CONTRIBUTION
Dire que la vie de Cheikh Béthio Thioune n’aura pas été vaine, c’est un pléonasme. Le guide des Cantakuun – une grande communauté compacte de talibés liés par leur amour viscéral pour Serigne Saliou – a une vie remplie. Une vie de convictions, d’engagement pour le mouridisme et surtout pour Serigne Saliou Mbacké qu’il a rencontré le 17 avril 1946 dans les champs de son village de Keur Samba. Cet événement a été décisif dans son parcours peu ordinaire. Cheikh Béthio ne vivait que pour le dernier fils de Cheikh Ahmadou Bamba sur terre. Toute sa vie a été dédiée à ce soufi qui a marqué son khalifat de par sa mesure, son amour du travail, sa simplicité légendaire et sa générosité. Une générosité qui était justement la marque de fabrique de l’un de ses plus remarquables talibés. Cheikh Béthio était un homme bien qui œuvrait pour le bien et qui avait surtout une totale confiance de son guide.
J’ai eu l’occasion de mesurer la profondeur des relations entre les deux hommes. Un jour, un soir à Lagane, dans l’une des nombreuses concessions de Serigne Saliou, un haut magistrat venu solliciter des prières, a furtivement dépassé Cheikh Béthio pour aller directement saluer le maître des lieux. Serigne Saliou qui a remarqué la scène lui a indiqué avec la courtoisie qui le caractérisait, de se rapprocher de Cheikh Béthio en qui il avait une totale confiance. Depuis lors, cet homme est devenu un des proches du guide des Cantakuun. Ce qui illustre assez que beaucoup sont devenus «talibé» de Cheikh Béthio parce que Serigne Saliou l’avait voulu ainsi. J’ai aussi personnellement assisté à une conversion vers l’Islam d’un non-musulman par l’entremise de Serigne Saliou Mbacké. Aussitôt après cet acte de haute portée, le saint homme a demandé au nouveau converti de se rapprocher de Cheikh Béthio qui était présent. Ce qu’il fit sans hésiter. Une complicité sans commune mesure, fruit de plusieurs décennies de compagnonnage sincère, d’engagement dans les champs et dans les bureaux, aux villages et aux villes. Car, la grande majorité des Cantakuun vient des milieux estudiantins, de tous les cercles intellectuels. Toutes les couches de la société ont convergé vers ce guide qui sortait du carcan classique. Tous entonnaient merveilleusement des chansons dédiées à leur guide et ne vibraient, vibrent toujours que pour ce Cheikh de Cheikh Saliou.
Meneur d’hommes
Cheikh Béthio a été un meneur d’hommes. Un «faiseur d’hommes», car il a réussi la prouesse de faire de beaucoup de ses disciples des responsables, des leaders qui occupent une place de choix dans la société. Il aimait être en compagnie de ses talibés, discuter avec eux, danser avec eux, remercier vivement leur bienfaiteur commun Serigne Saliou. C’est pourquoi le dernier épisode mouvementé de sa vie, avec la mort de deux de ses talibés, a été une véritable épreuve pour lui et pour ceux qui connaissent son amour pour la paix. Pourtant, manifestement, il voyait venir. Un jour, il m’a appelé pour me parler du cas de Bara Sow, l’une des victimes de Médinatoul Salam. Cheikh Béthio, légaliste, était à la recherche d’une solution juridique pour parer à toutes les éventualités, pour éviter le pire. Hélas.
Aujourd’hui encore, ma conviction est que ce fervent talibé de Serigne Saliou, grand humaniste, est incapable de tuer une mouche, à plus forte raison demander à exécuter un discipline qui l’importunait certes, mais qui l’aimait avec excès. Dieu l’unique juge, qui l’a appelé auprès de Lui et de son vénéré guide Serigne Saliou, au lendemain de sa condamnation, a manifestement tranché. Paix à l’âme de Cheikh Béthio Thioune.
Me Mamadou DIOP