CONTRIBUTION
Un bucheron astucieux a abattu un baobab. Accusé par ses voisins, il tente de se blanchir par cette pirouette : «Vous vous trompez, je n’ai jamais touché au tamarinier !». Une feinte en forme d’aveu implicite. Tout le monde connaît cette historiette illustrant la malice et le sens de l’esquive, et ayant donné naissance à une succulente expression du wolof. L’esquive vire à l’esbroufe quand, interpellé sur la fausseté des taux de croissance officiellement annoncés, le pouvoir marron exhibe la note B+ perspective positive, accordée par l’agence Standard and Poor’s. Et omet de préciser que cette note se justifie avant tout par «les efforts du Sénégal en matière de croissance (6 % entre 2014 et 2016 contre 3,5 % entre 2011 et 2013)». Autrement dit, le gouvernement cherche à tirer profit d’un résultat de sa propre turpitude.
Nous aurions certainement joué le jeu si cette notation servait réellement l’intérêt national, mais elle incite surtout à l’alourdissement de notre dette extérieure déjà très pesante. Comparer sans précaution les taux de croissance d’avant et d’après 2014, c’est exactement comme comparer des pommes avec des pommes de terre Ogm. La question à poser est de savoir ce qui s’est vraiment passé en 2014, quel est le «miracle» survenu cette année-là, qui aboutit à un quasi doublement du taux de croissance.
Il y a bien un «miracle de 2014», mais il n’est pas celui auquel le gouvernement veut faire croire quand il suggère que sa gouvernance économique aurait produit une augmentation plus rapide de la richesse nationale. Le «miracle de 2014», c’est la révision du mode de calcul du Pib dans le cadre du Projet de rénovation des comptes nationaux (Prcn). Selon la note de synthèse du Prcn, «au terme des travaux (de changement du mode de calcul), le Pib est ressorti à 9 789 milliards FCfa, en hausse de 30 %, comparativement à son niveau de 2014 évalué selon l’ancienne base» de calcul. Les autres conséquences mécaniques de cette révision sont : l’amélioration du solde de la balance des paiements, du solde budgétaire et du taux d’endettement, tous indicateurs pris en compte par la notaction de S and P.
Il ne s’agit pas de contester la pertinence de la révision des comptes nationaux. Bien au contraire, celle-ci paraît opportune dans une économie encore dominée par le secteur informel comme le Sénégal. Ce qui est en cause, c’est le sans-gêne et la désinvolture avec lesquels un gouvernement incompétent manipule ses résultats en cherchant à abuser l’opinion nationale. Il s’agit de dénoncer la turpitude consistant à utiliser une distorsion statistique pour tenter de maquiller un échec économique évident.
Il serait souhaitable que nos économistes s’emparent de ce débat pour éclairer davantage la lanterne des citoyens, qui ont droit à la bonne et véridique information sur l’état réel de la Nation.
Mamadou Bamba NDIAYE
Ancien député
Secrétaire général du Mps/Selal