Les lions du Sénégal rêvent de bouffer du Fennec algérien ce vendredi 19 juillet 2019 au Caire. Rien n’est moins évident dans une Coupe d’Afrique des Nations qui a vu l’Ecureuil venir à bout des Lions…fussent-ils de l’Atlas et les modestes Bafana Bafana sortir les Pharaons d’une compétition à eux prédestinés.
En tout cas, à Dakar comme à Alger, les pronostics vont bon train. La ferveur est à son comble. Les petits drapeaux poussent sur les balcons et les façades des immeubles. Les marabouts et les fquih sont mobilisés.
Oui, le football est l’opium du peuple. Le sentiment de fierté nationale a construit une unité factice que Sadio Mané ou Riyad Mahrez auront, chacun contre l’autre, le redoutable privilège de consolider ou … de briser. Malheur aux vaincus.
C’est dire que sur les bords de la baie Méditerranéenne d’Alger comme tout au long des berges escarpées de la presqu’île du Cap-Vert, la politique a été renvoyée aux vestiaires. Les manifestations algéroises de vendredi, quidurent depuis des mois, n’ont pas résisté aux liesses populaires. Renvoyées aux calendes grecques avec cette question facile: les algériens manifesteront-ils le 19 juillet pour un 22éme vendredi consécutif? Tout porte à croire qu’ils passeront cette journée là devant le petit écran prêts à vibrer.
Idem pour les dakaroises sit-in hebdomadaires réclamant la transparence dans le secteur pétrolier. Un communiqué discret du mouvement organisateur de ces protestations annonce un sursis jusqu’à la fin de la CAN.
Ainsi, pas plus à Alger, Oran, Annaba qu’à Dakar, Saint-Louis ou Ziguinchor, l’heure est au consensus national. Le football flatte les bas instincts, réveille les nationalismes, exalte les populismes dans la victoire comme dans la défaite et balaie les antagonismes.Dans ce moment rare de concorde nationale, l’homme politique le sait, il tient le peuple en laisse. Détourné des quotidiens fâcheux d’une Afrique émergente certes , mais dont les enfants, viennent tous les jours mourir dans le ventre de la Méditerranée, l’activiste politique tronque sa pancarte par le maillot national, producteur brut de consensus.C’est pourquoi, heureux de ce rare moment de répit, l’Etat est tenté d’augmenter la dose. Quitte à se saigner les deux bras. L’Algérie va affréter 30 avions (dont 9 appareils militaires) pour acheminer ses supporters au Caire, soit 5000 personnes. L’entrée au stade (27 euros en moyenne ) est gratuite pour tout porteur d’un passeport algérien grâce, murmurent les mauvaises langues, à un arrangement financier au profit de la trop capitaliste CAF. En tout, 16 000 algériens assisteront à la finale.
La furie financière de l’Est n’égalera pas toutefois, à notre sens, le coup du pub du nouveau président Malgache venu à la CAN avec deux charters dont l’un rempli d’enfants des quartiers pauvres.
Quant au Sénégal, il ne verra pas son président, Macky Sall, dans la Tribune d’honneur du stade du Caire, en raison d’un deuil national. Pas de charters aussi. Sous assistance technique du FMI, le pays des Lions de la Teranga n’a pas la même assiette financière que son adversaire du jour, crédité de 80 milliards de dollars de réserves de change.Mais c’est connu, l’argent ne donne pas tout. En dépit de ses immenses réserves pétro-gazière, l’Algérie est toujours un pays en transition politique et économique. A la démocratie civile sénégalaise s’oppose la démocratie militaire algérienne, chahutée depuis la démission du président Bouteflikha en avril dernier. La situation est d’autant plus tendue que, depuis le 9 juillet, le mandat du chef de l’État par intérim, Abdelkader Bensalah, a officiellement expiré.Le coup de patte des Fennecs a fait oublier cet événement important. Seul compte la victoire pour une armée qui espère faire durer l’ivresse et redorer son blason.
Cette mobilisation politique au sommet pour des joutes sportives ne date pas de cette finale. La politique (et la guerre) n’est jamais loin des exploits sportifs qu’elle récupère pour mieux vendre son message.
Des jeux olympiques de Munich de 1936 aux poings levés des athlètes noirs américains de 1968, l’on a toujours assisté dans les arènes à des tentatives diverses d’OPA de l’opinion publique nationale et internationale par l’Etat ou par des activistes .
En 1978, le régime dictatorial argentin, plus chanceux que Abdel Fettah al-Sissi en 2019, eut le bonheur d’applaudir Mario Kempés contre la grande Hollande de Yuan Creuyf.
Que vaut donc une victoire sportive à l’aune de la politique si ce n’est, à défaut d’une croissance du PIB, favoriser au moins le Bonheur national brut si cher au Bouthan?Il va de soi que cette liesse collective attendue à Dakar et à Alger est susceptible d’exorciser le petit peuple de son pessimisme face à un marché du travail fermé et son désespoir devant un ascenseur social en panne. Va-t-on assister à un retour de confiance si les magnanimes dieux du football, muets avant le coup de sifflet final en dépit des suppliques, décidaient de favoriser l’ancien département français ou l’ancienne colonie française, les dignes successeurs de Rabah Madjer ou les non moins illustres héritiers de Bocandé?
La victoire, capricieuse fée, devra dans tous les cas, chasser les énergies négatives et donner au peuple une énergie plus puissante que le kérosène: l’optimisme. Quant à la défaite, inimaginable et redoutée, si elle fera mal, ouvrira le procès des boucs émissaires,elle ne réussira pas, oiseau de mauvais augure, à casser la cohésion nationale née des deux plus beaux parcours à la CAN. Il y aura dans le triomphe des uns, des lendemains qui déchantent pour les autres . C’est la seule certitude. Dans les deux cas, la politique ne sera jamais loin comme cette pancarte “Qu’ils dégagent tous” brandie par un supporter algérien dans un stade égyptien et, depuis, rapatrié et jeté en prison.
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