CONTRIBUTION
La presse est une institution de météorologie sociale au service des pouvoirs publics.
Ces temps –ci sévit dans notre pays une insécurité grandissante voire galopante ponctuée par une vague de violences meurtrières exercées particulièrement sur des femmes, suscitant ainsi émoi, angoisse et peur au sein des populations qui, légitimement, s’interrogent sur la capacité réelle de l’Etat à assurer correctement et efficacement sa mission régalienne de protection des personnes et des biens.
La presse, comme à l’accoutumée en pareilles circonstances, s’est largement fait l’écho de cette situation, de ce climat d’insécurité devenu un phénomène de société majeur. Quant aux autorités gouvernementales, à défaut de se murer dans un silence gênant, elles ont réagi diversement, traduisant et étalant ainsi un manque d’appréciation commune sur un sujet qui, pourtant, devrait exprimer une convergence de vues et des propositions de solutions durables.
Nous allons plutôt évoquer les propos du ministre de l’Intérieur et de la sécurité publique qui a accusé les journalistes qui, dans leurs relations et à travers leurs articles portant sur les faits de délinquance, auraient contribué à donner à l’insécurité ambiante une ampleur qui ne correspond guère à la réalité. La réaction du ministre se comprend aisément ; il est dans la défensive et a adopté une position de fuite de responsabilité et de transfert de celle-ci sur une catégorie professionnelle qui n’a fait que son travail. Il ne sert à rien de nier les faits, la prégnance de l’insécurité est décriée et dénoncée par les populations elles-mêmes ; et au lieu de chercher à se dédouaner en cherchant des prétextes commodes et en désignant des boucs émissaires, le ministre de l’Intérieur devrait se poser les bonnes questions relatives à ses charges publiques. S’est-il-demandé si le Président de la république, chargé de définir les orientations du gouvernement, a une bonne vision sur la politique sécuritaire ? Comment juge-t-il le budget mis à sa disposition pour prendre correctement et efficacement les besoins sécuritaires des Sénégalais ? L’Etat a-t-il mis à la disposition des forces de sécurité (Gendarmerie-Police) les ressources humaines et financières adéquates pour leur permettre de s’acquitter de leurs pénibles et dures missions régaliennes de protection des personnes et des biens ? Celles- ci ont-elles adopté des modes d’actions appropriés pour une lutte efficace et une occupation du terrain permanente ? Je crois que le conseil présidentiel sera une occasion pour trouver réponses à toutes ces questions.
Le ministre de l’Intérieur n’est pas un professionnel de la sécurité, il ne connait réellement pas ce que c’est un commissariat de sécurité ; autrement il ne jetterait pas l’anathème sur les journalistes qui, de tout temps et au prix de certains risques ont apporté leur soutien à la police. C’est l’occasion pour moi, au nom de tous les policiers, de saluer la mémoire du journaliste Mame Olla FAYE, du journal Sud-Hebdo qui, en 1994, a fait montre d’un courage légendaire qui avait permis de sauver des policiers d’une mort certaine. Et dire que les policiers étaient pris dans ce piège par la faute des politiciens socialistes dont les querelles de positionnement avait conduit à des rétentions d’informations aux conséquences tragiques.
Juste une semaine après avoir été affecté au commissariat de Guédiawaye en 1983, j’ai réussi à élucider mon premier cas de meurtre grâce à de précieuses informations qui m’ont été fournies par un journaliste qui s’occupait des faits divers. Il y avait une franche et nette collaboration entre les journalistes et les policiers ; de nombreux collègues peuvent apporter ce genre de témoignages. Cela ne veut surtout pas dire que nos relations étaient exemptes de frictions et que, non plus, il n’y avait pas à redire sur le comportement de certains journalistes. Toujours est-il qu’il faut éviter de stigmatiser une corporation qu’on accuse de tous les péchés d’Israël tout simplement parce qu’on veut cacher son échec. Parmi les attributs de la grandeur, il y a le fait de savoir accepter et reconnaitre en toute modestie et en toute humilité ses insuffisances et ses erreurs ; ne définit-on pas le progrès comme un processus d’erreurs compensées ?
Devant le tollé soulevé par cette insécurité et cette vague de violences meurtrières, il faut faire montre de courage, de sens des responsabilités et de lucidité dans les réactions. Si le Président de la république a estimé devoir organisé un conseil présidentiel, c’est certainement sur la base d’informations alarmantes et crédibles en sa possession ; autrement il appartient au ministre de l’Intérieur de lui faire comprendre qu’il n’y a pas péril en la demeure et que tout n’est sorti que de l’imagination fertile et nuisible des journalistes. Ces journalistes qu’on réclame pour qu’ils diffusent le plus largement possible les images qui montrent la police exhibant des personnes interpellées, arrêtées et des objets divers provenant de cambriolages et autres actes délictueux ; ces journalistes qu’on intègre dans les dispositifs lors des opérations de rafles. Et c’est de gaieté de cœur et avec un certain enthousiasme que la presse s’y prête pour une double raison ; d’abord c’est dans le cadre du droit à l’information du public, ensuite il s’agit de magnifier le travail de sécurisation mené quotidiennement par les forces de sécurité.
Comme je l’ai annoncé supra, le travail des journalistes n’est point exempt de reproches ; ce sont des humains et l’essence de l’homme c’est d’être faillible. Un des griefs portés fréquemment contre la presse, c’est sa tendance au sensationnel, à la recherche du « scoop » qui la pousse souvent à publier des informations hâtives et non avérées sur des sujets parfois très délicats. On peut même y déceler une forme d’irresponsabilité dans la mesure où certains journalistes négligent souvent les conséquences possibles des informations qu’ils publient. La récente affaire survenue à Tambacounda avec le meurtre de la demoiselle Bineta Camara en est une illustration parfaite.
En effet, très vite et dans la précipitation, la presse informée, a fourni des informations qui se sont révélées fausses. La course effrénée au scoop fut à l’origine de ce que l’on pourrait aisément qualifier de dérapage malheureux. Dans cette affaire, un homme, un père de famille, le gardien, sur la base d’aucun élément probant, a été trainé et voué aux gémonies. Il a pratiquement subi un lynchage médiatique ; toutefois il faut se féliciter de la réaction responsable et vigoureuse du CORED qui, à travers les propos de Domingo MANE, à rappeler aux journalistes les règles déontologiques élémentaires de leur noble métier. C’est ainsi qu’il arrive que le journaliste publie des articles sans se soucier du chagrin ni de la pudeur des familles ; parfois même le contenu des articles de presse interfèrent dans la bonne conduite des enquêtes policières.
Pour autant l’on ne doit point tenir des propos susceptibles de rendre conflictuels les rapports entre la police et la presse ; les deux institutions ont besoin l’une de l’autre et passent allégrement d’une relation conflictuelle à un rapport partenarial qui, dans certains cas, peut friser la complicité. Il me parait opportun de rappeler ces mots de H. Gévaudan qui parlant des relations entre la police et la presse disait ceci « Un seul sujet d’opposition mais de taille ! Lun détient l’information ; l’autre la recherche. Le besoin d’une certaine discrétion et la nécessité d’une large diffusion dressent leur incompatibilité. Ces impératifs réciproques admis, la voile utile du compromis s’ouvre. De leurs dissemblances et de leurs similitudes naissent des amitiés et des conflits, la bonne entente et la moins bonne. La confiance entre le reporter et le policier s’affirme au bout d’un chemin rugueux : le premier suspectera toujours le second de lui celer l’essentiel, le second tremblera toujours de lire sa confidence en première page ».
La police, en tant qu’institution sécuritaire de régulation sociale, a nécessairement besoin d’informations sur la société que peut lui fournir la presse, de même que celle-ci peut avoir besoin de la collaboration de la police pour disposer de certains éléments d’information à livrer à l’opinion. Sur un autre plan, la presse peut être considérée comme un instrument de contrôle informel des activités de la police qui doivent s’exercer dans le strict respect des dispositions légales et règlementaires.
A la police je recommande d’avoir un esprit d’ouverture vis-à-vis de la presse qu’elle doit considérer comme un partenaire et non comme un adversaire. Les deux institutions qui sont nécessaires et indispensables dans une démocratie doivent pouvoir collaborer dans le cadre d’une synergie d’action salutaire et bénéfique pour les populations.
Pour conclure faisons notre ces propos de M. Garçon « La presse constitue par le contrôle qu’elle exerce, par les révélations qu’elle publie, une sauvegarde contre les abus du pouvoir ; la liberté qu’on lui accorde est en proportion de celle dont jouissent les citoyens. Il n’est de presse libre que dans un pays libre et chaque entrave qu’on lui met est une servitude qui s’étend à la nation toute entière ».
Boubacar SADIO
Commissaire divisionnaire de police de classe exceptionnelle à la retraite.