CONTRIBUTION
De Touba à Tivaouane, en passant par d’autres cités «religieuses», des voix autorisées sortent du bois pour magnifier les travaux que le président Macky Sall a réalisés dans ces différentes contrées en vue de les réhabiliter ou mieux de les doter de nouvelles infrastructures routières ultra modernes. A Touba, le porte-parole du khalife général des mourides, Serigne Bass Abdou Khadre, se réjouit des travaux que le président Macky Sall y a entrepris et surtout de la nouvelle autoroute ILA Touba, non sans oublier de mentionner à l’attention de ses détracteurs que les marques de gratitude prononcées par ci et là sont au demeurant une tradition dans la hiérarchie mouride en vue de témoigner leur reconnaissance à toutes les autorités qui œuvrent pour le rayonnement de la cité de Cheikhoul Khadim. Le président Macky Sall n’y échappe pas. Soit !
A Tivaouane aussi, le porte-parole de la famille Sy, le marabout Serigne Pape Malick Sy s’est également félicité des nombreuses réalisations du régime du président Macky Sall en des termes élogieux : «Depuis Senghor en passant par Diouf jusqu’à Wade, ce que le président Macky Sall a fait à Tivaouane, aucun autre président de la République n’a pu le faire. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de le soutenir pour qu’il puisse terminer ses chantiers. Toutefois, je continuerai de recevoir l’ensemble des membres de l’opposition…». Cette déclaration du porte-parole de la famille Sy a le mérite d’être très claire sur sa volonté de cheminer avec la mouvance présidentielle Benno Bokk Yaakaar. Toutefois, le «Nous» renvoie-t-il aux différents membres de la famille qui ont en collégialité et de manière souveraine exprimé leur volonté de soutenir publiquement le président Macky Sall à l’élection présidentielle du 24 février 2019 à cause uniquement des travaux réalisés à Tivaouane ou est-ce seulement une volonté de quelques-uns ? Pourquoi, par ailleurs, le changement de perspective dans la dernière phrase de son énoncé avec l’utilisation du «Je» à la place du «Nous» ? Est-ce une manière de se démarquer sur la forme, en soutenant sa volonté de recevoir encore et toujours les membres de l’opposition sénégalaise et ce malgré son ancrage dans la mouvance présidentielle Benno Bokk Yakaar et de garder le silence sur l’attitude des autres ?
Et dans d’autres cités «religieuses», c’est le même refrain qui est servi à bout de champ pour justifier le choix de Macky Sall à la tête du pays. A tous ces choix circonstanciels dictés par des considérations partisanes, la question qui sied la mieux et qui mérite d’être posée de manière objective à tous ces souteneurs assumés ou non du président Macky Sall est la suivante : où en êtes-vous avec la problématique de la gestion éthique des affaires du pays ou mieux avec le choix du peuple et la défense de l’intérêt général ? Vos positions du moment ne reflètent pas du tout les attentes légitimes de meilleures conditions de vie de nos compatriotes, voire les inquiétudes de larges pans de la société qui ne se reconnaissent pas dans les politiques du président Macky Sall ou qui constatent avec effroi que le régime n’arrive pas à trouver des solutions idoines à leurs problèmes existentiels ou mieux des voies de sortie de crise au chômage endémique de nos jeunes compatriotes, à l’appauvrissement du monde rural, à la fuite de ces mêmes jeunes du pays en quête d’un hypothétique meilleur lendemain pour leurs familles. Que faites-vous alors de ces situations catastrophiques ? Ne méritent-elles pas d’attirer votre attention sur leur caractère violent et injuste ? Ou bien ne pèsent-elles pas du tout à côté des nombreuses réalisations du président Macky Sall dans vos cités ?
Face à ces drames existentiels insupportables, rien ne saurait justifier vos soutiens au régime présidentiel Benno Bokk Yaakaar. En effet, une appréciation honnête, critique et responsable de la gestion du pays ne doit pas faire l’impasse sur ces différentes considérations et ne doit pas se limiter aux seules réalisations du président Macky Sall dans vos cités respectives.
De plus, vous sortez de vos positions de régulateurs sociaux en vous érigeant en partisans. Vous semblez oublier que votre devoir s’inscrit indubitablement dans le champ religieux ou maraboutique, en indiquant avec discernement et responsabilité à vos fidèles disciples ou talibés la voie de la droiture, l’amour de la patrie, le don de soi et le respect du bien public ou mieux la poursuite, voire la défense de l’intérêt général afin que ces derniers s’imprègnent des enseignements éthiques et moraux de nos illustres prédécesseurs pour devenir de meilleurs citoyens et de choisir eux-mêmes le candidat le plus crédible pour présider aux destinées de notre cher pays. La quête de l’intérêt général doit primer dans un Etat de droit sur toutes autres considérations.
Vouloir s’ériger par effraction en acteurs politiques en indiquant à vos communautés vos choix personnels pour tel ou tel candidat à l’élection présidentielle ne relève pas de la sagesse, si par ailleurs cette vertu est encore d’application dans les discours des uns et des autres aussi bien, dans le champ politique que dans le champ maraboutique pour ne pas dire religieux. De telles postures sont incompatibles avec vos charges liées à la croyance de vos disciples et qui peuvent entrer en conflit légitimement sur le champ politique avec des positions différentes basées sur d’autres considérations de bien-être social, de justice, du respect de la parole donnée, de la protection des valeurs de la République. Vos choix politiques posent un réel problème de cohésion sociale. Ou est-ce qu’en tant que simples citoyens, nous ne pouvons pas avoir la même lecture objective de la situation socio-économique du pays et de la volonté manifeste du président Macky Sall de piétiner les règles qui fondent notre volonté de vivre dans un Etat démocratique et républicain ?
Personne ne vous demande d’être pour ou contre le régime politique au pouvoir. Mais, d’être uniquement du côté de la vérité et de pouvoir l’affirmer avec courage et responsabilité. Portez-vous des œillères qui vous empêchent de constater les dérives et les affres de gestion scabreuse du président Macky Sall ? Ou êtes-vous seulement intéressés par les travaux du régime dans vos cités, peu importe la souffrance de nos compatriotes ? Beaucoup de nos compatriotes ne mangent pas à leur faim, éprouvent toutes les peines du monde pour assurer à leurs enfants une éducation de qualité, une vie saine et sont exposés à la cupidité, voire à la corruption de nos politiciens professionnels en raison même de leur détresse. Ainsi, comment un guide religieux peut-il prendre le risque de soutenir un homme, le président Macky Sall qui passe son temps à renier ses engagements, à mentir froidement au peuple et qui permet, voire favorise l’instrumentalisation de la justice en vue d’écarter des adversaires politiques et mieux tolère de fait la corruption et la prévarication de nos ressources publiques ? Mieux, qu’est-ce qui vous empêche de tenir un langage de vérité au président Macky Sall et à ses hommes afin qu’ils respectent les lois et règlements de la République et qu’ils dirigent le pays dans la loyauté et dans la défense des intérêts supérieurs de la nation sénégalaise ?
Je reconnais certes que le fait d’insinuer de telles questions suscite chez beaucoup de nos compatriotes de la colère, voire de l’indignation à l’encontre de n’importe quel citoyen qui s’aventurerait à dénoncer une certaine connivence coupable de l’aristocratie maraboutique du pays de la Téranga avec les fossoyeurs de nos valeurs de justice et de cohésion sociale. Cependant, l’indignation et la colère de nos compatriotes qui vivent au quotidien les pratiques despotiques du pouvoir du président Macky et les privations qui vont avec, valent plus que la colère de quelques mystificateurs enturbannés ou de disciples manipulés, voire désorientés et incapables d’appréhender la réalité sociale. Aujourd’hui, si les marabouts sont critiqués au pays de la Téranga, c’est en grande partie à cause de leur volonté mercantiliste de s’allier à tout nouveau pouvoir au détriment de la défense des sans voix du peuple et de l’intérêt général. Vos positions partisanes vous empêchent de prendre la défense des causes du peuple et de les placer au-dessus de toutes autres considérations. Pourtant, une appréciation honnête, critique et responsable de la gestion du pays ne peut faire l’impasse sur les maux qui secouent de toutes parts la société et ne peut nullement se focaliser sur les travaux réalisés ou en cours dans vos différentes cités.
Dites-nous, pourquoi vous vous estimez redevables au président Macky Sall alors que son rôle en tant que chef de l’Etat est de satisfaire les besoins de l’ensemble du corps social, peu importe l’allégeance des uns et des autres ou non à son régime Benno Bokk Yakaar ? Par ailleurs, les travaux (par exemple la construction de nouvelles routes en vue de faciliter la mobilité de nos concitoyens) que son gouvernement réalise par ci et par là dans vos différentes cités ne sont pas des cadeaux ou des privilèges. Ils rentrent tout compte fait dans le registre des obligations de nos autorités publiques dans l’exercice de leurs missions : s’assurer que nos compatriotes vivent dans les meilleures conditions possibles. Et pour cette raison, lui et son équipe ne méritent pas tous ces éloges. Nos compatriotes doivent être sensibilisés sur ces questions de politiques publiques afin qu’ils comprennent qu’ils ne doivent absolument rien à nos gouvernants lorsque que ces derniers s’acquittent de leurs tâches en respectant les règles d’une gestion efficiente et équitable de nos ressources publiques. Cependant, il y a un réel problème d’éthique lorsque les moyens de la puissance publique sont détournés en vue de satisfaire une élite maraboutique et que l’immense majorité de nos compatriotes vivent dans un dénuement total.
Le délabrement du tissu social n’intéresse personne. En quoi consiste le fait de réhabiliter les cités maraboutiques ou leurs lieux de résidence alors que les populations locales ne parviennent pas à satisfaire leurs besoins primaires ou mieux tirent le diable par la queue ?
Nos autorités publiques doivent revoir l’ordre des priorités des besoins de nos concitoyens. Une personne qui manque de tout, ne doit-elle pas être la priorité absolue de nos gouvernants afin qu’elle puisse sortir de la misère et de pouvoir jouer pleinement son rôle de citoyen ? (…) Le pouvoir peut et doit investir dans les cités maraboutiques, mais autrement en se focalisant sur le cadre de vie de nos populations. La cité de Touba est un exemple édifiant pour un changement de paradigme dans les politiques de développement local. Les récents remous de la population de Touba, un fait inédit dans la cité de Cheikhoul Khadim contre les inondations récurrentes, l’insalubrité et l’insécurité qui dénaturent la ville, sont la preuve tangible que les fidèles ont plus besoin d’un cadre de vie adéquat qui répond aux normes urbanistiques d’une grande ville que d’une autoroute sous exploitée et moins rentable financièrement. Ainsi, construire l’autoroute ILA Touba n’est pas une priorité pour les populations même de la cité de Cheikhoul Khadim. Utiliser principalement l’autoroute pour les besoins du grand Magal de Touba est un gâchis, un aveu d’échec et une incompétence notoire du régime du président Macky Sall. Les milliards de francs Cfa engloutis dans ces travaux pouvaient permettre de résoudre, une bonne fois pour toute, tous les problèmes d’aménagement, d’assainissement et d’accès à l’eau de la cité de Touba, mais également de santé publique pour la deuxième ville la plus peuplée du pays.
Et puis, le Sénégal ne se limite pas aux seuls foyers maraboutiques. Les citoyens sénégalais habitant dans les villages les plus reculés du pays et dont les noms ne figurent dans aucune carte géographique, ont droit aux mêmes égards de la République que nos concitoyens des contrées maraboutiques. La République n’a pas vocation à privilégier la satisfaction des besoins d’une certaine élite politico-maraboutique. Elle a le devoir de traiter équitablement tous les citoyens sénégalais. Il n’est pas tolérable dans un Etat de droit que les autorités publiques laissent la majorité de ses membres dans un dénuement total et ne prennent en compte que les demandes d’une minorité agissante au grand dam du reste de la population (….) En réalité, seule une distribution juste de nos ressources publiques à l’ensemble du corps social est gage de paix et de solidarité intergénérationnelle. Construire une nation requiert du tact, une certaine intelligence à dépasser les clivages en vue de réunir les différentes composantes de la société à partager les mêmes valeurs et à œuvrer ensemble en vue d’assurer le bien-être de toute la population sans discrimination ni favoritisme. Le gouvernement du président Macky Sall est à mille lieues de cette exigence éthique. Il est profondément ancré dans le sectarisme, la division et la confrontation.
Massamba NDIAYE