L’anniversaire du naufrage du bateau Le Joola va être célébré cette année dans les mêmes circonstances de liaison maritime entre Dakar et Ziguinchor que celles qui prévalaient avant l’accident qui a fait presque 2 mille mort. Un seul navire fait la navette entre 16 et 17 heures de navigation. Ainsi, 20 ans après la plus grande catastrophe maritime de l’Histoire, les souvenirs restent encore vivaces chez des familles de victimes qui se plaignent du traitement juridico-politiques du dossier.
La Casamance demeure dans la même situation qu’en 2002
La commémoration du 20e anniversaire du naufrage du bateau Le Joola se déroule dans un contexte particulier. L’on se souvient qu’il y avait cette nuit-là plus de 2 000 personnes dans un navire qui ne devait en prendre que 500, en plus du fret qu’il y avait à bord. On retiendra aussi que c’est suite à un arrêt de quelques mois pour des raisons techniques que le navire a repris du service avec seulement un moteur qui fonctionnait, le second étant en panne, et que son remplacement avait été programmé puis reporté, selon les sources officielles à une date qui serait fixée après la révision de l’avion de commandement du président de la République qui été la priorité des autorités de l’époque.
Tout cela, pour retenir que l’accident survenu cette nuit-là relevait de défaillances humaines à plusieurs niveaux. En reparler, selon certains observateurs, c’est d’arriver aux réflexions suivantes : «Ce 26 septembre 2002, il n’y avait qu’un seul navire qui faisait la liaison Dakar – Ziguinchor pour désenclaver une région presque entièrement coupée du reste du territoire national et qui plus, subissait des braquages sur les routes surtout à la veille des périodes de trafic intense (Tabaski, rentrée des classes, fin d’année…). Et c’est pour retourner dans les écoles que les jeunes élèves et étudiants originaires de Casamance ont emprunté ce jour-là le bateau du voyage ultime», dit Ibrahima Ama Diémé, professeur d’Histo-Géo, et membre du groupe de réflexion pour la paix en Casamance.
Après le drame et le sursaut qui ont suivi, le gouvernement a décidé de prendre des mesures pour alléger les souffrances des populations vivant au Sud du Sénégal. Parmi ces mesures, il a été retenu, selon Ama Diémé, la construction d’une université à Ziguinchor pour y orienter la plupart des étudiants de la région, la poursuite du désenclavement de la région qui passera par la commande de plusieurs navires pour assurer la liaison Dakar – Ziguinchor. «Mieux, assurer cette liaison de jour et non de nuit avec au moins deux navires ; en attendant, l’Etat allait procéder à assurer la liaison maritime par la location de navires pour la circonstance. Il était également prévu, le dragage du fleuve Casamance. Toutes ces mesures sont annoncées au moment où l’Etat s’est engagé à dédommager toutes les familles des victimes sur la base d’un accord avec ses interlocuteurs», explique l’historien. «Les orphelins des drames sont déclarés pupilles de la nation, un mémorial devait être construit à Dakar avec une réplique à Ziguinchor, de même que des mesures disciplinaires contre les surcharges pour plus de sécurité dans les transports », déclare le responsable du groupe de réflexion pour la paix en Casamance.
Pendant une décennie, on a commémoré l’anniversaire du naufrage avec l’espoir que toutes les promesses ou du moins les engagements de l’Etat allaient être respectés. Ainsi le Willys, puis le Kassumaye ont été affrétés pour assurer la liaison avant la fin des travaux de construction d’Aline Sitoë Diatta. Il faudra attendre après 2012 pour voir arriver Aguéne et Diambogne qui, malheureusement, sont déjà hors d’état d’usage.
L’Université Assane Seck a été construite mais les étudiants y sont orientés sans tenir compte de sa vocation première, à savoir regrouper le maximum d’étudiants originaire de la région, ceci pour permettre de rattraper l’importante perte consécutive au naufrage.
«Pour ce qui est du dragage du fleuve, il y’en a eu un mais qui a été tellement rapide que les esprits sceptiques pensent qu’il n’aurait pas été effectué dans les règles de l’art. Quant aux pupilles de la nation, une Agence a été créée mais la plupart des orphelins du naufrage ne bénéficient pas encore des avantages annoncés. Le plus difficile dans tout cela, c’est que cette année, l’anniversaire va être célébré dans les mêmes circonstances de liaison Dakar – Ziguinchor que celles qui prévalaient avant le naufrage, à savoir un seul navire qui met 16 à 17 heures entre les deux villes ; une transgambienne en construction dans plusieurs de ses tronçons et surexploitée par un nombre de plus en plus important de véhicules devant passer nécessairement par les deux ferrys de Gambie, âgés de plus de 30 ans», explique le professeur d’Histoire.
A en croire Ama Diémé, envisager l’anniversaire de cette année sans une réponse à ces préoccupations ferait penser que la région ne présente aucun intérêt pour nos autorités. «Aussi je pense que ce sera l’occasion pour l’Etat de prendre la résolution ferme pour : encourager le projet des aéroglisseurs qui avait été bloqué en son temps, reprendre pour mieux le faire le dragage du fleuve, faire appliquer les mesures de discrimination positive annoncées par le président de la République lors de sa visite économique à Ziguinchor concernant le tarif du transport aérien, entreprendre la construction de la voie ferrée Ziguinchor – Tamba – Dakar que l’opinion attend depuis plus de 10 ans, construire une autoroute Dakar – Ziguinchor via Tamba en sur priorité (Ila Ziguinchor) qui permettrait de prendre en compte le développement économique et social de la région. A ces mesures, il faut ajouter l’extension et le relèvement du niveau technique de l’université Assane Seck pour faire face au besoin de plus en plus pressant d’insertion des étudiants, de même que l’amélioration des conditions de fonctionnement des hôpitaux régionaux de Ziguinchor et Kolda afin d’alléger les souffrances des malades en réduisant les évacuations sanitaires vers Dakar», liste Ibrahima Ama Diémé.
50 pupilles de la nation dans l’expectative
Les pupilles de la nation ne savent plus à quel saint se vouer. Elles semblent être laissées en rade dans la politique que l’Etat avait mise en œuvre à leur bénéfice, après le naufrage du bateau Le Joola, en septembre 2002. «Nous sollicitons de l’Office nationale des pupilles de la nation, une assistance après le baccalauréat, même si l’Etat peut nous considérer comme étant majeur. Nous sommes au nombre de 50 à craindre pour notre avenir y compris moi qui viens de décrocher le diplôme. Mais aussi il y a ceux qui ont atteint la majorité sans avoir le baccalauréat, donc c’est pénible pour nous et nous sommes inquiets», a expliqué Oumy Faye Diarra, porte-parole des pupilles lors d’une rencontre qui s’est déroulée en fin août à Dakar.
Il y a 720 enfants mineurs qui avaient été déclarés éligibles au statut de pupilles de la nation. Ce statut leur permet de bénéficier de l’accompagnement de l’Office nationale des pupilles de la nation (Onpn). Cet organisme est chargé de veiller à l’observation des droits des pupilles sur le plan social, éducatif et sanitaire. Il doit également les aider à avoir des moyens de subsistance.
Pour sa part, le directeur de l’Onpn, Mamadou Saliou Diallo a indiqué que des avancements ont été notés dans l’allocation mensuelle des pupilles. «Au début, c’était 20 mille francs Cfa qu’ils percevaient. Maintenant ils obtiennent 30 mille francs Cfa», dit-il. Avant de préciser : «Nous n’appliquons que le décret qui a été signé, qui stipule que les pupilles peuvent bénéficier d’allocations jusqu’à l’âge de 18 ans pour la prise en charge des besoins scolaires, sociaux et sanitaires». Pour lui, l’office est en train d’étudier la situation des pupilles ayant atteint la majorité en essayant de les accompagner au niveau des universités et des écoles de formation. «Nous sommes en train de nouer des partenariats afin d’avoir des moyens supplémentaires pour prendre en charge les pupilles âgés de plus de 18 ans, à travers des logements au niveau des universités, des bourses et une insertion professionnelle», déclare Mamadou Saliou Diallo.
Le collectif des victimes comptent saisir la justice internationale
Le collectif des victimes n’entend pas baisser les bras alors que les autorités judiciaires françaises et sénégalaises ont classé le dossier du naufrage du bateau Le Joola sans suite. Idrissa Diallo, président du collectif a annoncé, hier à Dakar, lors de la finale de Coupe du maire de Dalifort que les victimes comptent saisir la justice internationale. «Le vrai problème du Joola, c’est la justice qui peine toujours à être rendue pour ce drame qui a fait près de 2 000 victimes. Nous allons nous battre au niveau international pour que justice nous soit rendue. Les associations des victimes vont s’organiser sur ce plan. Car nous allons quitter le cadre du Sénégal et de la France pour saisir les institutions internationales», a fait savoir Idrissa Diallo.
Avant d’ajouter : «Il ya beaucoup d’impunité sur le plan international. Et Le Joola en fait partie». Idrissa Diallo déplore le mutisme de l’Etat dans le naufrage. «Aucun Sénégalais ne sait ce qu’il s’est réellement passé. Car 14 ans après, rien n’a été fait jusqu’à nos jours. On est toujours au stade des vœux pieux. En général, les autorités font des déclarations de souvenir, c’est tout. Mais rien ne bouge», dit l’édile de Dalifort.
Idrissa Diallo reconnait que l’Etat a fait «quelques petits pas» dans l’indemnisation et dans la prise en charge des orphelins. «Elles (pupilles) reçoivent 25 mille francs mais celles qui ont aujourd’hui 18 ans et qui à l’époque étaient petites ne peuvent pas en bénéficier. Ceci est une injustice que nous déplorons. L’autre chose essentielle, c’est la postérité et il faut qu’on nous dise comment les 2 000 personnes sont mortes et pourquoi, on a refusé de les secourir. Nous ne pouvons pas comprendre que des partenaires proposent un renflouement du bateau mais l’Etat reste sourd», dénonce le président du Collectif des victimes. Idrissa Diallo exhorte le chef de l’Etat à régler le problème du musée du mémorial des victimes du Joola.
VOLET JUDICIAIRE
SORT DES RESPONSABLES DU NAUFRAGE
Dossier enterré
Il n’y aura plus jamais de sanctions contre les responsables du naufrage du bateau Le Joola. Alors que l’on croyait que l’espoir brisé des victimes par le Sénégal allait renaitre, voilà que la justice française blanchit tout le monde. A présent, toutes ces décisions devenues définitives sont insusceptibles de recours.
La décision de non-lieu rendue par la Chambre d’accusation de Paris, le 16 juin dernier, a été le dernier acte judiciaire posé, dans le dossier Le Joola. Une décision survenue après que les juges d’instruction d’Evry ont suivi l’avis du Parquet, en raison des «dispositions internationales qui les empêchent d’engager des poursuites en France». En fait, la Cour d’appel de Paris n’a fait que confirmer l’ordonnance de non-lieu rendue le 16 octobre 2014, par les juges d’Instruction d’Evry (en banlieue parisienne), au profit des personnalités sénégalaises visées par le mandat d’arrêt international. Conséquences : les sept personnalités sénégalaises ciblées sont, désormais, exempts de toute poursuite judiciaire, car blanchies en dernier ressort. Mais cette décision a aussi sonné la fin d’un long épilogue qui aura duré plus d’une décennie.
Au départ, sept personnalités ont été visées par le mandat d’arrêt international, à savoir l’ancien Premier ministre, Mame Madior Boye, et Youba Sambou, ex-ministre des Forces armées. Mais ils seront libres de circuler, suite à l’annulation desdits mandats, par la Cour de cassation de Paris, en janvier 2010. Ex-chef du Bureau de la sécurité maritime, le fonctionnaire international, Gomis Diédhiou, a récemment été arrêté à l’aéroport Roissy Charles De Gaulle de Paris, avant d’être relâché. Ainsi, sur le total des neuf mandats d’arrêts lancés par la justice française, il n’en restait alors que six, avec comme cibles le Général de Division Babacar Gaye, le Capitaine de Vaisseau Ousseynou Kombo, le Capitaine de Frégate Mody Singuine, le Colonel Meissa Tamba, le ministre Youssouph Sakho et Abdoul Hamid Diop.
Levée de tous les 9 mandats d’arrêt
Survenu dans la nuit du 26 au 27 septembre 2002, au large de la Gambie, le naufrage du bateau Le Joola avait fait plus de 1 800 morts. Au Sénégal, la justice avait classé le dossier en 2003, en concluant que la seule responsabilité incombait au commandant de bord. Ce fut une contradiction car l’Etat avait, auparavant, infligé des sanctions administratives à des personnes données pour coupables du drame. Mais le classement sans suite n’avait pas entrainé leur réhabilitation. De plus, toutes les violations invoquées par l’autorité n’ont jamais conduit à un procès, à savoir : «lenteur des secours», «non déclenchement de l’alerte Sar», «dépassement du nombre de billets», entre autres.
Comme sanction disciplinaire, l’ex-directeur de la Marine marchande, Abdoul Hamid Diop, a été traduit en Conseil de discipline, pour sa responsabilité dans les manquements relevés par le rapport d’enquête, notamment la délivrance du permis de navigation. Pour la tutelle, «la Marine marchande a pour obligation légale la faculté d’empêcher tout départ en cas d’insécurité».
Des sanctions disciplinaires, c’est tout !
Six autres militaires impliqués ont aussi été relevés de leurs fonctions, à savoir : les Chefs d’Etat-major de la Marine, le capitaine de vaisseau Ousseynou Kombo (qui sera réhabilité), et de l’Armée de l’Air, le colonel Meïssa Tamba. Les marins de permanence, durant la nuit du naufrage au centre radio n’ont pas échappé à la grande purge opérée dans les Armées sénégalaises. L’officier Cheikh Omar Sagna a été puni de 45 jours d’arrêts de rigueur, plus avertissement pour «absence de contrôles inopinés de ses subordonnés entre 22h et 7h25 du matin». Quant à lui, l’opérateur radio de service François Mbaye sera traduit en Conseil d’enquête, en vue de sa radiation de l’armée. Les responsables de la billetterie des escales de l’île de Carabane et du port de Ziguinchor en ont aussi pris pour leur grade, avec 60 jours d’arrêt de rigueur.
La responsabilité administrative du commandant de la base navale d’Elinkine et de l’escale de Carabane a également été établie, pour avoir «contribué à la surcharge du bateau en autorisant la vente de nouveaux billets et l’embarquement de fret et de passagers à Carabane, malgré le constat de surcharge». Curieusement, la Marine marchande a payé à la place des responsables du ministère du Transport, sauf le ministre Youssouph Sakho. Il a démissionné puis réhabilité et nommé patron du Comité des transporteurs sénégalais. L’on soutient que «le ministère des Transports chargé de la Marine marchande n’avait pas exécuté son obligation légale d’interdire Le Joola d’appareiller, malgré sa connaissance de la surcharge et de l’insécurité à bord du bateau, et malgré l’absence des principaux documents de sécurité en cours de validité». Lorsque la justice s’en est lavée les mains, les victimes se retournent alors vers la justice française. Il s’en est suivi l’ouverture d’une information judiciaire, devant le tribunal d’Evry. Pourtant, dès les premières heures de cette procédure, le juge d’instruction du tribunal d’Evry avait assuré aux familles des victimes françaises qui ont porté plainte qu’il ne se «sent pas lié par le classement sans suite du dossier pénal décidé par la Cour d’appel de Dakar». Mais au final, cette volonté n’avait pas été suivie d’effets.
WALF Quotidien