CONTRIBUTION
En 2016, j’ai passé 12h en rétention à la Brigade de recherche de la gendarmerie de Ouagadougou. Motif : j’avais demandé mon chemin à un militaire zélé. Quatre ridicules interrogatoires plus tard, j’étais libre. On me reprochait d’avoir été «au mauvais endroit au mauvais moment». Beaucoup ont vécu cette expérience malheureuse dans une capitale africaine où notre intégrité relève du bon vouloir d’une personne au mépris de la loi qu’elle est pourtant censée respecter et faire respecter. Le combat pour les droits et les libertés sur le continent demeure actuel.
Tout gouvernement a la volonté de réduire les libertés ; d’où l’importance d’avoir au sein de la société une conscience citoyenne suffisamment forte pour lutter, afin de préserver nos libertés. Ce combat en période de pandémie est plus que jamais nécessaire. En effet, selon un rapport de l’Institut international pour la démocratie sur la liberté, en temps de Covid-19, «43% des démocraties ont mis en place des restrictions qui étaient soit illégales, disproportionnées ou inutiles. Pour les pays non démocratiques, ce chiffre s’élève à 61%».
Avec ce virus, le décompte macabre quotidien rejoint l’implosion d’économies fragiles aux divers chocs. Mais au-delà des vies humaines perdues, des pertes de revenu, de l’isolement des gens, il y a un danger qui émerge durant cette période, relatif au rétrécissement des libertés publiques qui relèvent du sacré. Pour un contingentement efficace du virus, les Etats ont pour la plupart mis en œuvre des mesures exceptionnelles qui, au regard des médecins et des spécialistes, sont nécessaires. Une suspension temporaire des libertés en cas de péril est compréhensible si les mesures sont strictement nécessaires, proportionnelles à la menace, et limitées dans le temps.
Depuis un an, les citoyens partout vivent un quotidien difficile partagé entre confinements, couvre-feux, restrictions de la mobilité, traçages numériques… Il a été aussi observé des abus de forces de sécurité sur les citoyens. Devoir s’habituer aux images de policiers exerçant une violence vis-à-vis des gens est un symptôme d’une société malade qui risque de basculer dans la violence gratuite et jouissive.
Le Covid-19 est un outil pour de nombreux gouvernements pour restreindre les libertés publiques. L’Etat d’urgence ne peut signifier une négation d’un principe fondamental de notre vie commune qu’est la liberté. Dans un court essai paru en 2019, l’académicien et avocat spécialiste des libertés publiques, François Sureau, dénonçait en ces termes les abus observés : «L’Etat de droit, dans ses principes et dans ses organes, a été conçu pour que ni les désirs du gouvernement ni les craintes des peuples n’emportent sur leur passage les fondements de l’ordre politique, et d’abord la liberté». Sureau ajoute ailleurs que le danger avec les mesures exceptionnelles prises en certaines circonstances, c’est que souvent elles sont inscrites dans le droit commun. C’est le cas du Sénégal avec la modification de la loi de 1969 relatif à l’Etat d’urgence et à l’Etat de siège.
Il est regrettable de perdre des proches, basculer dans l’indigence économique et ensuite voir nos libertés rétrécies. La liberté est un principe sacré que nulle urgence ne doit sacrifier. C’est en préservant par tous les moyens les droits fondamentaux des citoyens qu’une démocratie s’honore et s’élève à la hauteur de Nation respectable. Partout, les libertés sont menacées, soit par des régimes en place soit par divers groupes. Nous arrivons à un curieux moment où c’est défendre la liberté qui est méprisable voire rétrograde. Emergent de plus en plus des entrepreneurs du despotisme éclairé, de la supériorité de l’urgence matérielle sur la belle éthique de l’homme libre, jugée spéculative et niaise. D’infâmes autocrates sont célébrés au nom de la rhétorique de la «loi et l’ordre», qui rappelle le slogan de Richard Nixon lors de sa campagne pour la présidentielle américaine de 1968 ; au nom de la restriction des libertés publiques au motif qu’elles seraient contraires à la prospérité économique.
Avec cette fenêtre du Covid-19, un prétexte existe pour donner corps à ce vieux mythe de l’Etat qui infantilise les citoyens, décide pour eux ce qu’ils doivent penser et dire, les met au pas sur un hypothétique droit chemin qu’il aura tracé. Et c’est là qu’il faut regretter la faiblesse des Parlements africains qui ne légifèrent pas dans le sens de renforcer les libertés publiques de ceux qui leur délèguent le pouvoir par le suffrage universel.
Hamidou ANNE