Au moment où l’agitation et la confusion, qui se sont installées au cours des trois dernières années, n’en finissent pas de grandir, 17 millions de Sénégalais sont pris dans les nasses de cette politique arborant le plus contestable des costumes: celui de l’insatiable pêcheur en quête perpétuelle d’électeurs. Tandis que les campagnes électorales ne dépendent plus des saisons mais de ces irrépressibles et permanentes envies de se maintenir au pouvoir ou de le conquérir, se libérer des filets, tenus par des dirigeants du régime et de l’opposition, relève de l’exploit. En attendant les élections, avons-nous un choix autre que celui de patienter sous les flots, en dépit de toutes nos préoccupations et urgences, parfois vitales? Pas vraiment! Néanmoins, les permis de rêver ne pouvant être soumis à des restrictions, et puisque c’est dans l’air du temps, je voudrais me livrer à un exercice, périlleux et un peu hasardeux, consistant à imaginer le président que je voudrais voir piloter notre embarcation, puis relâcher toutes ces personnes qui veulent vivre mieux et dans la paix. Et si le capitaine était une femme? À la veille de la Journée internationale des Femmes (ou des Droits des Femmes, selon les pays), il me plaît d’imaginer un tel scénario.
Au risque de vous décevoir, je ne compte pas me lancer dans des affirmations prêtant aux femmes des spécificités qui les rendraient plus aptes que les hommes à réussir dans certains domaines ou à diriger en douceur, dans l’équité et la sérénité. Je ne crois pas qu’il existe des qualités morales ou intellectuelles intrinsèquement liées à un genre. En revanche, je reste convaincue que les parcours individuels déterminent la capacité de chaque être humain à assumer des responsabilités et à exécuter correctement diverses tâches, choisies par lui ou attribuées par des tiers. Donc ce sont les pratiques discriminatoires à l’encontre des femmes qui doivent être bannies et l’égalité des chances promue. De ce point de vue, même si ce n’est pas pour demain, l’élection d’une femme à la présidence de la République du Sénégal est possible.
Pour diriger notre pays, je verrais bien une femme honnête et forte. Elle aurait remporté le scrutin présidentiel, à l’issue d’une rude compétition, grâce à un projet global réaliste, pas à cause de séduisantes promesses intenables. Nous l’aurions suivie, pendant des semaines, des mois ou des années, alors qu’elle aurait tenu un langage de vérité. Elle n’aurait pas extrapolé sur sa capacité à opérer des changements significatifs, en faveur de ses concitoyens, quels que soient les sacrifices, individuels ou collectifs, auxquels nous n’aurions pu échapper. Peut-être qu’elle aurait tancé ou diabolisé le pouvoir en place, mais, en échange, elle se serait engagée à ne pas sombrer dans cette sorte d’amnésie commandée, propre aux politiciens et à certains dirigeants, pour qui se renier ou changer de sabador, ou de moussor, c’est pareil. Le pouvoir de cette femme aurait été sa force de caractère et de persuasion, sa capacité à argumenter et à défendre ses idées. Le règne par la peur n’aurait pas été son truc. Elle aurait, dès le début de son mandat, mis en avant les intérêts de la nation au lieu de ceux de son clan, quitte à fâcher les siens. Elle aurait aussi été capable de supporter les critiques ou les attaques, des uns et des autres, sans se détourner de ses objectifs, connus des électeurs et du grand public, qui ont parfois besoin qu’on leur rafraîchisse la mémoire. Si, pour une raison ou pour une autre, elle avait mal fait ou échoué, elle aurait mis son orgueil de côté et parlé aux populations, en toute franchise. Avec la participation des institutions, elle aurait créé un nouveau système de gouvernance plus inclusif et plus porté sur l’humain. Des femmes comme elle, qui ont la tête, les épaules et le cœur qu’il faut pour mener les combats les plus difficiles, existent. Il y en a au Sénégal et ailleurs. Elles sont dans les foyers, les marchés et les rues. Elles sont dans les écoles et les universités, dans les cases de santé et les hôpitaux. Elles sont dans nos entreprises, nos administrations et nos institutions. Des femmes honnêtes et fortes, il y en a beaucoup partout. Il suffit d’ouvrir les yeux. Le 8 mars est le jour où les femmes défendent leurs droits. Ce combat est aussi celui d’hier, d’aujourd’hui et de chaque instant.
Cécile SOW