CHRONIQUE DE MAREME
Si vous voulez être riches, apprenez à être bons envers vos prochains. L’homme pauvre est celui dont la seule richesse est l’argent. Le plaisir est le bonheur des fous, le bonheur est le plaisir des sages.
L’engagement, Malick
Je regardai encore une fois mon réveil : 2h 38. Je sentis alors que j’allais faire une nuit blanche. La revoir ce soir m’a bouleversé au point de me faire faire l’erreur de ma vie. Ou peut-être bien que non. Tout était si rapide et confus. Suis – je prêt à m’engager ? « Aimes lorsque tu te sens prêt et non lorsque tu te sens seul ». Je n’arrêtai pas de tout ressasser depuis mon retour à la maison.
7 heures plus tôt
Je sonnai à la porte de chez Abi. Il n’était pas encore 20 heures donc nous avions largement le temps. C’était sa mère qui m’ouvrit la porte. Yaye Fatou avait deux ans de moins que ma mère et elles sont les meilleures amies du monde, presque des sœurs. Elles se connaissaient depuis plus de quarante ans, bien avant ma naissance.
- Salut mon fils, tu es bien en avance comme d’habitude. Abi ne va pas tarder, on va en profiter pour parler, d’accord ?
Ça sentait le roussi, pensais-je. Elle m’installa au salon et se mit en face de moi, l’air préoccupée.
- Quelque chose ne va pas maman ? c’est comme cela que je l’appelle.
- C’est un peu délicat mais il faut que je te le dise. Voilà, tu es comme un fils pour moi et je t’aime autant que j’aime Abi…
- S’il te plait, va droit au but, depuis quand il y a des protocoles entre nous.
- D’accord, je veux que tu arrêtes de voir ma fille ?
- Quoi ? Tu peux répéter ?
- Ce que je veux dire par là, c’est que tu dois arrêter de faire d’elle ton bouche trou. Elle va bientôt avoir 28 ans Malick et aucun homme ne s’intéresse à elle parce qu’elle est tout le temps à tes crochets. Tout le monde dans la famille l’appelle Mme Ndiaye, alors imagine ce que je dois ressentir surtout que je connais tes sentiments envers elle. J’ouvris grand les yeux. Oui ta mère me l’a dit, tu ne veux pas l’épouser parce que tu la considère comme ta petite sœur. Soit, mais arrêtes de l’inviter à dîner ou de l’amener dans tes soirées et autres. Elle t’aime Malick, plus que tout au monde et je trouve ton attitude égoïste.
Yaye Fatou avait les yeux brillants et cela me fendit le cœur de la voir dans cet état. La connaissant, cela dut lui en coûter de me dire que sa fille m’aimait. Je n’eus jamais de geste ou de mot déplacé envers Abi par respect pour elle et pour sa mère et aussi parce que je n’étais pas encore sûr de mes sentiments. Comme avec mes deux sœurs, nous partagions beaucoup de choses, nous avions l’habitude de nous retrouver un weekend sur deux, ici ou chez ma mère. Aussi loin dans mes souvenirs, ma mère l’appelait belle-fille et disait que nous allions finir ensemble. Quand je tardai à trouver une épouse, alors je me tournai vers elle, me disant pourquoi pas ? Je commençai à sortir avec elle et je voyais à quel point elle me connaissait bien. Elle connaissait mes repas favoris, mes goûts vestimentaires, mes ambitions, bref tout. En plus, Abi avait tout pour plaire à un homme : belle, intelligente, bonne éducation, généreuse et encore… donc je songeai sérieusement à l’épouser jusqu’à ma rencontre avec Aicha. Découvrir toutes ces sensations me fit comprendre que je n’aimais pas vraiment Abi. Je compris que je ne voulais pas m’engager dans un mariage sans amour.
- Tu m’écoutes ?
- Oui maman, j’ai très bien compris et tu as absolument raison…
- De quoi vous parlez, demanda Abi en nous rejoignant, le sourire aux lèvres.
Elle portait une longue robe noire qui épousait toutes les formes généreuses de son corps, une vraie beauté. Le seul hic, c’était que je la trouvais un peu artificiel, avec ses lentilles de contact, ses faux ongles, le trop de maquillage, bref tout le contraire de ma Aicha. Ha, l’amour a des raisons que la raison ignore. Je me levai, boutonnant ma veste et pris congé de sa mère en lui promettant de continuer la conversation dès que possible. Ce serait dommage de perdre une si belle amitié mais Yaye Fatou avait raison, je ne pouvais continuer à donner un faux espoir à sa fille.
Nous étions parmi les premiers à arriver à la soirée, j’en profitai pour discuter affaire avec Wilane qui voulait coûte que coûte me voir joindre son équipe. Depuis maintenant une semaine, j’avais démissionné de mon ancien poste de directeur de cabinet et la nouvelle se répandit très vite. Je voulais désormais monter ma propre affaire et j’en avais et les moyens et l’expérience nécessaires.
J’étais en pleine conversation quand je vis Aicha marcher entre les invités, une apparition céleste. Je versai mon verre sans le faire exprès. Elle était là, le sourire aux lèvres et je ne pouvais détacher mon regard d’elle. Comme la première fois, elle me subjuguait, m’empêchait de respirer normalement ou encore de parler. Elle avait beaucoup maigri mais cela n’affectait en rien sa beauté et son élégance naturelle.
- Tu connais cette fille, me chuchote Abi.
J’oubliai qu’elle était à mes côtés. J’acquiesçai juste la tête et continuai ma contemplation. Malgré son changement, je la reconnaissais dès que je posai mes yeux sur elle. C’était la première fois que je la voyais en robe, l’éclat de sa peau était une vraie invite à la caresse. Je ne pus m’empêcher d’admirer ses belles et longues jambes bien fuselées et ce bustier au décolleté plongeant ne faisait qu’ajouter le côté à la fois sexy et glamour de sa robe. Je sentis la jalousie et la colère m’envahir quand je vis le porc épique qui l’accompagnait.
A cet instant, je n’étais plus maître de moi-même. J’allai jusqu’à présenter Abi comme ma fiancée. Le reste de la soirée fut un cauchemar. Savoir qu’elle était finalement mariée à ce faux-type m’était juste insupportable. J’étais encore plus en colère contre moi-même, car je ne pouvais freiner ces pulsions devant elle. Pourquoi je pensais qu’elle allait tout laisser tomber pour me suivre ? Ces espoirs s’envolèrent quand je la vis disparaître dans un coin de salon avec Wilane. Elle venait de dénicher une autre proie.
Je quittai la fête avec l’impression d’étouffer et la pauvre Abi me suivait sans rien dire. Elle me prit les clés de voiture en voyant mes mains trembler. Ensuite, elle me ramena chez elle disant que je ne devais pas rester seul. Je n’avais pas la force de dire non à quoi que soit. Quand nous entrâmes, je saluai à peine sa mère et je montai directement à la chambre d’ami. Je connaissais cette maison par cœur. Je pris rapidement une douche froide et m’engouffrai dans la couverture. J’eus encore plus mal que la dernière fois, peut-être parce que maintenant, je la perdais à jamais…
– Tu dors ? Je t’ai préparé un thé calmant. Elle contournait le lit et vint s’asseoir en face de moi. Je pris le thé qu’elle me tendait.
- Excuse-moi pour ce soir je… je…
- Chut… tu n’as pas besoin de t’expliquer, j’ai compris.
Elle s’approcha de moi, prit le thé entre mes mains toujours tremblantes et le déposa sur le rebord de la petite commode.
- Je crois que tu as surtout besoin d’un bon câlin, dit-elle en m’enlaça.
Ensuite, elle commença à me caresser le dos et me chuchoter des mots doux. Elle se releva et me prit les joues entre ses deux petites mains, me regardant droit dans les yeux :
- Tu es l’homme le plus bon, elle déposa une petite bise sur mon front, le plus gentil, continua-t-elle en déposant une autre sur le nez, et le plus courageux, et là ce fut sur la bouche.
Elle se releva doucement pour voir ma réaction, il y avait tant d’amour dans son regard. C’était peut-être parce que c’était notre premier baiser. Je m’approchai doucement de ses lèvres et pris sa bouche avec avidité. Elle gémit et se fondit littéralement dans mes bras. Tout se passa très vite. Elle ne portait qu’une robe légère que j’enlevai sans difficulté. L’image de Aicha me revint, sa bouche que j’avais à peine effleuré d’un baiser et qui m’avait procuré tant de sensations ; son corps dont je devinai les courbes et qui me donnai plus envie de la découvrir. Tout ce désir animal, fusionnel que je ressentis pour Aicha, je le partageai ce soir avec Abi.
- Onzoubilahi mina cheytane radjim (Que Dieu nous en préserve), s’écria Yaye Fatou qui, devant la porte, se tenait la bouche.
Nous nous séparions d’un bond et chacun essaya de cacher son corps avec la couverture. Yaye Fatou n’arrêtait pas de crier et de pleurer en faisant les cent pas devant le lit, la honte.
- Depuis quand vous faites ça hein, dites-moi ? Et moi qui avais une confiance totale en toi Malick, dit-elle en me montrant d’un doigt accusateur. La ilaha ilallah, qu’ai-je fais pour mériter ça. Et toi salle dévergondée, c’est comme ça que tu me remercies. Je comprends maintenant pourquoi il ne veut pas t’épouser puisque tu lui donnes déjà ce qu’il veut.
Abi pleurait en silence, la tête baissée mais maman n’arrêtait pas de la traiter de tous les noms. Elle se défoula au moins vingt minutes avant de s’asseoir à même le sol et de pleurer cette fois avec tout le désespoir du monde. Je n’ai jamais eu aussi honte de ma vie et surtout j’avais l’impression de les avoir déshonorai malgré que nous somme pas allé jusqu’au bout. J’enfilai rapidement mes habits et vins m’accroupir devant elle.
- Il ne s’est jamais rien passé entre elle et moi.
- Laisses-moi et pars s’il te plait, dit-elle entre deux hoquets.
- Je te le jure maman que c’est la première fois que je la touche et j’en suis profondément désolé. Heureusement que tu es arrivé à temps parce que je ne me le serais jamais pardonné si j’avais pris son honneur avant de l’épouser. Elle releva la tête comme pour mieux entendre ce que je venais de dire. Oui maman, sachez que dès demain, j’enverrai ma mère avec la dote pour demander officiellement la main de votre fille. Car s’il y a une chose dont je suis sûr ce soir, c’est qu’Abibatou Gueye deviendra ma femme.
Voilà ma soirée, je n’arrivai toujours pas à y croire. Ma mère m’appela en chemin avec des cris hystériques de joie. C’était le plus beau jour de sa vie, disait-elle. Ensuite, c’était autour de mes deux sœurs, mon oncle, et de mon meilleur ami Badou… Mon portable se déchargea. Mon entourage avait tant de joie, alors pourquoi pas moi ? Pourtant dans ses bras, je ressentais quelque chose, une émotion. Alors, même si je ne l’aimais pas encore, même si elle ne faisait pas battre mon cœur, j’avais espoir qu’un jour, cela viendrait. Ne disait-on pas que de l’amitié naissait l’amour.
Le marché : Mamadou Wade, maire de Fatick
Je dansais un bon morceau de mbalakh sous l’œil amusé de la fille qu’on avait mise à ma disposition. Cela faisait cinq ans que j’essayais de m’approcher vainement de ce Wilane. Voilà qu’en un claquement de doigt, il m’invitait à dormir chez lui avec tous les honneurs. Tout cela grâce à cette petite qui attirait les hommes comme des mouches. Je ne regrettais pas mon investissement avec elle. ‘Quand le diable n’y peut rien, il délègue une femme’. Je me frottai déjà les mains avec le contrat que Wilane me promit de décrocher pour ma ville. Le meilleur dans tout ça, j’avais le beurre et l’argent du beurre, hi hi hi…
- Alors beauté, qu’est-ce que tu m’as préparé car…
- PAN
Je sursautai et regardai la fille, vu sa réaction, je sus que je ne me trompais pas, c’était bien un coup de feu que j’entendis. Je m’empressais de m’habiller les mains tremblantes. En sortant de la chambre, je vis deux gardes du corps, pistolet à la main, entrés dans la chambre de Wilane en trombe. Mon Dieu, que s’est-il passé ? Le cœur battant à deux cent à l’heure, je m’approchai à pas de loup. Je faillis avoir une crise cardiaque en voyant la scène : Wilane gisait dans une marée de sang. Elle n’a pas osé…
Depuis, on m’enferma dans une chambre sans aucune explication. Je ne dormais pas de toute la nuit et je n’arrêtais pas de regarder la montre : 13h06. Je n’avais toujours pas de nouvelle. Etait-il mort ? Que s’était-il passé ? Ils ne me permirent même pas de voir cette folle d’Aicha. Si je l’attrapais, j’allais la tuer de mes propres mains. Pour l’instant, j’avais plus urgent à faire, sortir de cette chambre. Je n’arrêtais pas de faire la ronde. Cet homme était si puissant, le plus riche de toute l’Afrique. S’il meurt, je m’en fou, c’est Aicha qui va croupir en prison mais s’il s’en sort, je ne donnerai pas cher de notre vie. J’ai entendu tellement de choses monstrueuses sur lui que rien qu’à y penser, j’en tremblais. D’un coup de serrure, j’entendis ouvrir la porte. Un homme ressemblant à un gorille apparaissait.
- Veuillez me suivre monsieur et surtout pas de question, dit-il devinant mon intention.
J’avalais ma salive voyant sa tête. On me fit monter dans une voiture direction je ne sais où. Une demi-heure plus tard, la voiture se gara devant une clinique. Ça voulait dire qu’il n’était pas mort. Quelques minutes plus tard, j’étais devant lui. Il était torse nu avec un bandage au niveau de l’épaule gauche. Vu son sourire accueillant, je recommençai à respirer.
- J’espère que mes hommes n’ont pas été trop brusques avec vous ?
- ça va ! Et vous ? Comment vous sentez-vous ?
- Ah j’ai vu pire, ce n’est pas une petite balle à l’épaule qui va me tuer.
- Je suis profondément désolé pour ce qui s’est passé. Je ne sais pas ce qui l’a pris. Je vous jure qu’elle n’était pas armée en venant chez vous et…
- Arrêtez de vous justifier, c’était juste un accident, ça arrive.
- Non je tiens à me faire pardonner. Dites-moi juste ce que vous voulez pour….
- Je vous demande pardon ?
- Vous m’avez bien entendu. Je ne la veux pas pour une nuit mais pour tout le temps. Votre prix sera le mien, dit-il.
Cet homme était vraiment bizarre. Je m’asseyais sur une chaise pour mieux encaisser ce qu’il venait de dire.
- Je m’attendais à tout sauf à ça.
- Cette fille est un spécimen rare. Elle m’a regardé droit dans les yeux sans sourciller et m’a tiré dessus, moi Abdoulaye WILLANE. Je veux la dompter, la façonner à mon image et… Il se tint le menton comme pour réfléchir avant de me regarder droit dans les yeux avec un sourire narquois. Ça fait longtemps que je n’ai pas relevé de défi. Alors combien vous voulez ?
- 25 millions, risquais-je. Il souriait en me tendant un chèque grimaçant de douleur.
- Je vous en donne 50. Waw, il était vraiment tombé sous son charme, pensais-je en me précipitant de prendre le chèque et de le mettre dans ma poche.
- Je veux aussi avoir un passe.
- Un passe ?
- Oui au club, dis-je avec hésitation. Je sais que vous faites partie des plus influents dans ce club et…
- Il riait tellement fort que je me vexais. Connaissez-vous le montant que vous devrez décaisser pour avoir le billet d’entrée. Outré, je lui répondis en haussant le ton.
- Non, mais je ne m’en fais pas puisque c’est vous qui allez le payer.
- A vouloir être trop gourmand, on risque de tout perdre vieux, dit-il d’un ton hautain. Alors contentez-vous de ce que je vous ai donné.
- Laissez-moi réfléchir et…
- J’en ai rien à foutre de vos réflexions, rugit-il. Il vaut mieux pour vous que je ne sois pas votre ennemi.
J’essayais de garder un air neutre alors que je tremblais de tout mon corps.
- Maintenant vous pouvez disposer, vous m’avez fatigué avec vos bêtises. Ouste.
Il prit délicatement son journal, le déplia et commença à lire comme si je n’étais plus là. J’en concluais qu’il en avait fini avec moi et qu’il ne voulait plus voir ma tronche. Mais au moment où je touchais le poignet de la porte, une question me vint à la tête.
- Qu’est-ce que je vais dire à ses parents, à mon entourage? Il me faut du temps pour…
- Combien ?
- Un mois au plus car…
- Vous avez une semaine et surtout ne vous avisez pas d’abîmer mon jouet ni de faire chambre avec elle, ajouta-t-il d’un ton hyper menaçant. Je le saurai si vous la touchez.
- Quoi mais…
- A dimanche prochain Monsieur Wade, finit-il en faisant signe du menton au garde du corps qui était devant la fenêtre et qui ressemblait à un lutteur. Ce dernier ne me laissa pas le temps d’ajouter quoique ce soit, il me jeta dehors comme un mal propre. Ce fut la plus grande humiliation de ma vie. Le salaud, il va me le payer. Mais comment ? Cet homme était mille fois plus riche et plus dangereux que moi. Je me consolais avec cette belle somme d’argent.
Réminiscence : Aicha
Cela faisait trois jours depuis notre retour et rien. J’avaies l’impression que le maire avait peur de moi (peut-être qu’il avait peur que je lui tire dessus) lol. Moi qui croyais qu’il allait me massacrer, au contraire il ne m’adressa plus la parole, ne me toucha plus et le plus bizarre était qu’il ne dormait même plus ici. Par contre, il m’enfermait dans la chambre toute la journée. Peut-être qu’il était en train de commanditer mon meurtre. Même si j’avais très peur, je ne regrettais pas mon acte. Bien au contraire, il m’a délivrée. M’être défendue me fit comprendre que je ne devais plus me laisser faire. Les paroles de Malick n’arrêtaient de défiler, en boucle, dans ma tête : ‘Chacun est maître de son destin’. Une évidence m’apparut : hors de question de rester mariée à cet ignoble énergumène qui était prêt à tout pour l’argent et le pouvoir. A deux reprises, je lui avais demandé la permission d’aller voir mes parents et deux fois avait refusé. Peut-être qu’il devinait mon intention de le quitter. Au début, je jurais de me venger en le castrant ou en le rendant borgne mais comme on dit « l’eau ne reste pas sur les montagnes, ni la vengeance dans un grand cœur ». Je me réfugiais dans la prière pour refouler ces idées en attendant de trouver une solution pour déguerpir d’ici.
Le vendredi, il m’ouvrit enfin la porte, me demandant de les rejoindre pour manger. Tout le monde me regardait avec insistance, surtout Codou qui avait l’air inquiète pour moi. Je lui fis un clin d’œil en souriant histoire de l’apaiser. Le maire, quant à lui, était pour la première fois d’une gentillesse exagérée. Il essaya d’animer au maximum la table avec des anecdotes à la con. Ensuite, il offrit à chaque membre de la famille une belle enveloppe d’argent disant qu’il voulait repartir sur de nouvelles bases et patati et patata. Malheureusement pour lui, c’était trop tard. Quoi qu’il fasse, il ne pourrait jamais effacer toutes les atrocités qu’il fit subir à sa famille.
Le soir, il vint avec une petite boite à écrin avec à l’intérieur un joli ensemble en or. C’était la première fois qu’il m’offrait un bijou.
- Je voulais m’excuser pour ce que je t’ai fait à Dakar, je ne sais pas ce qui m’a pris. Voir cet homme par terre me fit comprendre l’ampleur de mes bêtises.
Je commençai sérieusement à douter de cette gentillesse excessive. Ce crapaud sûrement quelque chose dans la tête. Il me coupa dans mes pensées en venant s’asseoir à côté de moi. Je sursautai sans le faire exprès.
- Tu vois, c’est à cause de ça que je suis toujours fâché contre toi. Tu me donnes l’impression d’être une merde. Je sais que tu ne m’aimes pas mais cela me vexe que tu ne fasses aucun effort. C’est pour cela que je me comporte toujours comme une brute, ajouta-t-il en pleurant. Hi boulma diomil dé (ne me fait pas peur) avais-je envie de lui dire. J’ai beaucoup réfléchi ces derniers jours et j’ai décidé de changer, de devenir bon et peut-être qu’un jour, tu m’aimeras. Je veux être un homme meilleur, qui ne tyrannise plus sa famille. Aussi je ne coucherai plus avec toi sans que tu ne le veuilles. Je me pinçais la cuisse histoire de voir si je ne rêvais pas. Enfin pour te montrer que je suis prêt à tout pour me faire pardonner, je t’ai inscrit à la plus grande école privée de Dakar. A ces derniers mots, je relevais la tête pour le regarder. Oui tu m’as très bien entendu et comme l’école est ouverte depuis presqu’un mois, tu pars dimanche.
- Ce dimanche, c’est-à-dire après demain ?
- Oui ma chérie, j’ai tout organisé, tu vas aimer. Pour tes affaires, une valise suffira car là-bas tu vas porter un uniforme. N’est-ce pas génial ?
Là, j’en étais sûre, ce monstre préparait quelque chose sinon pourquoi autant de précipitation. A Dakar, je serais totalement à sa merci. Je lui souriais et fis semblant d’être contente en prenant la boite à bijou. Je réfléchissais à deux cent à l’heure, ce n’était pas pour rien que l’on m’appelait surdouée. Dès qu’il entra dans la douche, je pris instinctivement son portable et regardai le journal de ses appels. Mon cœur fit un bond quand je vis deux fois le nom de Willane. Maintenant j’en étais sûre, c’était un piège. Il va voir ce qu’il va voir. « Le vrai courage est parfois de choisir. ». Il est temps que les masques tombent.
La révolte : Niangue, homme à tout faire du maire
J’étais épuisé, depuis le matin, je n’arrêtais pas de faire des courses pour le dîner de ce soir. Je ne suis pas leur boniche de merde. Sur ordre de la princesse Aicha, le patron invita toute sa famille et celle de sa femme à un dîner d’adieu. Elle sembla toute heureuse d’aller vivre à Dakar loin de son mari. Pauvre fille, elle quittait la gueule du loup pour aller se réfugier direct dans celle du dragon. Ce Wilane était de la pire espèce, aucun état d’âme. Mon patron et moi étions de vulgaires voyous comparés à cet homme. Il s’occupait d’un trafic d’arme dans toute l’Afrique, provoquait des guerres rien que pour embellir ses affaires. On le soupçonnait de plusieurs crimes et pourtant il faisait l’objet de tous les honneurs. Hé oui c’est comme ça l’Afrique.
Le soir, je vis la belle Aicha attablée à côte de mon patron, le visage crispé et regardant toutes les cinq minutes ses parents. Je ne savais pas pourquoi mais j’avais un mauvais pressentiment. Il était vingt-trois heures quand tout le monde rejoignit la grande salle pour prendre la dernière collation. Mon patron n’arrêtait pas de rigoler et de distribuer des billets de dix mille. Il aimait montrer sa puissance devant ses frères et autres. D’ailleurs c’était pour cela qu’il m’obligea à porter un costume avec cette chaleur et à rester debout les mains croisées histoire de faire le garde du corps. Pif ! Faible d’esprit, il éprouvait toujours le besoin de montrer sa puissance aux autres. Vivement la fin de cette soirée car je commençais à avoir les pieds en compote. La petite Aicha se leva et vint se mettre devant son père. Elle tapa très fort ces deux petites mains poussant tout le monde à la regarder. Ces yeux lançaient des éclairs. Hum ça sentait les ennuis pour mon patron.
- Excusez-moi de prendre la parole devant mes ainées mais il le faut. Elle se tourna vers son père : Papa, je sais que tu m’as forcée à me marier avec cet homme par loyauté et que toi maman tu t’es promise la mort si je me rebellais. Mais aujourd’hui, il n’est plus question d’honneur car…
- Tais-toi salle impolie, qu’est-ce que tu crois….cria mon patron voyant où elle allait en venir.
- Cet homme que vous voyez ici m’a offert gratuitement à un homme riche quand nous étions à…
- Je vais te tuer, hurla-t-il en courant vers elle.
Mais le coup était déjà partie car tout le monde dans la salle avait entendu ce que la petite cria si fort. Avant même que mon patron n’atteignit sa cible, le père et le frère de celle-ci faisaient bloc devant elle. Un brouhaha indescriptible se souleva. Les paroles fusaient de partout, chacun y mettant son grain de sel.
- Astahfiroula, disait l’une
- Ki mo mana fène (quelle menteuse)
- Nopou ouba tina (Je n’arrive pas à croire ce que je viens d’entendre)….
Tout le monde parlait en même temps et personne n’écoutait personne. Il fallut plus d’une demie heure pour que Pape Ousmane, l’ainée de la famille Wade calma les esprits.
- Maintenant que tout est dans l’ordre, je voudrais que l’on règle calmement ce problème. Mamadou, l’accusation de ta femme est très grave. Tu as la parole pour te défendre.
Que le match commence, pensais-je.
Le maire se leva tremblant de colère.
- C’est une sale arriviste et qui en demande chaque jour un peu plus. J’ai tout fait pour elle, j’ai payé 5 millions pour que son père puisse garder sa maison en plus d’une dot d’un million. Mais cela ne suffisait pas, elle en redemandait toujours plus. Cela ne m’enchante pas de la laisser partir à Dakar mais elle m’a menacé de me quitter, finit-il en pleurant.
Si je ne le connaissais pas, j’aurais vraiment cru à son désarroi. 1-0. Mon patron était trop fort, un vrai politicien. Tout le monde regardait d’un air accusateur Aicha qui se leva à son tour pour parler. Il y avait tellement de haine et de détermination dans son regard que je commençais à avoir peur pour mon patron. Cette petite avait du cran, c’était indéniable.
- Ce que je dis est vrai, il m’a proposé à un homme qui d’ailleurs allait abuser de moi si je ne lui avais pas tiré dessus.
- Menteuse, tu ne perds rien pour attendre, lui dit-il. Vous n’allez pas croire cette folle, n’est-ce pas ?
Les membres de la famille du maire firent non de la tête et les voix commencèrent à se lever.
- Taisez-vous, cria encore Pape Ousmane. Ma fille, as-tu la moindre preuve de ce que tu avances.
- Elle n’en a aucune puisqu’elle ment. Cela m’apprendra à épouser une fille de mœurs légères car je n’ai rien trouvé le jour de la noce. Mais comme j’étais déjà amoureux d’elle, j’ai dû me couper la main pour sauver son honneur et aujourd’hui c’est comme ça que tu me remercies ?
Hou ! Mon patron était trop fort, ce mensonge valait deux buts : 3-1. Cette fois, ce fut les parents d’Aicha qui se mirent en colère.
La mère :
- Si vous osez nous regarder dans les yeux et mentir sur l’honneur de ma fille alors qu’elle était dans le pire des états quand je suis venue la voir le lendemain, alors vous êtes capable de tout. J’ai même été obligée de la ramener avec moi pour la soigner et des personnes peuvent en témoigner…
Le maire :
- Piff ! Des personnes de votre famille, laissez-moi en douter car…
Le père :
- Ca suffit avec votre insolence. Personne ne vous a forcé à épouser ma fille et vous l’avez que trop dit que vous y avez mis les moyens. S’il y a une chose au monde dont je ne doute pas, c’est de l’intégrité de ma fille. Il se tourna vers l’ainé de la famille avant de continuer. Tout ce que je demande c’est que ce monstre libère ma fille et cela devant tout le monde et tout de suite.
Hi ! C’était foutu pour mon patron, il était tellement en colère que ses mains tremblaient. Il avait sûrement peur de WILANE.
- Jamais, cria mon patron, pas après ce que j’ai investi. Tant que vous ne me rembourserez pas mon argent, je ne la laisserai pas partir.
Les brouhahas reprirent de plus belle. Certains lui conseillèrent de la laisser partir, d’autres non. Le père de Aicha, quant à lui, refusait de laisser sa fille une nuit de plus dans la maison du maire, plutôt la mort, clamait-il. Dans ce désordre indescriptible, personne ne remarqua Codou qui, assise comme toujours dans un coin, la tête baissée, hurla si fort et attira par là tous les regards.
- Assez, stop, répétait-elle en se tenant la tête.
Sa fille ainée vint la prendre en lui chuchotant des mots doux et tenta de l’apaiser.
- J’en ai marre, je ne peux plus me taire, je ne veux plus, dit-elle en secouant la tête.
Ho ho, si la folle parlait, le maire allait être foutu.
- Je t’interdis d’ouvrir ta bouche d’aliénée, tu n’es pas lucide, va prendre tes cachés, lui cria son mari.
- Non, laisse là, si elle est comme ça, c’est à cause de ta méchanceté. Il est temps que la famille sache qui tu es vraiment papa.
Paf ! Une belle gifle renvoya la petite au sol. Mon patron, il savait gifler lui.
- Si tu ne te calmes pas tout de suite, je te fais sortir du salon dit Pape Ousmane.
- J’en ai marre de tout ça, c’est ma maison, mes femmes alors sortez tous autant que vous êtes.
- Aurais-tu si peur de ce que Codou a à dire pour te comporter ainsi comme une brute, lança Pape Ousmane. Pourquoi tu es si agité ? Parles femme, il ne te fera rien.
- La petite a raison, à moi aussi il m’a fait la même chose et durant des années…..
- Tais-toi, je vais te tuer. Il se rua vers elle mais deux de ses neveux lui barrèrent la route. Il cria mon nom.
- Niangue, sors les tous de ma maison. Les salauds, vous êtes fini. C’est bien grâce à moi que vous avez du travail, dit-il en s’adressant aux hommes qui l’avaient stoppé dans son élan. Vous allez tous me le payer très cher. Sortez, continua-t-il en cris. Quand je me décidai enfin à intervenir, il s’écroula devant moi en se tenant le cœur. Finalement, c’est la petite qui gagnait le match par Ko….
A lire chaque lundi….
Par Madame Ndèye Marème DIOP
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