il ne fallait pas mélanger ta vie de couple avec celle de ta famille.
- Oui je sais…
- Vous deux-là, arrêtez de papoter c’est l’heure, disait mon oncle qui me tapait à l’épaule.
Boum boum boum faisait mon cœur. Ils éclatèrent tous de rire.
- Si tu voyais ta tête, reprit mon oncle en se retenant.
- Détends-toi et dis-toi que cette belle chair fraîche n’est rien que pour toi.
- Hum petit veinard me chuchota Moustapha.
Je souriais sans le faire exprès, c’est vrai que j’avais hâte de goûter au miel. Depuis cette fameuse nuit-là, sa mère ne nous laissait plus seuls. C’est fou comme la nature de l’homme est complexe, il suffit que l’on vous interdise quelque chose auquel vous n’avez jamais prêté attention pour qu’elle devienne une obsession. Je commençais à l’appeler beaucoup plus, à lui voler des bises quand je restais une seconde avec elle. Des sentiments commencèrent à jaillir jusqu’à ce que j’apprenne la mort du maire de Fatick. Tout de suite je pensais à Aicha, au fait qu’elle était maintenant libre. Pendant une semaine l’envie fou de l’appeler ne cessa de me tirailler. Jusqu’au jour où dans un journal on titrait à la Une : Les vraies raisons qui ont causé la mort du maire de Fatick. La personne qui racontait l’histoire était très proche de la famille, disait-on. Elle disait que le maire était mort parce qu’un homme riche voulait lui prendre sa dernière femme et que celle-ci demandait le divorce. La personne disait ensuite que Wade tira même sur le fameux homme d’affaire, les ayant surpris au lit. Par amour, il était prêt à la pardonner mais la femme demanda le divorce pour rejoindre son amant. Je n’avais pas l’habitude de croire en ces journaux people mais je vis, ce jour-là, Aicha monter avec ce Wilane, je lisais dernièrement cet autre article qui disait que Wilane avait été hospitalisé pour deux jours dans une clinique. Trop de coïncidences, les choses devenaient trop tordues à mon goût alors je tournais définitivement la page Aicha et je me concentrais sur mon mariage.
Il était presque vingt-deux heures, j’étais dans la voiture et j’attendais Moustapha qui devait me voler ma femme. Les tatas là ne me laissaient pas le choix avec leurs protocoles à n’en plus finir. Une demi-heure plus tard, j’étais toujours dans la voiture à attendre, et puis merde, j’allais la chercher. Je me cachais juste derrière la maison et au moment où je la contournais, je vis trois silhouettes courir vers moi.
- Montes et démarres la voiture, cria Moustapha, l’adrénaline est monté d’un coup. Dix secondes plus tard, j’enclenchais la marche arrière pour foncer, nous entendions les cris derrière nous, la voiture fila déjà.
- Aie Malick, ma mère va me tuer dé.
- Ta mère n’est plus ton kilifeu (…..) depuis 19 h. LOL.
- Waa waw, il faut dès le début lui montrer que tu es le roi chez toi, dit Moustapha avec entrain. Abi lui fit une chipatou digne d’une africaine et nous fit tous éclater de rire. Je stoppais la voiture sur le rebord.
- En tout cas merci mes amis et bonnes nuits, disais-je.
- Comment ça bonne nuit et pourquoi tu arrêtes la voiture.
- Je te l’avais dit mec, ki moye traitre (quel traitre), rétorqua mon cousin Birame.
- Ne me poussez pas à vous dégager de force, prenez un taxi et rentrez chez vous, vos femmes vous attendent. Quant à moi, j’ai plus urgent à faire, disais-je en regardant Abi avec voracité dans sa belle robe de mariée.
- Tout doux mec, bonne chance Abi, ton mari te regarde comme si tu étais une proie.
- Ndeysane (la pauvre).
- Sortez, criais-je cette fois, et ils s’exécutèrent en riant à gorge déployée. Dès qu’ils descendirent, j’appuyais sur l’accélérateur direction notre nid d’amour.
- On va où ?
- Chez nous mon amour, disais-je en lui faisant une bise à la main.
- On ne va pas dans un hôtel ?
- Pas pour notre première nuit, demain je t’emmène quelque part mais pour aujourd’hui ce sera dans notre chambre, notre lit. Elle était si nerveuse que je sentis qu’elle risquait de s’évanouir avant d’arriver.
- Ne t’inquiètes pas, je ne te ferais jamais mal au contraire. Elle ne rien dit et juste continue de tripoter sa robe avec ses mains.
Quand nous arrivâmes, je lui tendis une chemise de nuit et elle alla prendre sa douche en me souriant. Elle me connaissait tellement que dès fois, nous n’avions pas besoin de parler. Je m’empressais de jeter quelques pétales de fleurs sur le lit, d’allumer des bougies un peu partout et de parfumer la chambre. Je voulais que cette nuit soit inoubliable pour nous deux surtout pour elle qui allait découvrir pour la première fois les plaisirs de la chair. Quand elle sortit avec sa belle chemise de nuit rose, je souriais, finalement je ne regrettais pas mon choix.
Une heure plus tard quelle désillusion. Je m’asseyais à côté d’elle et lui demandais.
- Pourquoi Abi ?
Silence. « Rien n’est plus blessant que d’être déçu par la seule personne que jamais tu n’aurais pensé qu’elle te ferait du mal » pensais-je. Là je me sentis détruit.
- Jusqu’à la dernière minute tu m’as fait croire que tu étais vierge. Pourquoi ? Elle pleurait encore de plus belle. Waw les femmes sont vraiment trop fortes pour duper, tromper et mentir.
- Excuses-moi, j’avais peur disait-elle entre deux sanglots.
- Mais de quoi ? Que j’annule notre mariage ? Que je te déteste de t’être donnée à un homme avant moi ? Quoi, réponds-moi.
- Tu n’aurais jamais accepté de m’épouser si tu avais su que que… Elle arrêta et reprit ses pleurs.
- Waw, et moi qui croyais que tu me connaissais bien. Est-ce que moi je suis apte à te juger même ? Il est certes vrai que tout homme voudrait être le premier pour sa femme mais ce n’est pas une raison pour annuler un mariage ou des fiançailles. Cela équivaudrait à dire que je te vois comme un objet sexuel seulement. Je t’ai épousée pour tes valeurs et ton éducation mais aujourd’hui après m’avoir joué une telle mascarade, tu remets tout en doute. L’honnêteté est une chose primordiale pour moi, elle est la base de toute relation et tu l’as détruite. Je me lève hyper énervé, il fallait que je sorte pour me calmer.
- S’il te plaît pardonnes-moi, j’en mourrais si tu ne sauves pas mon honneur Malick. Elle pleurait tellement fort que j’eus pitié d’elle.
- Abi, je te connais depuis ta naissance et ne serait-ce que pour ça, je ne ferais jamais quelque chose qui pourrait te nuire. Alors détends toi et sache que si ce n’est que moi, ton honneur sera conservé.
- Pardonnes-moi Malick de t’avoir menti, j’avais si peur de te perdre.
- Ce qui me bouleverse, ce n’est pas tu m’aies menti, c’est que désormais, je ne peux plus te croire.
A ces mots, je sortis de la chambre, il fallait que je marche, que je m’aère l’esprit. Mon Dieu, y avait-il dans cette vie une femme vraie ? Abi connaissait mon histoire avec Chantale, ma première fiancée. Elle savait que je vivais avec elle comme mari et femme alors que je ne l’avais pas encore épousée. Même si je détestais les femmes frivoles, Abi savait que la virginité n’était pas un truc primordial. Moi qui avais déjà tellement de mal à croire à une femme. Elle venait de détruire complétement le peu qui restait de mon espoir envers elles. Finalement elles sont toutes pareilles : calculatrices, menteuses, manipulatrices, cachotières, et j’en passe, plus fourbe les unes que les autres.
Je connus Chantale à ma première année de droit et tout de suite ça a accroché. Nous sortîmes ensemble trois ans et il était question de mariage. Je ne l’aimais pas mais je finissais par m’attacher à elle.
Un jour, je la surprenais en plein ébat avec mon meilleur pote de France. Le pire était que ces deux-là venaient juste de me raccompagner à l’aéroport. Seulement, pour je ne sais pas quoi, on reportait mon vol pour le lendemain. Dire qu’elle devait me rejoindre une semaine plus tard pour que je lui présente mes parents. Je crois que c’est à cette période que je commençais à briser des cœurs jusqu’à ce que ma sœur tombe enceinte.
Je marchais pendant des heures dans les rues de Dakar pour essayer de comprendre. Je croyais que quelque part dans ce monde, m’attendait une femme à qui je pourrais donner tout mon amour. Une femme avec qui je partagerai tout sans aucune condition, sans tabou ni calcul ; un amour sincère, sans artifice. Aujourd’hui Abi venait de me confirmer que ce n’était qu’un rêve et que maintenant, je devais revenir à la réalité.
A lire chaque lundi….
Par Madame Ndèye Marème DIOP
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