Le président sortant Macky Sall, longtemps considéré comme un « maître du jeu politicien », se trouve désormais pris à son propre jeu. Réputé expert en manipulation du Parti-Etat pour asseoir son pouvoir personnel, le voici désormais acculé au double jeu en réaffirmant que « force doit rester à la loi » tout en se jouant de la loi fondamentale qu’est censée être une Constitution taillée et retaillée sur mesure…à des fins autocratiques !
Cependant, notre « monarque constitutionnel » se trompe à la fois de pays et d’époque, car l’Afrique d’aujourd’hui n’est plus celle d’hier. Si le continent tout entier, avec sa diaspora d’Occident et d’Orient, ont les yeux rivés sur la crise électorale majeure en cours dans la plus vieille colonie française d’Afrique, c’est simplement parce qu’elle met à nu les contradictions fondamentales du monde contemporain. L’effondrement manifeste du prétendu « modèle démocratique ouest-africain » vient confirmer qu’il ne saurait y avoir d’exception aux lois de l’histoire, ni au Sénégal, ni ailleurs en Afrique et nulle part dans le monde…
Jugeons-en, faits à l’appui. Comment un jeune politicien « libéral », élu au suffrage universel direct, aurait-t-il pu, en une douzaine d’années de pouvoir « républicain », se convertir en un dictateur sanguinaire et impitoyable ?
Répondre à la question par des lieux communs tels que « le pouvoir rend fou… » ou que « la politique est l’art par excellence du mensonge et de la duperie » serait un peu court pour éclairer l’opinion africaine ou étrangère. Tandis que si l’on rappelle, d’abord, que le premier président de la « République arachidière » du Sénégal, L. Senghor, fondateur du système du parti-Etat, a régné vingt ans avant d’installer son dauphin, A. Diouf qui à son tour règnera aussi deux décennies, avant d’être congédié alors qu’il sollicitait un mandat supplémentaire.
Et qu’ensuite, l’avènement de Me A. Wade marquera la simple substitution de l’Etat-PDS au défunt Etat-PS, malgré l’adoption référendaire d’une « nouvelle » Constitution en 2001. En effet, hormis l’étiquetage idéologique autocollant du parti-Etat avec passage du « socialisme démocratique » au « libéralisme démocratique », rien n’a changé au fond dans la nature autocratique du pouvoir personnel du président. A tel point qu’au terme de ses deux mandats, Me Wade a tenté, sous le couvert d’une énième manipulation constitutionnelle, d’imposer un troisième mandat grâce à sa chambre d’enregistrement parlementaire au bénéfice de son fils Karim, alors « ministre du ciel et de la terre » ! Seul un soulèvement populaire, aussi massif qu’inattendu, nous a sauvés de cette forfaiture « libérale ».
Enfin, last but not least, à défaut de son propre fils, c’est son héritier politique, Macky Sall, qui va accéder à la « magistrature suprême ». Ce dernier ne va pas tarder à chausser les bottes de son maître, notamment en récusant la nécessaire « refondation de l’Etat et de la société » à laquelle il avait pourtant formellement souscrit, en signant sans réserve la Charte de gouvernance démocratique des Assises nationales. Une preuve éloquente en sera fournie ultérieurement avec la révélation par un jeune expert fiscal du nom d’Ousmane Sonko, dans son ouvrage « Pétrole et Gaz au Sénégal : Chronique d’une spoliation » (2017). L’on apprendra ainsi qu’à peine installé au « Palais du gouverneur Général », le nouveau chef de l’Etat, prenant connaissance des termes du contrat liant son gouvernement à la sulfureuse société privée Petrotim du tristement célèbre Frank Timis, s’était contenté de substituer le nom de son frère Aliou Sall à celui du fils de son prédécesseur, Karim Wade, comme gérant de cette funeste entreprise de pillage ! Tel est le point de départ de la confrontation sans merci qui va opposer l’ex-Inspecteur des Impôts et Domaines, devenu le seul et unique député de la Coalition « Ndawi Askan Wi », (2017) au président Macky Sall.
Depuis lors, cette adversité ira grandissante au point qu’au terme de cette législature, durant laquelle la figure du singleton Sonko s’était peu à peu imposée comme le principal, sinon l’unique représentant de l’opposition véritable.
C’est alors que l’option fut retenue de s’attaquer frontalement à ce trublion et à ses partisans de Pastef (Patriotes Africains du Sénégal pour le Travail, l’Ethique et la Fraternité). D’où une série de provocations politico-judiciaires, s’accompagnant d’une vague de répression sauvage, qui se solderont par des dizaines de morts par armes à feu et des centaines de prisonniers politiques, sous des prétextes aussi divers que fantaisistes (mars 2021) …
D’autant plus qu’en 2022, au moment du renouvellement de l’Assemblée nationale, la totalité des candidats titulaires de la liste nationale de « Yewwi Askan Wi » (YAW), la coalition qu’il dirigeait, s’est vu arbitrairement disqualifiée. En dépit de ce coup de Jarnac, à l’issue de ce scrutin législatif biaisé, la majorité sortante s’est pour la première fois retrouvée en ballotage défavorable, avec de nombreux suppléants de la liste YAW élus. Fait sans précédent dans les annales parlementaires du pays…
A partir de ce tournant historique imprévu, la panique s’est définitivement emparée du chef du parti-Etat APR, qui prit la funeste décision d’en finir une fois pour toutes avec cette menace mortelle pour son régime, mais au contraire porteuse d’espoir pour le peuple et surtout la jeunesse. Aussi, dès juin 2023, va-t-il déclencher une cascade d’opérations de démantèlement de Pastef et de liquidation de sa direction politique : meurtres en séries et emprisonnements massifs à travers tout le pays, interdiction et dissolution du parti, fermeture de son siège national, tentatives de saisie de ses comptes et moyens audio-visuels, etc.
Toujours est-il que cette campagne de terreur blanche ciblant exclusivement les cadres et militants de Pastef va se solder par un échec lamentable, dans la mesure où elle aura un effet exactement contraire à celui recherché : renforcer et consolider l’esprit de résistance dans les rangs du parti, et amplifier le soutien et la solidarité au sein des populations ; sans oublier l’attention et la sympathie dans l’opinion africaine et internationale.
D’autant plus, qu’au fur et à mesure de l’approche de l’élection présidentielle, les pressions combinées de nos concitoyens et autres compatriotes africains, auxquelles est venu s’ajouter le désenchantement, feint ou sincère, de ce qu’il est convenu d’appeler la « communauté internationale, ont finalement contraint le président sortant à renoncer publiquement à sa candidature à un troisième mandat anticonstitutionnel, mettant ainsi fin à son honteux « ni oui, ni non », tout en réaffirmant son prétendu « droit à postuler ». Comprenne qui pourra…
Quoiqu’il en soit, désormais « hors du jeu », tout en persistant à se comporter en « maître du jeu », voilà un président sortant qui, déjà sur le pas de la porte de sortie, entend continuer à modifier les règles du jeu en cours de partie… Ses ultimes et vaines manœuvres tendant à changer les règles du jeu, non plus en cours mais bien en fin de partie, prouvent à ceux qui en douteraient encore qu’il a perdu pied et donc tout contact avec le réel. Pourquoi libérer sans jugement des centaines de prisonniers politiques et en même temps embastiller Ngagne D. Touré ? Comment ose-t-il nous inventer à un énième « dialogue », après avoir fait ce que bon lui semble des « consensus » précédents ? Pourquoi, attend-il d’être sur le départ pour nous servir un « projet de loi d’amnistie » qui rappelle étrangement une certaine « loi Ezzan » de triste mémoire, alors que chacun sait qu’il s’agit essentiellement, sinon exclusivement, d’une amnistie pour soi visant à blanchir d’abord sa propre personne, les siens ainsi que la clique de prédateurs insatiables qui l’entoure ? Au demeurant, la présence à ses côtés ou sinon aux commandes, de son ex-mentor, ancien chef du précédent parti-Etat, avec son rejeton reclus dans la sinistre pénombre qatarie, notamment pour les ultimes coups fourrés juridico-politiciens, tout ceci devrait suffire à récuser toute offre politique provenant des camps dits « libéral » ou « socialiste », quelle qu’elle soit. Vous avez déjà fait la démonstration de votre incurie notoire.
La seule, unique et ultime décision que vos concitoyens attendent de vous est d’annoncer la date du premier tour du scrutin présidentiel, dans les limites temporelles fixées par le CC. Tout le reste n’est que balivernes ou menteries !
L’hypothèse la plus vraisemblable est que le président sortant et ses cliques dirigeantes ancienne et nouvelle, sont en train de se jouer de nous, ou, comme on dit vulgairement, de sa payer notre tête.
De qui donc le président sortant se moque-t-il ? Réponse imminente dans les jours à venir.