CONTRIBUTIONIl n’existe pas de Sénégalaises et de Sénégalais de bonne foi qui n’admettent pas que, pendant douze ans, le vieux président s’est employé à détraquer notre administration et, encore plus, notre système de rémunération des agents du secteur public qu’il a laissé sens dessus dessous. Même nos autorités, au niveau le plus élevé, se sont rendues à l’évidence pour reconnaître des dysfonctionnements qui crèvent les yeux. Pour parer déjà aux arguments factices qui seront sûrement opposés à mes propositions de profane, je rappelle quelques mea culpa, d’abord de Mme Bompassy, ancien ministre de la Fonction publique, du Renouveau, du Service public et de la Rationalisation des effectifs, puis du président-politicien lui-même. Selon Mme Bampassy, l’étude menée sur le système de rémunération des agents de l’Etat a révélé «un système désarticulé et à plusieurs vitesses avec des disparités en termes de traitement salarial». En outre, «des agents de l’Etat qui sont d’une même catégorie ont des disparités énormes en termes de traitement salarial et il faut tout remettre à plat». Elle précise ensuite qu’elle a proposé de «(…) revoir tout le package d’indemnités données aux agents de façon désordonnée». Ces mêmes indemnités «qui ont été données à des corps et pas à d’autres», de «façon anarchique».
La plus haute autorité, le président-politicien, confirme sa ministre, dans des termes plus catégoriques encore. Je les rappelle puisque j’en ai déjà fait état dans mes précédentes contributions. Je les rappelle pour que nul n’en ignore. De sa propre bouche, est sortie la déclaration suivante : «L’Etat va harmoniser le système de rémunération de ses employés, dans le souci de corriger les inégalités entre plusieurs secteurs d’activité, en matière de traitement salarial.» «Une décision sera prise pour tout remettre à plat. A un moment donné, il faudra tout harmoniser pour avoir une administration qui marche à la même vitesse», lançait-il. C’était vraiment sans équivoque surtout qu’il ajouta : «Une administration ne peut pas avoir des corps super-privilégiés et d’autres complètement sacrifiés».
Donc, on ne peut pas rester les bras croisés devant les graves révélations de l’audit du système de rémunération des agents du secteur public. Le président-politicien lui-même décide qu’«il faut tout remettre à plat». Cette décision exige des mesures-choc que, malheureusement, il n’a pas le courage de prendre, surtout d’ici à février-mars 2019. Seul un nouveau gouvernement, avec des hommes et des femmes neufs, vertueux, respectueux de la parole donnée et du bien public – ce que n’est point le président-politicien – pourraient envisager la remise à plat totale du système de rémunération malmené par le vieux président et son successeur. Comme nous sommes à un an de cette échéance et que nous ne savons pas de quoi demain sera fait, nous allons avoir l’outrecuidance de donner notre point de vue de profane sur ce que pourrait être cette remise à plat inévitable.
L’exemple devrait venir d’abord de ce nouveau gouvernement car, comme le dit walaf Njaay, bala ngaa digle cángaay da ngay sángu. En d’autres termes, il faut se baigner d’abord avant de conseiller le bain. Contrairement à la gouvernance folklorique, politicienne et ruineuse pour les finances publiques de notre président-politicien, celle du nouveau régime – si nouveau régime il y a – devrait être vraiment sobre en tout point de vue. Pour commencer par le nombre de ministres, il ne devrait pas dépasser vingt (20), avec un ou deux ministres d’Etat au plus, s’il y a lieu. Les cabinets ministériels seraient formés conformément à l’esprit des circulaires que les présidents Senghor et Diouf rendaient publiques au lendemain de chaque formation d’un nouveau gouvernement. Chaque ministère serait doté d’un organigramme pour lui éviter d’être un fourre-tout. Le nombre de directions générales et de directions devrait être en rapport avec la taille et l’importance du ministère. Aujourd’hui, tout le monde ou presque est directeur général.
La présidence de la République et la Primature devraient retrouver leur lustre d’antan, avec un personnel ayant le profil de l’emploi et en nombre raisonnable. En particulier, le titre de ministres ne devrait pas être attribué à tout va, comme c’est le cas avec la gouvernance du président-politicien.
L’Administration, qu’elle soit centrale, territoriale ou décentralisée est lourde. Elle devrait être profondément réformée dans le sens de son allègement, donc de son efficacité. Il faudrait, en particulier, se soucier constamment de la viabilité des collectivités qu’on crée. Le nombre de régions, de départements, d’arrondissements et surtout de communes (552) devrait être repensé, notamment dans le sens d’une baisse notable. Des chefs-lieux de régions, de départements et d’arrondissements manquent presque de tout. Les communes, dans leur écrasante majorité, ne le sont que de nom.
Et ce ne sera pas tout : la remise à plat du système de rémunération ne se fait pas du jour au lendemain. Elle doit être précédée de préalables, de sacrifices parfois lourds. Pour les faire passer, les nouveaux gouvernants devraient toujours donner le ton. En particulier, les fonds spéciaux du président de la République devraient baisser, de façon drastique s’il le faut. Huit à dix milliards de francs Cfa chaque année, peut-être plus, c’est trop. C’est trop pour un pays pauvre et endetté comme le nôtre. C’est trop surtout s’ils ne doivent servir qu’à entretenir les parents, les beaux-parents, les membres du parti-Etat, les alliés du bénéficiaire. C’est encore trop pour financer les mobilisations et acheter des consciences. Trois à quatre milliards y suffisent largement. C’est quand même trois mille à quatre mille millions de francs Cfa ! C’est beaucoup d’argent qu’il faut soumettre au contrôle. En particulier, l’esprit doit changer, celui qui sert d’argument fallacieux qu’on nous jette toujours à la figure : «Les fonds politiques sont laissés à la discrétion du président de la République qui en fait ce qu’il veut, qui peut même les brûler.» Quel agent de l’Etat acceptera-t-il le moindre sacrifice avec la persistance d’un tel esprit ?
Dans le même ordre d’idée, les fonds secrets du Premier ministre qui ont alimenté et alimentent tant de fortunes devraient être, eux aussi, revus notablement à la baisse et encadrés. Il devrait en être de même pour toutes les autres caisses, tous les autres fonds qui font le bonheur de présidents d’institutions (suivez mon doigt) et de leurs proches.
Combien nous coûtent aujourd’hui l’Assemblée nationale, le Conseil économique, social et environnemental, le Haut conseil des collectivités territoriales, le Haut conseil pour le dialogue social, etc. ? Les trois dernières institutions devraient être, dans un premier temps, supprimées. Pour ce qui concerne la première, le nombre de ses députés ne devrait pas dépasser une centaine, peut-être un peu plus. De même, leurs avantages exorbitants baisseraient de façon notable. De trente, le budget de l’Assemblée nationale pourrait descendre à une quinzaine de milliards.
Le gouvernement n’arrive plus à payer régulièrement et à temps les personnels des ambassades, tant ils sont nombreux. Nombre de ces ambassades sont pratiquement devenues des sièges pour le parti-Etat. Elles et leurs personnels pléthoriques (et sans contrepartie) pourraient être divisés, dans un premier temps, par deux. Ce qui nous ferait épargner beaucoup de milliards.
Un autre gouffre à milliards, ce sont les agences nationales où les gens sont presque payés à ne rien faire. Nous les avons largement abordées dans nos précédentes contributions. Au départ des socialistes du pouvoir, elles étaient au plus trois, y compris l’Agence d’exécution des travaux d’intérêt public (Agetip) et l’Agence pour le développement municipal (Adm). Personne n’en connaît le nombre exact aujourd’hui, puisqu’on en crée à tout bout de champ. Avec un gouvernement responsable et soucieux de sauvegarder nos maigres finances publiques, elles ne devraient pas dépasser une dizaine. Combien de milliards économiserions-nous alors ?
Voilà quelques mesures de réduction du train de vie de l’Etat – loin d’être exhaustives d’ailleurs – qui pourraient permettre à un gouvernement d’engager cette tâche titanesque, qui consiste à réformer profondément le système de rémunération des agents du secteur public, dans le sens d’une réallocation équitable de nos ressources. Elle ne pourrait se faire que lorsque les sacrifices préalables (inévitables) – et ceux qui suivront – touchent tout le monde, à commencer par le sommet.
Cette contribution devait clôturer ma modeste réflexion sur ledit système. Mais, le texte étant déjà long, le lecteur trouvera la suite dans la prochaine et probablement la toute dernière sur la question.
Par Mody NIANG