Le célèbre cinéaste sénégalais Moussa Séne Absa révèle ne pas regarder les téléfilms sénégalais. Le réalisateur, auteur de célèbres affiches telles que Madame Brouette, invite les jeunes à faire mieux.
«Ce n’est pas du cinéma. La télévision, c’est un meuble, le cinéma, c’est un art. Ce n’est pas la même chose. C’est divertissant. Mais c’est quoi l’originalité sénégalaise dans ces séries qui se passent dans les appartements avec des filles qui vivent seules dans de beaux appartements. Elles ne travaillent pas. On ne sait pas ce qu’elles font. Elles sont toujours en train de parler, de recevoir des hommes et des femmes qui sortent, qui entrent, qui sortent. Moi, je ne les regarde pas», révèle Moussa Sène Absa. C’était samedi dernier, lors de la présentation d’un film qu’il a réalisé sur Boubacar Camara, ex-Dg de la Douane. La projection présente ce dernier comme un modèle pour les jeunes, vu son parcours.
Il n’en finit pas avec la nouvelle génération de cinéastes. «Il y a quelques soucis. J’entends souvent les jeunes parler de relève générationnelle. Je dis non, vous faites fausse route. Il n’y a pas de relève dans le cinéma. Dans l’art, il n’y a pas de relève. Tout doit être intergénérationnel», confie Moussa Sène Absa, un des pionniers du cinéma sénégalais. Pour lui, ils doivent s’approcher des ainés et puiser chez eux. D’ailleurs fait-il remarquer, «même avant les ainés, ils doivent se chercher, se connaitre. Connaitre leur histoire, être curieux, lire, voyager, prendre un Ndiaga Ndiaye (bus de transport en commun au Sénégal, Ndlr) et aller à Fongolémi au lieu de rester à Dakar, capitale du Sénégal où on dépense une fortune». De l’avis de l’ancien cette sortie de la capitale est bénéfique pour les jeunes.
Moussa Séne Absa explique le mal des jeunes cinéastes par la technologie. «J’ai l’impression que les jeunes n’ont pas assimilé, du fait de la facilité technologique, c’est-à-dire le numérique avec lequel on peut faire un film à partir de son IPhone». Il fait distinguer que ce n’est plus un problème de technologie mais de savoir-faire. Par exemple, ironise-t-il, «si tu me racontes la même chose que l’Américain, ou le même film, la même manière de faire qu’un Français, cela ne m’intéresse pas. Si tu me racontes une manière de faire qui est très sénégalaise, où je me retrouve, retrouve des choses qui sont dans mon univers auquel je pourrai m’identifier, là ça m’intéresse… Pour cela, il faut connaitre l’histoire contemporaine, savoir quel est l’état des lieux, savoir où ce pays veut, peut aller. C’est là le rôle du cinéaste».
De l’avis M. Sène, la technologie aide et elle démocratise la pratique du cinéma. «Avant, pour faire un film, il te fallait une caméra 16 millimètres, avec un Nagra (boite d’enregistrement avec deux disques tournants, Ndlr), de la pellicule qui coûte une fortune. C’était un investissement humain et financier énorme pour faire un film. Aujourd’hui, avec une caméra, tout seul, tu peux faire l’image et le son. Mais il faut aller au-delà de cette facilité technologique et se poser les questions : ’ qui suis-je ? Où est-ce que je veux aller, comment y arriver ? Quels sont mes obstacles ? Quel regard je porte sur ma société, comment ce regard peut les affecter. Comment les aider à regarder le monde? », enseigne-t-il.
Dans le fond, Moussa Séne Absa a aussi des inquiétudes. «Il y a certains contenus qui m’interpellent. C’est sur la forme où j’ai un problème. Le cinéma c’est de l’art. Souvent, j’ai l’impression de voir le même film, les mêmes choses. Parfois, j’ai l’impression qu’ils se répètent».
Pour lui, les auteurs doivent montrer leurs vraies intentions. «Ils se cachent derrière la caméra. Je ne vois pas l’auteur. La plume n’étant jamais neutre. La caméra, c’est de la vérité. Je veux voir quel est le regard du cinéaste qui est derrière. Ils ont peur de se dévoiler», révèle-t-il avant de conseiller la curiosité, l’audace, le regard, la culture, la lecture pour connaitre ce qui s’est passé ici il y a mille ans.
Emile DASYLVA