A l’instar d’opposants, plusieurs journalistes ont fait la prison sous le régime de Macky Sall. Beaucoup d’entre eux ont été inculpés dans le cadre de l’exercice de leur fonction. Pourtant, le chef de l’Etat avait assuré que sous son magistère, aucun professionnel des médias ne sera envoyé en prison pour un délit de presse.
La liste est longue et loin d’être exhaustive. Le nombre de journalistes à avoir maille à partir avec la justice sous le régime de Macky Sall, dans le cadre de l’exercice du métier, attire les attentions. La dernière victime est pour le moment, Pape Sané, chroniqueur de Walf Tv. Interpelé le 13 novembre 2023 pour «diffusions de fausses nouvelles», il assiste à une prolongation de sa garde à vue, à la Section de recherches de la gendarmerie de Colobane. En 2014, Félix N’zalé, directeur de publication de La Tribune a été interpelé, puis placé sous mandat de dépôt pour «diffusions de fausses nouvelles». Un titre du quotidien intitulé: «Alerte: cinq cas d’Ebola au Sénégal», lui avait valu ce sort. Il a été libéré quelques semaines plus tard. Journaliste consultant, Adama Gaye avait subi une arrestation musclée avant d’être envoyé en prison pour «offense au chef de l’Etat». Il a été arrêté le 29 juillet à 06 heures du matin, à la suite de la publication d’une lettre ouverte adressée au chef de l’Etat. Laquelle lettre a été signée à son retour au pays, le 26 juillet 2019, alors que la veille, il était en visite chez Me Abdoulaye Wade. Au cours de sa garde à vue, d’autres publications sur son compte Facebook datant de juin 2019 ont été exhumées. Au terme de sa garde à vue, il fait face au doyen des juges, feu Samba Sall, le 31 juillet, qui avait ordonné son placement sous mandat de dépôt. Il a été libéré le 20 septembre 2019, suite à une demande de mise en liberté provisoire introduite par ses avocats. Patron du site YerimPost, Cheikh Yérim Seck, a été, lui aussi, interpelé, puis placé sous mandat de dépôt le 16 juin 2020, au terme de sa garde à vue, dans le cadre du dossier «Batiplus». Le doyen des juges, feu Samba Sall, l’avait inculpé pour «diffusion de faux nouvelles et diffamation», avant de le placer sous contrôle judiciaire.
A travers une sortie sur un plateau de télévision, Cheikh Yérim Seck avait révélé que quatre milliards de francs Cfa auraient été saisis, nuitamment par des gendarmes chez la famille Farès, dans le cadre de l’affaire «Batiplus». Et que les liasses étaient contenues dans un sac. Selon lui, une seule partie aurait été consignée. Le premier, interpelé le 07 mars 2023, puis envoyé à la prison de Sébikotane, pour «provocation d’un attroupement, outrage à magistrat, intimidation et les représailles contre des membres de la magistrature, le discours portant du discrédit sur un acte juridictionnel, diffusion de fausses nouvelles et mise en danger de la vie d’autrui», avait bouclé plus de trois mois de détention. Quant au directeur de publication du quotidien «Yoor-Yoor», il a été placé sous mandat de dépôt le 26 mai pour «publication d’écrits de nature à jeter du discrédit sur des actes ou décisions juridictionnelles, diffusion de fausses nouvelles de nature à jeter du discrédit sur des institutions publiques, usurpation de fonction de journaliste et outrage à magistrat». Il a été libéré après trois semaines de séjour carcéral.
Pape Alé, champion des arrestations
Parton de «Dakar-Matin», Pape Alé Niang, sous contrôle judiciaire, a fait deux fois la prison en moins d’une année. Sa première arrestation a eu lieu en novembre 2022. Après plus de trois mois de détention provisoire (novembre 2022 et janvier 2023), il a été libéré, suite à une pression des professionnels des médias. Ces derniers avaient mis à profit son état de santé fragilisé par sa grève de la faim. Il était poursuivi pour «appel à l’insurrection et actes ou manœuvres de nature à compromettre la sécurité publique». Mais il ne restera que quelques semaines en liberté pour assister à la révocation de son contrôle judiciaire. Il sera, cette fois-ci, inculpé pour «divulgation d’informations non rendues publiques par l’autorité compétente de nature à nuire à la défense nationale, recel de documents administratifs et militaires et diffusion de fausses nouvelles de nature à jeter le discrédit sur les institutions publiques». Même s’ils n’ont pas franchi l’étape de la police, Moustapha Diop, directeur de Walf Tv et Walf Fm, et Babacar Touré, promoteur de «Kewoulo», avaient été sur le viseur de Dame justice. Ils ont été, tous deux, convoqués à la Division des investigations criminelles et à la Sûreté urbaine de Dakar. Le premier, à savoir Moustapha Diop, a été retenu durant toute la journée du 27 avril 2023, au commissariat central de Dakar. Son audition avait tourné autour du dossier de Pape Ndiaye.
Quant à Babacar Touré, il a été entendu sur une plainte de l’ex policier Frédéric Napel. Au terme de son face-à-face avec les enquêteurs, il lui a été notifié une garde à vue. Mais après plusieurs retours de parquet, il sera inculpé pour «diffusion de fausses nouvelles, diffamation», puis placé sous contrôle judiciaire.
Deux femmes dans la nasse
Dans le lot de journalistes à avoir fait la prison, figurent deux femmes. Il s’agit de Maty Sarr Niang, toujours en détention à la prison pour femme de Liberté 6, et Thioro Diouf Cissé dite Thioro Makhou Mandéla, en liberté provisoire. Cette dernière, présentatrice de l’émission Petit Dej’ sur Walf Tv, a été interpelée, suite à sa convocation pour audition à la Division spéciale de la cyber-sécurité. Elle a été citée par l’une des administratrices de pages Facebook dénommées «Néné Touti», «Kay ma deyla», «Top cas». A l’instar de ces dernières, maintenues encore en détention, elle était poursuivie pour «association de malfaiteurs, collecte illicite de données à caractère personnel, diffusion d’images et d’écrits contraires aux bonnes mœurs».
Interpelée le 16 mai dernier, Maty Sarr Niang a été placée sous mandat de dépôt pour «actes ou manœuvres visant à compromettre la sécurité publique, appel à la manifestation, à la haine, à la violence, outrage aux magistrats, usurpation de fonction». Après son inculpation, les faits ont été requalifiés. Elle va boucler six mois de détention le 24 novembre 2023. D’après des sources proches du dossier, son audition dans le fond du dossier est prévue dans la semaine par Mamadou Seck, juge du deuxième cabinet d’instruction. Seuls deux professionnels des médias ont vu leur dossier être classé sans suite. Il s’agit des journalistes de Senego, Abdou Khadr Sakho, reporter, et Mangoné Ka, rédacteur en chef. Ils ont été interpelés pour avoir repris des propos de Ibrahima Sall, président de l’Asred, sur l’affaire Ousmane Sonko. Mais, après 48 heures de garde à vue, dans les locaux de la Dic, le reporter a été libéré. Leur dossier classé sans suite. En revanche, Mangoné Ka n’avait pas été retenu dans les liens de la détention pour nécessité de l’enquête, contrairement à Abdou Khadre Sakho, placé en garde à vue, avant d’être déféré, auprès du parquet de Dakar.Ils étaient poursuivis pour «diffusion de fausses nouvelles».
Et pourtant Macky avait dit…
Pourtant, à son arrivée au pouvoir, le chef de l’Etat avait rassuré le monde de la presse. En plus de magnifier leur travail, il avait promis de ne jamais envoyer un journaliste en prison pour délits de presse. «Je me suis engagé à travailler pour la dépénalisation des délits de presse. De toutes les façons, vous ne verrez jamais, pendant ma gouvernance au Sénégal, un journaliste mis en prison pour un délit de presse. Des journalistes n’ont aucun risque au Sénégal ; ça je le dis très clairement et je ne serais pas démenti. Le Sénégal est un pays bien coté en matière de liberté de presse», avait-il soutenu, le 25 octobre 2015, sur ITélé, une chaine de télévision française.
Salif KA