CHRONIQUE DE MAREME
Aicha : prise au piège
Dès que je suis arrivée chez mes parents, je me suis refugiée dans ma chambre, prétextant une migraine. La discussion que j’ai eue avec la femme de Malick me hantait. Je voulais juste prendre un peu de recul face à autant de changements en ce laps de temps. Depuis quelque temps, je fais des cauchemars, soit c’est un homme qui me poursuit, soit je suis violée. Je me réveille toujours en pleurs. Je croyais avoir réussi à mettre mon passé derrière moi mais je me rends compte que je me suis leurrée. Hier, j’ai tout de suite quand j’ai senti Malick si excité. Imaginez quand il s’agira de remplir mon rôle de femme. Je ne pourrais pas. Je ne suis pas prête. Il faut que je lui dise. J’avais décidé de lui parler de mes angoisses et surtout du traumatisme de mon mariage précédent. Il fallait que je me confie à lui pour pouvoir avancer ; il est le seul à arriver à me faire parler. Je ne sais pas pourquoi mais avec lui, je suis capable de tout supporter et même parler pour la première fois de ce qui s’est passé intimement avec le maire. Malheureusement, les choses sont allées tellement vite. Je n’arrête pas de me remémorer ce qui s’est passé.
Flashback
Je sors de la voiture énervée. Malick me ment et je n’aime pas ça. Il m’a prise au dépourvu quand il m’a dit qu’il devait aller voir sa mère. Lorsque je lui ai suggéré de le faire le samedi, sa réponse m’a fait comprendre qu’il cachait quelque chose. Cela m’a plus qu’énervé et le fait qu’il ne me raccompagne pas comme il le fait d’habite jusqu’à la porte de ma chambre me prouve encore plus qu’il y avait anguille sous roche.
Je suis entrée dans ma chambre hyper énervée et encore plus stressée que je ne l’étais déjà. Cela s’est accentué depuis qu’il m’a dit qu’il voulait rencontrer mes parents ce weekend.
Je me suis couchée histoire de me reposer un peu et le sommeil m’a rattrapé. Je ne sais pas combien de temps j’ai dormi mais j’ai été réveillée par quelqu’un qui a frappé à la porte. Ça doit être lui, revenant sur ses pas. J’ouvre la porte avec un grand sourire qui disparait tout de suite. Abi la femme de Malick me regarde de la tête au pied avec dédain. Elle a vraiment changé depuis la dernière fois que je l’ai vue à cette soirée. Une drianké (femme robuste) dans le vrai sens du mot. Elle porte une belle tunique rose, un peu serrée sur les bords, sa longue fausse chevelure et ses faux cils révèlent une femme très sophistiquée.
- Donc c’est bien vous ? Toujours surprise, je ne dis rien. Est-ce que je peux entrer ? Je la regarde encore une seconde avant de m’effacer. Mais qu’est-ce qu’elle fait ici ? Elle regarde autour d’elle avant de se retourner vers moi. Comme si elle avait deviné mes pensées, elle me lance. Vous devez surement vous demander ce que je fais ici. Mais il fallait que je visse la femme qui veut me voler mon mari.
- Je vous demande pardon ? Je je… Loin de moi l’idée de vous voler quoi que ce soit, balbutie-je totalement paniquée. Mon cœur battait la chamade. Qu’est ce qui m’a pris de la laisser entrer ? Maintenant dans cette chambre fermée seules toutes les deux. Je suis complétement à sa merci. Vu sa gabarie, je suis foutue, elle va me manger en une bouchée. Elle me regarde un moment avant de se retourner s’asseoir sur la seule chaise en bois qui se trouvait dans la chambre. Elle semble nerveuse avec sa façon de tenir si serré son sac en le tordant entre ses mains. Finalement, peut-être qu’elle ne va pas me tuer. En tout cas, je n’ose ni parler, ni bouger. Je sais, je suis une tapette mais vous ne l’avez pas vue. Oh !
- Je ne sais même pas ce que je fais ici. Vous n’avez pas honte de vouloir séparer un homme de sa famille ? Nous étions si heureux avant votre arrivée… Elle se tait pour refouler des larmes. Au final, peut-être qu’elle ne va rien me faire vu comment elle semble bouleversée.
- Je vous jure qu’il n’est pas de son intention de vous quitter. Je serais votre petite sœur si vous le voulez et…
- C’est ce qu’il vous a dit ? C’est bien lui ça. Il me quittera dès que vous serez sa femme. C’est un monogame par nature. Déjà qu’il s’est si éloigné de moi …
- Ne dites pas ça s’il vous plait, je ne le laisserais pas faire…Elle s’est mise à pleurer cette fois en se tenant le visage. La honte me submerge et la situation me dépasse.
- Depuis que vous sortez ensemble c’est comme s’il ne me connaissait plus, il ne me touche plus, ne me parle plus. Alors j’ai commencé à le soupçonner. Elle se remit à pleurer de plus belle. Il y a tant de désespoir en elle et tout cela à cause de moi. Ce matin, il m’a surprise en train de regarder ses messages et et…..il est entré dans une colère noire jusqu’à menacer de me répudier.
- Non il ne fera jamais ça…
- Vous croyez ? Je sais qu’il veut se débarrasser de moi et le plus tôt sera le mieux.
- Je ne sais pas quoi vous dire, ça me surprend de sa part. Je lui parlerai et ….
- Non, non, non surtout pas. Elle se lève paniquée, fait des cents pas en se tenant la tête. J’ai vraiment pitié d’elle et j’en veux horriblement à Malick d’être si injuste envers elle. Je vous jure que s’il sait que je suis venue vous voir, ce sera ma disgrâce. Il n’hésitera pas à me renvoyer chez ma mère.
- Alors je ne lui dirai rien, je vous le promets. Maintenant calmez-vous. Elle s’approcha de moi et me prit les deux mains et marmonne :
- Je ne vais pas me battre contre vous, mais sachez que s’il me quitte, vous aurez ma mort sur votre conscience car je ne pourrais jamais vivre sans mes enfants.
- Nous n’en arriverons pas là.
- Alors quittez-le Aicha, c’est la seule solution, hoquette-t-elle. Je sursaute sans pouvoir lui répondre.
- S’il le faut, je le ferais car je n’accepterais jamais d’être la cause de votre divorce. A cet instant, mon portable sonne ; c’est Malick. Je jette un regard furtif à Abi avant de raccrocher. Je ne pourrais pas parler avec lui devant sa femme. Connaissant Malick, il rappelle la seconde d’après. Donc je raccroche en lui envoyant une excuse bidon.
- C’est lui n’est-ce pas, j’acquiesce juste la tête. Il faut que je m’en aille. Jurez-moi que vous ne lui direz rien ; sinon c’est sûr qu’il va me répudier, billahi.
- Je vous promets, sur mon honneur qu’il n’en saura rien. Et je vous assure qu’il n’a jamais été question qu’il se sépare de vous, au contraire.
- Si vous le dites. Merci de votre gentillesse et de votre écoute.
- C’est moi qui vous remercie Abi. Elle se retourne pour partir et devant la porte, elle me demande mon numéro de téléphone pour, dit-elle, au cas où ? Au cas où quoi ? ai- je failli lui demander ; mais je me retiens et le lui donne. Je n’ai pas vraiment le choix. Dans cette histoire, c’est moi la fautive.
Longtemps après qu’elle soit partie, je suis restée pensive. On s’est vu toute la journée aujourd’hui et pas une seule fois Malick ne m’a parlé de la dispute qu’il avait eue avec sa femme. Est-ce pour cette raison, qu’il est parti voir sa mère et qu’il ne pouvait pas attendre. Moi qui croyais que l’on se partageait tout, voilà qu’il me cache délibérément ceci. Je ne sais plus quoi penser ni quoi faire. Tout s’embrouille dans ma tête et franchement ça devient trop compliqué pour moi. Je prends deux ou trois habits que je fourre dans mon sac, direction : Parcelles. Il fallait que je parle de tout ça à Menoumbé et surtout que je m’aère l’esprit.
Au moment où je prends le bus, mon portable sonne, je ne connais pas le numéro mais je décroche quand même.
- J’avais raison Aicha, il veut me quitter criait Abi. Mon cœur fait un bond. Je n’arrive même pas à répondre. Elle reprend de plus belle, maman vient juste de m’appeler et elle m’attend chez la mère de Malick. Je ne sais pas quoi faire ?
- Calmez-vous, peut-être que c’est juste pour…
- Non, maman m’a dit que Malick est venu se plaindre et qu’il veut que je reste quelque temps chez elle. Tu te rends compte, finit-elle. Je suis estomaquée par cette nouvelle.
- Je vous jure Abi que je ne resterais pas avec lui s’il se débarrasse de vous. Pour commencer, j’annule la visite de ce weekend chez mes parents et lundi je lui parlerai. Et ne vous inquiétez pas, je n’invoquerai pas votre nom, je saurai comment faire. D’accord ?
- D’accord, répondit- elle à mi-voix avant de raccrocher. Se peut-il que je me sois autant trompée sur lui. Est-ce qu’elle dit la vérité ? La femme que j’ai vue aujourd’hui était au bord du désespoir. Pourquoi Malick m’a menti arguant que sa femme était au courant pour nous deux. Tout est trop rapide, trop soudain, je suis à bout. Sans réfléchir, je pris mon portable et lui envoie un message : « je crois que nous sommes allés un peu trop vite en besogne et que l’on devrait faire une pause ». Une minute après il appelle. Je décroche, la main tremblante.
- Est- ce que tu as vu ma femme, rugit- il. Je sursaute, est- il au courant de sa visite ? Réponds-moi, s’il te plait. De toute façon, j’arrive chez toi tout de suite. Sa voix est très sèche comme les fois où il me parlait avec haine.
- Je suis déjà en route chez mes parents Malick.
- Alors descend du bus et dis-moi où tu te trouves.
- Laisse tomber Malick, je…
- Ne me dis plus jamais ça. Tu n’as pas le droit de me quitter sans aucune explication Aicha. Je voulais lui dire que c’était juste pour réfléchir un peu et qu’on en reparlerait lundi mais j’étais à bout.
- Il faut que je te laisse. J’eus le temps d’entendre son cri.
- Si tu raccroches, c’est fini. J’appuie sur le bouton sans plus attendre et éteins mon portable. Mes larmes commencent à couler sans que je ne puisse les retenir. La personne assise à côté de moi, commence à s’inquiéter mais je ne lui réponds pas. Je fais juste semblant de dormir en me cachant le visage et je continue à pleurer.
Retour à la réalité
Ma mère est venue me voir deux fois pour me tâter la tête. Menoumbé est allé à la pharmacie m’acheter un Efferalgan. Ce qu’ils ne savent pas c’est qu’il n’y a pas de remède à la maladie du cœur. Le gars, je lui dis que j’ai besoin d’une pause et il m’envoie balader, pif. Pour qui il se prend ? S’il croit qu’il est indispensable, je suis si en colère contre lui que j’en tremble. Je vais faire comme s’il était mort, soof ba dé.
Hier, je n’avais pas pris de médicament puisque je n’avais pas mal à la tête mais ce matin, ayant très mal dormi, je me suis réveillée avec une affreuse migraine. J’ai pris deux comprimés et je suis allée à la cuisine prendre un verre. A cette heure, ils sont tous à la boutique. Je vais aller au marché et leur préparer un bon thiéboudieune (riz au poisson). Cela m’occupera un peu l’esprit. Si je reste seule sans rien faire, je risque de craquer. J’envoie à Menoumbé un message pour lui dire de ne pas acheter de bol de riz et me dépêche de sortir car il est déjà neuf heures. En route ma mère m’appelle pour me demander si je vais mieux, mon père aussi. Je ne peux m’empêcher de regarder chaque seconde mon portable, espérant un appelle ou un message de lui mais rien. Plus les heures passent plus je suis en colère contre lui, contre moi qui n’arrête pas de penser à lui, à son sourire, son regard de braise, sa bouche… Tu ne sais pas ce que tu veux toi.
Le reste de la matinée s’est passée très vite. La préparation du repas m’a finalement occupé. C’était une mauvaise idée de proposer à cuisiner, depuis le temps que je ne l’ai pas fait. Si je ne le réussis pas ma mère va me tuer, elle qui est un vrai cordon bleu. Elle m’a appelé deux fois pour me demander où est-ce que j’en étais. J’avais fini mais il manquait un peu de sel alors j’ai été obligée de faire une sauce avec des boulettes et crevettes pour ramener le gout. Je suis partie à la boutique, la boule au ventre. Il a suffi qu’ils voient que c’est du thiébou diaga pour commencer à me complimenter. Il est facile de tromper les hommes puisqu’ils ne savent rien à la cuisine. Je pense que de toute l’Afrique, les Sénégalais sont les plus macho. La société sénégalaise est très traditionaliste. A la maison, les hommes sont des rois, ils n’ont droit à aucun travail ménager, au contraire. Certains essayent d’enfreindre cette loi mais ils sont tout de suite freinés par leur entourage. Ici, un homme qui aide sa femme est un homme faible.
Après le repas, alors que mon père me remerciait avec un beau sourire et que Menoumbé me chantait la gloire du tiéboudieune, ma mère, elle, ne disait rien. Dès qu’ils se sont éloignés, elle me prit par le bras.
- Yawe (toi) à partir d’aujourd’hui c’est toi qui cuisine tous les weekends. C’est quoi ce qu’on vient de manger ?
- Maman, toi aussi tu exagères, ça manquait juste du sel mais regarde le bol est fini.
- Faut pas me fâcher dé….et c’est partie pour quinze minutes de réprimandes. Bilaye les mamans, dès fois, elles exagèrent. Quand Menoumbé est passé devant moi, il était au téléphone. Il m’a juste fait un clin d’œil en regardant son portable et mon cœur fit un bon. Est- ce bien ce que je crois ? Je n’écoutais plus maman, je regardais au loin mon frère qui commençait à crisper son visage, signe d’un mécontentement. Mon cœur battait très vite. Quand il a raccroché, il s’est tourné vers moi, me faisant signe de venir. Je ne me suis pas rendue compte que ma mère parlait toujours en courant vers la sortie.
- Moo yawe fo dieume ni (où est-ce que tu vas comme ça). Avant même d’être à sa hauteur, Menoumbé me lance avec véhémence.
- C’est quoi encore cette histoire. Pourquoi tu as quitté Malick ?
- C’est ce qu’il t’a dit ? C’est lui qui m’a quitté, moi je voulais juste faire une pause.
- Depuis quand tu fais des pauses photos ? J’éclatais de rire sans le faire exprès. Rira bien qui rira le dernier ; si tu crois que Malick va t’attendre. L’université ne te va pas, pause diam.
- Laisse tomber, tu ne sais même pas ce qui se passe…
- Alors dis le moi.
- Loumouye daw baye danou han (Qu’est-ce qu’il a à s’empresser).
- Donc si je comprends bien tu préfères continuer dans le pêché que de te marier avec lui. Vous vous aimez alors pourquoi attendre.
- Parce que j’ai peur.
- De quoi ? Je ne peux pas le lui dire, c’est trop intime. De sa femme ? Continue-t-il.
- Mais non voyons. Par contre, je ne veux pas…Je me tais et le regarde. Au fait depuis quand vous êtes devenus des amis ?
- Pourquoi cette question ?
- Pour savoir si je peux te faire toujours confiance ou pas ?
- Depuis que tu me l’as présenté et je t’assure que c’est quelqu’un de vraiment bien Aicha.
- L’apparence est souvent trompeuse et je vois qu’il t’a conquis alors bye.
- Reste ici, on n’a pas encore fini. Moi je veux juste comprendre. J’ai vu comment vous vous regardiez le jour du déménagement, vous êtes fous l’un de l’autre alors pourquoi tu compliques les choses. Je ne dis rien parce que pour la première raison, c’est trop intime et pour la seconde, j’ai promis à Abi que son mari ne saura rien. Menoumbé n’a pas la langue dans sa poche alors je préfère garder le silence.
- Ecoute, cette histoire me regarde alors je voudrais que tu ne t’y mêles plus et c’est mon dernier mot, dis-je en tournant les talons.
- Dans tes rêves et pour ta gouverne, monsieur arrive, hurle-t-il. J’ai trébuché et suis tombée complétement affalée au sol. Mes parents ont couru vers moi.
- Bismilahi, ça va ma fille ? Mon cœur a raté dix battements en quelques secondes. Je n’écoutais même pas mes parents. Qu’est -ce que mon fou de frère vient de dire ?
Malick : l’embarras
Quand j’ai raccroché avec Aicha hier, j’étais tellement en colère que je suis resté dix minutes dans la voiture a essayé de reprendre mon calme. Dans la colère, je lui ai dit que tout était fini mais ce ne se sera jamais fini avec elle. Je l’ai dans la peau, cette fille et rien ni personne ne pourra me séparer d’elle. Je l’aime et je suis prêt à me battre pour elle. J’ai appelé Mouha et nous nous sommes retrouvés quelque part pour en parler. Maintenant qu’Abi était au courant, il fallait que je fasse vite car avec les femmes on ne sait jamais. Les charlatans ont détruit les valeurs de nos femmes avec leurs sorcelleries. Où que tu vas en Afrique, la sorcellerie fait rage. Le plus triste, c’est qu’aujourd’hui, c’est tellement ancré dans l’esprit de certains qu’ils croient dur comme fer que tout ce qui leur arrive de bien ou de mal est dû à des fétiches. Malheureusement, ça ne finit jamais en bien. Je ne pense pas qu’Abi ait eu recours à cela mais quand une femme est désespérée, elle devient fragile. Alors soit c’est la mère, la sœur ou la copine qui va te pousser à aller voir un charlatan. Et aujourd’hui avec ce qu’elle vient de poser comme acte, je ne jurerais plus de rien. Je suis sûr à 100 % qu’elle est allée voir Aicha et je finirais par savoir ce qu’elle lui a dit pour la pousser ainsi à me quitter. Je suis rentré chez moi vers une heure du matin et je me suis dépêché d’aller dormir dans la chambre d’à-côté. Mon cœur est trop en miettes pour supporter une dispute encore moins des explications bidon. Tant que je ne me réconcilie pas avec Aicha, elle est morte pour moi. Vous direz que je suis égoïste mais on ne récolte que ce que l’on sème.
Mouha m’a conseillé d’aller voir Aicha et lui parler face à face. Pour moi, c’est une mauvaise idée, mais toute la nuit, je n’ai pas arrêté de penser à cette éventualité. De toute façon, je ne pourrais jamais tenir jusqu’à lundi, c’est trop, il faut que je la vois. Quand je suis sorti de la chambre à pas de loup, j’ai entendu Abi et les enfants en bas. Surement sont- ils en train de prendre le petit-déj. Je m’empresse d’aller dans ma chambre prendre un bain et porter rapidement un joli ensemble. J’ai descendu les escaliers en courant, n’empêche Abi m’a rejoint devant la porte.
- Salut mon amour, tu vas où ? J’ai fait un programme pour qu’on passe une belle journée avec les enfants comme ça on pourra parler de ce qui s’est passé. Juste un regard et elle a reculé me laissant le passage. Plus hypocrite qu’elle, tu meurs. Je suis parti au bureau histoire de rattraper un peu le retard de la semaine, mais je ne suis pas arrivé à me concentrer tellement je pense à Aicha. Vers quatorze heures, ne tenant plus, j’ai appelé Menoumbé. Aicha ne lui a rien dit et comme Mouha, il m’a conseillé de passer et de faire fi de ses caprices.
Deux heures plus tard, ça y est, je suis en face de la boutique des parents de Aicha qui se trouve au marché de Parcelles. J’ai tourné en rond pendant presque une heure pour la trouver car je ne connaissais pas trop l’endroit. Je devais demander la boutique de Ngor Fatick. J’ai pris un grand air et je suis entré. Aicha est la première personne que je vis. Elle devait surement guetter mon arrivée. Par deux fois, j’ai failli rebrousser chemin, surtout avec ses appels incessant mais j’ai tenu. Elle s’approche de moi et malgré son regard de braise, je souris. Ce petit bout de chose me tient.
- Ne me pousse pas à te détester, me lance-t-elle avec tellement de hargne que j’ai sursauté. De ma vie, je n’ai jamais pensé qu’une femme m’intimiderait autant. Je ne sais même pas quoi lui répondre face à autant de haine dans son regard.
- Bonjour Malick, j’ai cru que tu avais changé d’avis. Tu en as mis du temps, dit jovialement Menoumbé en s’approchant.
- Les embouteillages, répondis-je en prenant la main qu’il me tendait. Aicha est toujours en face de moi, les mains croisées comme si elle voulait être une barrière entre ses parents et moi. Cette fille est folle, attend que l’on soit seul, elle va voir. Son père est au fond en train de servir un client et sa mère est à la caisse. Je regarde autour de moi et vois que c’est une grossiste. On y vend du tout.
- Hé pousse-toi, fit Menoumbé, on dirait un chien en rage. C’est comme ça que tu accueilles ton futur mari.
- Quoi que… Elle pousse violemment Menoumbé, wawe, elle est vraiment en colère.
- Qu’est-ce qui se passe ici ?
- Papa, Aicha ne me respecte plus. Tu devrais lui parler.
- Ne vous ai-je pas déjà dit de ne pas vous chamailler devant les clients. Il se tourne vers moi en me souriant. Bonjour monsieur, excusez-les, ce sont des gamins. Que puis-je faire pour vous.
- En fait, on se connait papa….
- C’est Malick Kane, le patron d’Aicha, dit Menoumbé à haute-voix. Son père fronce les cils et se tourne vers Aicha qui commence à paniquer.
- Il est juste venu déposer un dossier important que je dois traduire pour lundi. Menoumbé éclate de rire avant de se tenir la bouche, moi je ne fais que sourire.
- En fait nous sortons ensemble depuis dix jours et je suis venu aujourd’hui pour me présenter officiellement. Là elle s’est assise de suite sur la chaise qui était à côté d’elle. Je crois que ses jambes ne tenaient plus. Sa mère s’est approchée doucement, elle ressemble beaucoup à sa fille. Comme son mari, elle cherche le regard d’Aicha.
- Donc ma fille a un petit ami et je ne suis pas au courant, dit son père d’une voix calme. Thièy halèye taye yi (Ha les enfants d’aujourd’hui). Venez-vous asseoir monsieur.
- Malick s’il vous plaît.
- J’ai l’impression de vous avoir déjà vu quelque part mais je ne sais plus où dit le père de Aicha en se tenant le menton.
- C’était à une rencontre à l’hôtel où travaillaient vos enfants. J’étais…
- Ah oui, je me rappelle, vous aviez de bons projets et surtout vous avez été le premier à faire passer nos intérêts avant les bailleurs.
- Oui malheureusement nous ne nous trouvons jamais là où on conclut les transactions et finalement c’est toujours eux qui ont le dernier mot.
- C’est pour cela que je n’ai jamais participé à ce genre de réunion, sachant que ça n’en valait pas la peine.
C’était parti pour une heure de discussion passionnée sur l’agriculture, l’économie du pays et surtout ce combat qui me tient si à cœur : l’émergence de l’Afrique à travers ses propres moyens. Durant toute la durée de la conversation, Aicha n’y a pas pris part. J’avais hâte de me retrouver seul avec elle pour une petite explication. Quand j’ai entendu la voix du muezzin, j’ai compris qu’il était temps pour moi de partir mais je ne savais pas comment en venir aux choses sérieuses.
- Il se fait tard Malick et je ne voudrais pas vous retenir plus longtemps, dit son père. Les enfants, si vous voulez bien nous laisser seul une minute.
- Pourquoi demande de suite Aicha en position de combat.
- Tu sors avec cet homme depuis dix longs jours sans me le dire et tu oses me demander pourquoi je veux lui parler seul à seul. Eh bien pour connaitre ses intentions envers toi bien sûr. Disparait de ma vue fini-t-il en faisant signe à sa mère de l’amener.
- Surtout ne prend pas une décision sans d’abord m’en avertir comme la dernière fois. Je ne suis plus une enfant. L’allusion était frappante et je cherche son regard pour comprendre pourquoi elle m’assimilait à cette crapule.
- Papa ne l’écoute pas, elle est un peu fâchée contre lui car elle ne voulait pas qu’elle vienne te rencontrer.
- Ah bon ? Hé ma fille, l’université t’a changé dé. Regarde comment tu t’adresses à ton père, dit sa mère.
- Il n’avait pas à venir ici, c’est trop tôt…
- Tu commences sérieusement à m’énerver reprit son père. Si tu sors avec lui c’est forcément parce que tu l’aimes…
- On s’est quitté depuis hier et il vient faire l’innocent comme si de rien n’était, ah ! Elle était de plus en plus irritée.
- Papa, ma petite sœur se prend pour une toubab, elle a dit à Malick qu’elle voulait faire une pause car elle trouvait que le gars allait trop vite en besogne.
- Tu n’as pas le droit, tu ne connais pas mes vraies raisons.
- Et quelles sont tes raisons, lui demandais- je. Elle ouvre la bouche, nous regarde tous avant de tourner les talons et de sortir en pleurant. La situation m’échappait et je ne sais pas si je dois la rejoindre ou rester. Elle semble vraiment être dans le désarroi et je voudrais vraiment l’aider. Je fais un pas mais son père me retient de la main. C’est finalement sa mère qui va à sa poursuite.
- Je crois que ma fille n’est pas encore prête psychologiquement parlant alors n’insistez pas sinon vous risquez de la perdre. Je ne sais pas si vous êtes au courant…
- Il le sait et je crois que papa a raison, elle doit être effrayée à l’idée de se remarier vu tout le traumatisme qu’elle a reçu. Le viol te marque à jamais…Son père fait taire Menoumbé avec son franc parlé exagéré. La honte et la tristesse se lisaient sur son visage et moi j’avais peur de la perdre avec mon entêtement. Moi qui croyais que c’était à cause d’Abi voilà que je me rends compte que je me suis trompé sur toute la ligne. Je me suis approché de lui en m’accroupissant.
- J’aime votre fille et je compte l’épouser mais comme Menoumbé l’a dit, elle a besoin de temps pour guérir et me faire confiance. Ce temps je l’ai et s’il faut que je l’attende toute ma vie, je le ferais.
- Merci mon fils, si elle a accepté de sortir avec toi c’est surement parce qu’elle tient beaucoup à toi alors soit patient et tu ne le regretteras pas. C’est une bonne fille Billahi, la meilleure.
- Hi papa, ne t’inquiète pas, tu as vu ce beau gosse. Aicha est folle de lui, tu aurais dû la voir l’autre soir dans….
- Il faut que j’y aille car il se fait vraiment tard, coupais-je Menoumbé. Quelle pie.
- Bien sûr mon fils et la prochaine fois, il faut passer à la maison pour mieux se connaitre.
- Inchallah. Ils m’ont accompagné jusqu’à la porte et c’est à ce moment qu’Aicha est revenue avec sa mère qui m’a dit au revoir elle aussi. Ils nous ont laissé seul et j’ai pris sa main instantanément.
- Excuse-moi de ne pas avoir pris compte de ton passé et de t’avoir bousculée ainsi. Prend tout le temps qu’il te faut, on va juste sortir ensemble et tu vas…
- J’espère que tu n’as pas causé de problème à ta femme ?
- En parlant de cela, qu’est- ce qu’elle t’a dit
- Comment ça qu’est-ce qu’elle m’a dit, c’est toi hier qui m’a parlé d’elle non ?
- Ne me prends pas pour un con, ce n’est pas pour rien que je gagne tous mes procès. Si nous commençons à nous mentir alors on ne va pas s’en sortir.
- Ce n’est pas moi qui suis le premier à le faire.
- Qu’est-ce que tu veux dire par là ?
- Juste que ta femme est au courant pour nous deux et tu n’as pas daigné me le dire. Enervé, je ferme les yeux quelques secondes.
- Si tu continues, je te jure que je ne réponds plus de moi.
- Qu’est ce tu vas faire ? Je m’approche d’elle, j’ai tellement envie de l’embrasser.
- Tu ne le sais pas ? Elle recule de dix pas et jette un coup d’œil en arrière.
- Tu es complétement fou. A lundi Malick.
- D’accord bébé.
- Ne me dit plus jamais ça, tu as oublié, on a cassé.
- Tu peux toujours courir chérie. J’ai eu le temps de voir son sourire avant qu’elle ne se retourne pour entrer dans la boutique.
Ce simple sourire m’a donné du baume au cœur bien assez pour m’apaiser. Maintenant il faut que j’aie une conversation sérieuse avec ma femme.
Suzanne : le témoin
J’ai l’impression d’être en face de Tom and Jerry, non franchement ces deux-là vont finir par me tuer. Malick le chat passe son temps à courir derrière Aicha la souris. Si elle continue, elle va finir par le perdre et ce serait vraiment dommage. J’ai conseillé à Malick de faire comme si elle n’existait pas et il m’a avoué qu’il n’y arrivait pas. Ce gars est complétement fou amoureux et il est en train de perdre la tête. Le lundi, il m’avait dit qu’il avait décidé de faire une pause histoire de ne pas trop la presser et le lendemain je les vois sortir ensemble main dans la main. Le mercredi, c’était encore la guerre mais cette fois parce qu’Aicha a refusé son invitation de diner. Il faut dire qu’Abi a fait fort. J’ai toujours dit à Malick que sa femme était très intelligente. Elle est venue au bureau vers 13 h et, tenez-vous bien, avec les enfants pour faire une surprise à son tendre époux et l’inviter à déjeuner. Trois ans que nous sommes dans ce cabinet et jamais elle n’est venue l’inviter à quoi que ce soit. Maintenant qu’elle sait que son mari est amoureux, elle vient jouer la femme aimante. Non mais qu’elle hypocrite. Ce qui m’énerve le plus, c’est qu’elle s’est liée d’amitié avec Aicha et l’innocente ne se rend pas compte de son stratagème. Par contre, Malick sait. Il a juste renvoyé sa femme avec dédain comprenant son manège et cela n’a pas plu à Aicha qui lui reproche d’être un goujat avec sa femme. Malick n’a jamais su tricher ni mentir et le fait de voir Abi jouer ce cinéma lui a fait sortir de ses gonds. Il lui a presque crié dessus et cela devant Aicha qui ne s’est pas empêchée de prendre sa défense
Le jeudi alors qu’ils venaient de se réconcilier le matin, voilà qu’Idrisse envoie un paquet de chocolat l’après-midi. Nous étions en train de le déguste quand Malick est arrivé. Je ne vous dis pas la scène de jalousie qu’il a faite, juste théâtral ! Je ne reconnais plus mon ami, il est devenu colérique, irréfléchi et surtout très impulsif. A croire que l’amour l’a changé.
Bref, plus les jours passent et plus ils se déchirent. Et aujourd’hui, ils sont tous deux à bout. Mais quand je vois les regards qu’ils se font des fois en réunion ou dans l’ascenseur, je sais au plus profond de moi qu’ils sont faits l’un pour l’autre. Seulement, comme on dit, l’amour ne suffit pas, il faut une volonté de fer pour le dompter et une patience infinie pour le garder.
Abi : la revanche
Ma mère avait raison sur toute la ligne, il suffit d’un peu de stratégie pour arriver à ses fins. Dès que j’ai quitté Aicha ce fameux soir-là, j’ai appelé maman pour lui dire ce qui s’est passé. Aicha semblait bien et avait beaucoup de compassions pour moi alors maman m’a suggéré de l’appeler pour en finir. Elle m’a dit exactement les mots que je devais dire et je l’ai fait. Elle m’a promis que jamais elle ne laisserait faire Malick quitte à le laisser tomber et c’est ce qu’elle a fait. Mais connaissant mon mari, je savais qu’il allait insister. Mais vu sa mauvaise humeur constante, je sais que ça ne va plus avec Aicha. D’ailleurs elle me l’a dit. Eh oui, nous sommes devenues des amies secrètes. Je m’en veux des fois car elle est vraiment gentille, trop gentille même. Peut-être que si on était des coépouses, on serait des sœurs. Mais c’est ma mère qui me ramène toujours à la réalité. Même si elle ne te fait pas mal, se sera son entourage qui le fera car Malick est riche et ils voudront qu’Aicha soit la seule gestionnaire de cette fortune. Ils vont te marabouter jusqu’à ce que tu perdes la tête. Ce sont ses mots. Je n’ai jamais fait de sorcellerie mais j’en ai peur. J’ai entendu tant de choses et ma mère est un exemple patent. Mon père l’aimait à la folie, mais à force de sorcellerie, il a délaissé ma mère jusqu’à l’abandonner complétement.
Autre chose qui fait que j’ai continué ma campagne de séparation. Mon mari m’a dit le samedi passé, en revenant de chez les parents de Aicha : «juste une chose, par a ou par b Aicha sera ma femme et qui compte essayera de m’en empêcher sera banni de mon chemin». J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps ce jour-là, ha les hommes avec leur cruauté. Peut-être que s’il avait réagi autrement, je n’en serais pas arrivé là. J’ai arrêté mes études, je lui ai donné trois beaux enfants et lui il me regarde sans sourciller pour me dire que si je n’accepte pas qu’il se trouve une chair fraiche, je dégage. Ce n’était pas ses vrais mots mais c’est comme ça que je l’ai entendu. Les hommes ne savent pas à quel point nous nous sentons trahi et mal aimé quand ils épousent une autre femme. Même si notre religion le tolère, notre cœur ne l’accepte pas. Pour eux, nous sommes comme des voitures, au début, ils nous bichonnent, nous exposent comme des trophées et surtout nous constituons leur centre d’intérêt. Quelques années après, soit ils nous garent ou nous jettent à la casse.
Aujourd’hui, je le vois ruminer, perdre son appétit et dépérir comme moi il y a deux semaines. C’est à son tour de souffrir et de savoir à quel point ça fait mal d’être rejeté.
Cela fait deux jours que je suis en pleins préparatifs pour la fête du cabinet de mon mari. Comme chaque année, c’est moi qui m’occupe de l’organisation de l’évènement et j’adore. Tous les employés seront présents et leurs familles. En plus de ma belle- mère et de mes belles sœurs, j’ai ajouté deux des tantes de Malick. J’espère qu’après cette soirée, Aicha comprendra définitivement que Malick m’appartient dans le vrai sens du terme.
A lire tous les lundis…
Par Madame Ndèye Marème DIOP
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