CONTRIBUTION
Les syndicats des enseignants en lutte tentent de justifier la radicalisation de leur combat, par le mépris et le manque de considération que le gouvernement aurait à l’égard de la fonction enseignante, en leur proposant une augmentation de 10 % de leur indemnité de logement ! Ce faisant, ils ne tiennent pas compte que, même cette augmentation de leurs indemnités de logement, contribue à accentuer le déséquilibre dans le système de rémunération des agents de l’Etat, qui est causé par le recours excessif à la création de nouvelles indemnités et primes, et à leur augmentation, pour une catégorie d’agents, au détriment de l’augmentation du Point indiciaire qui s’applique à toutes les catégories.
Pourtant, à diplôme égal, la Nation a consenti depuis Senghor, un complément sur le salaire de base des enseignants, sans qu’aucune autre catégorie de fonctionnaires n’ait crié à la discrimination ! Mais, c’est avec la libéralisation de l’économie, sous les contraintes des ajustements structurels, que le gel du Point indiciaire a fortement détérioré le pouvoir d’achat des agents de l’Etat dans un contexte de forte inflation des prix, et de spéculation foncière et immobilière, avec ses conséquences sur les loyers à usage d’habitat. C’est ainsi que les syndicats d’enseignants, dès la fin des années 80, ont adopté comme plate-forme de lutte, la «valorisation de la fonction enseignante et de l’Ecole publique», montrant ainsi que l’une ne peut pas aller sans l’autre, ni au détriment de l’autre.
Mais dans le milieu des années 2000, après avoir consenti une forte augmentation du Point Indiciaire étalé dans le temps, les pouvoirs publics ont eu recours à la pratique de création et d’augmentation des indemnités et autres primes, non pas pour valoriser la «fonction enseignante», mais pour le maintien de certaines catégories d’agents de l’Etat dans le service public aux citoyens, sous prétexte d’aligner leurs rémunérations à celles de leurs homologues dans le privé, pour faire face à la compétition dans le marché des «ressources humaines de qualité». En effet, dans le secteur public de l’Education, le recours aux «volontaires», puis aux «vacataires et autres contractuels» pour satisfaire la demande sociale en éducation et formation du peuple, a créé une nouvelle catégorie d’enseignants sous-payés par rapport à leurs homologues fonctionnaires et qui, au fur des années, ont représenté plus de 60 % des effectifs du Corps enseignant. C’est cette situation d’enseignants dans le secteur public de l’Education à deux vitesses, qui est à l’origine du déséquilibre dans leur système de rémunération, et qui est à l’origine du malaise persistant dans le milieu scolaire et universitaire.
En outre, la rémunération des enseignants fonctionnaires est aussi meilleure que celle de leurs homologues dans le secteur privé de l’Education, qui préfère développer un marché de «travail au noir», à la place d’un recrutement d’enseignants rémunérés à la hauteur de ceux du secteur public de l’Education. Ainsi, la discrimination en matière de rémunération dans le secteur public de l’Education et le marché «du travail au noir» dans le secteur privé, ont fortement contribué à la dévalorisation de la fonction enseignante, en faisant que l’on devient enseignant, non plus par «vocation», mais juste pour y «gagner sa vie» !
C’est cela qui a fait que, petit à petit, la «valorisation de la fonction enseignante» a été déconnectée de la «valorisation de l’Ecole publique», et les méthodes de lutte pour parvenir à l’une, sont le plus souvent au détriment de l’autre, mais, paradoxalement, en faveur du secteur privé, qui entrave la «valorisation de la fonction enseignante» recherchée ! Ainsi, le recours à des méthodes de lutte qui entament significativement le quantum horaire dans le secteur public de l’Education, tout en le bonifiant dans le secteur privé, avec la pratique du travail au noir, est véritablement contre-productif, puisqu’ils dévalorisent l’Ecole publique, en faisant de l’Ecole privée le seul recours à un enseignement de qualité, et en même temps, détruit la fonction de l’Education comme «ascenseur social», pour en faire un «instrument» de reproduction et d’accentuation des inégalités sociales.
Aujourd’hui, avec les accords signés avec le gouvernement qui mettent fin progressivement aux inégalités de rémunération et de statuts dans le secteur public de l’Education, un très grand pas est franchi dans la revalorisation de la fonction enseignante. Suite à la non-application de ces accords obtenus après le dépôt d’un préavis de 30 jours, la grève déclenchée par le syndicat pour exiger leur respect, demeure licite et ne nécessite pas le dépôt d’un nouveau. Par contre, si de nouvelles revendications sont greffées aux accords non exécutés, l’on a affaire à une nouvelle plate-forme revendicative qui nécessite le dépôt d’un nouveau préavis de 30 jours pour pouvoir déclencher une nouvelle grève de façon licite.
Cependant, puisque toute grève licite entraîne la suspension du contrat de travail, donc une perte de salaires durant le temps de travail non effectué, en abuser pour faire respecter l’application d’accords déjà signés, peut être contre-productif pour les travailleurs grévistes. C’est pourquoi, dans une telle situation, il est recommandé de recourir à la marche pacifique hors des heures de travail et des jours ouvrables, pour la réussir sans porter préjudice au travailleur et à son outil de travail.
De même, avec la loi sur la «baisse des loyers», un cadre légal de lutte contre la spéculation immobilière est institutionnalisé, et qui devrait mobiliser les syndicats d’enseignants, en collaboration avec les associations de défense des consommateurs, pour son respect intégral par les bailleurs, si leur objectif véritable est la défense de leurs mandants, qui sont des locataires pour l’essentiel. Le respect strict de l’application de cette loi augmente le pouvoir d’achat de tous les locataires, y compris les enseignants, sans entraîner une flambée inflationniste des loyers, contrairement à l’augmentation des indemnités de logement pour une catégorie de travailleurs, dont l’ampleur balise le terrain à une spéculation sur les loyers à la hausse, enclenchant un cycle infernal d’inflation des loyers, et de lutte pour l’augmentation des indemnités de logement pour rattraper le pouvoir d’achat perdu. Le poids spécifique des enseignants dans le nombre des locataires, constitue une part importante dans le marché de la location, qui rend les loyers très sensibles à l’ampleur de leur demande, occasionnée par une hausse significative de leurs indemnités de logement.
Les syndicats d’enseignants ne peuvent pas ignorer cet aspect essentiel de leurs revendications de hausse des indemnités de logement, puisqu’ils comptent en leur sein d’éminents économistes dans les universités publiques. Ce qui est incompréhensible, c’est le silence assourdissant de ces éminents économistes, sur la question de l’augmentation des indemnités de logement, étant donné ses conséquences sur l’accentuation des inégalités dans le système de rémunération des agents de l’Etat, et son effet inflationniste sur les loyers, alors qu’ils passent, à longueur de journées, à discuter dans les médias, sur le taux de croissance du Pib, et sur la politique d’endettement du gouvernement ! Est-ce parce que nombre d’entre eux sont des bailleurs ?
Pour améliorer l’accès au logement social, les syndicats d’enseignants disposent de coopératives d’habitat qui bénéficient de terrains dans les Zones d’aménagement spécial (Zac), comme tous les autres agents de l’Etat qui en possèdent, et ont accès, au même titre que les autres fonctionnaires, au financement de la Direction de la monnaie et du crédit (Dmc), et bénéficient du soutien de la Banque de l’habitat du Sénégal (Bhs) pour le financement de leurs projets d’habitat social. Devant toutes ces alternatives à la hausse des indemnités de logement, qui renforcent l’équité entre les agents de l’Etat, il est erroné de faire croire, que la non satisfaction de cette revendication signifierait un mépris envers les enseignants qui seraient victimes de discrimination vis-à-vis des autres agents de l’Etat au Sénégal.
Il est indéniable que l’entrée des corps dits émergents, sous-payés par rapport à leurs homologues enseignants, leur nombre grandissant dans le service public de l’Education, et le travail au noir auquel toutes les catégories d’enseignants ont recours dans le secteur privé de l’Education, même durant leur grève, ont fini par écorner, aux yeux de l’opinion, leur image de marque historique. C’est à cela qu’il faut mettre un terme, et non à une quelconque hypothétique discrimination entre les enseignants et les autres corps de l’Etat, ou à un mépris de l’Etat envers eux !
Mais les accords pour la titularisation progressive dans les corps des fonctionnaires ne suffisent pas, à eux seuls, à cet effet, tant que le travail au noir continue de subsister dans le secteur privé de l’Education. Il est donc impératif que l’Etat y mette fin, en amenant le patronat et les syndicats de ce secteur, à négocier une Convention collective qui promeut les contrats à durée indéterminée et des salaires compétitifs avec ceux fournis dans le secteur public, pour mettre fin au marché noir. La signature récente d’une convention collective dans le secteur privé de l’Education allant dans ce sens, est donc une avancée certaine vers l’objectif d’éradiquer cette concurrence déloyale dans le marché des ressources humaines de qualité, due au dumping social qui y a longtemps prévalu.
Il ne faudrait donc pas profiter de la période pré-électorale pour la présidentielle de 2019, politiquement très déstabilisatrice, pour chercher à mettre le gouvernement devant le choix cornélien entre satisfaire la demande d’augmentation significative des indemnités de logement pour les enseignants, avec tous les inconvénients soulevés plus haut, et le vote-sanction que les syndicats d’enseignants vont demander aux citoyens, sous prétexte d’imposer le respect au gouvernement ! Une telle politisation de la revendication syndicale, même au détriment de l’Ecole publique et de la valorisation de la fonction enseignante pour plus d’équité dans la rémunération des agents de l’Etat, est civiquement inacceptable. L’Ecole publique et la valorisation de la fonction enseignante ne sont pas à vendanger pour satisfaire des objectifs de conquête du pouvoir politique.
Ibrahima SENE
Pit/Sénégal