L’ancienne porte-parole du Parti socialiste a mal. Aïssata Tall Sall a mal de voir le parti de Senghor devenir ce qu’il est aujourd’hui avec Ousmane Tanor Dieng.
La patronne du mouvement Osez l’avenir a mal de voir ce parti «exclure» des centaines de militants à la suite d’une réunion qu’elle qualifie de mascarade. Mais l’ancienne ministre de la Communication sous le régime socialiste a surtout mal de voir l’ancien président Abdou Diouf qui s’était retiré des affaires du Sénégal, revenir pour porter Macky Sall en bandoulière comme son bébé et le présenter aux chefs religieux alors que son parti traverse une crise sans précédent sans qu’il ne tente la plus petite médiation. Invitée de la rédaction de Walf Quotidien, Aïssata Tall Sall qui dit avoir tourné la page du Ps, affirme que son avenir est devant elle. Sûrement à la présidentielle de 2019 puisqu’elle annonce que son mouvement sera bien présent à ce rendez-vous.
Walf Quotidien : Serez-vous candidate à la présidentielle de 2019 ?
Aïssata Tall SALL : D’abord, permettez-moi de dire que c’est un privilège d’être parmi vous. Wal Fadjri est un organe de presse pionnier dans l’espace audiovisuel du Sénégal. Je salue le courage de l’initiative qu’a eue, en son temps, Sidy Lamine Niass. J’ai eu à occuper les fonctions de ministre de la Communication. A l’époque, j’avais trouvé un cadre figé de l’audiovisuel alors que, partout, les libertés d’expression étaient en train d’exploser. Sidy Lamine Niass, avec Babacar Touré et autres, a été de ceux-là qui ont poussé la porte pour que d’autres puissent s’y engouffrer. Avant de commencer, je voudrais saluer ce rôle qu’a été celui de Wal Fadjri et celui de Sidy Lamine Niass. Le Sénégal ne doit pas l’oublier. Si nous avions continué à combattre pour davantage de liberté dans l’expression audiovisuelle, nous le devons pour une grande partie à Wal Fadjri, à tous ceux-là qui ont été les précurseurs. C’est comme cela que l’histoire du monde et de l’humanité marche. Il faut toujours qu’il y ait quelques personnes armées de courage et croyant en elles-mêmes et debout pour faire avancer les idées et les hommes. C’est la raison pour laquelle, c’est toujours avec un plaisir que je reviens à Walf.
Avant de venir, une personne m’a appelée pour me dire qu’il y a un site sur lequel les gens sont en train de voter pour savoir entre Karim Wade, Khalifa, Sonko et moi qui pourrait être le prochain candidat que les Sénégalais porteraient au pouvoir. J’ai jeté un coup d’œil non pas pour prendre cela pour argent comptant. Mais je considère que lorsqu’il y a un espoir qui se lève, vous n’avez pas le droit de décevoir. Nous sommes plusieurs millions de Sénégalais. Quand il y a parmi nous, quel que puisse être le nombre, qui pensent que vous pouvez assumer cette charge, vous n’avez pas le devoir de décevoir, vous n’avez pas le droit de vous dérober. 2019 arrivera, tout le monde s’y prépare. J’ai un mouvement politique qui s’appelle Oser l’Avenir, nous avons déjà longuement engagé ce débat. Il va arriver le moment du choix définitif. On le fera et vous serez édifiés. On sera bien présent à cette élection présidentielle de 2019.
Serez-vous candidate à l’investiture du mouvement Oser l’Avenir ?
Le mouvement décidera. Nous avons convenu entre nous que, dans le courant du mois de mars, au plus tard la première semaine du mois d’avril, cette question sera tranchée. Toutes les sections de Oser l’Avenir décomposées en cellules sont en train de se préparer et Inch Allah, la première semaine du mois d’avril, la décision sera prise. On ne décevra pas les Sénégalais.
Est-ce à dire que vous avez définitivement tourné le dos au Parti socialiste ?
On ne va pas refaire l’histoire. Je fais encore la différence entre les militants et la direction du Parti socialiste dans les actes qu’elle prend, dans les postures qu’elle adopte. J’ai même lu quelque part, le secrétaire général dire que nous sommes interdits de la Maison du Parti socialiste, que plus personne n’y remettra les pieds. Je considère que lorsqu’on est dans une structure comme celle-là, un parti qui est celui de Senghor, qui peut-être a eu beaucoup de difficultés, mais, un parti qui avait une ligne d’action, on se doit de se conformer à ses propres principes. C’est de respecter ses propres règles. Quand on a la chance historique d’être à la tête de ce parti, on se doit d’être un homme d’Etat. Or l’homme d’Etat, ce n’est pas celui qui connaît l’Etat. Ce n’est pas, non plus, celui qui a été ministre, fusse-t-il ministre d’Etat. L’homme d’Etat, c’est celui qui sait distinguer entre ses intérêts propres, l’intérêt du parti et celui du pays. Très souvent, l’intérêt du Parti socialiste s’est confondu avec l’intérêt du Sénégal. Mais, aujourd’hui, lorsque nous qui sommes les plus voyants, nous avons été exclus, on a mis dehors plus d’une centaine d’autres militants et responsables. Quand on exclut plus des 2/3 du Parti socialiste, que restera-t-il ?
Pour autant, je ne regarde pas dans le rétroviseur. Je suis faite de telle sorte que lorsque je tourne la page du passé, je la tourne. J’attends que la direction du Parti socialiste qui déclare urbi et orbi nous avoir exclus, nous notifie la décision d’exclusion. Il ne s’agit pas de faire des bravades pour dire que plus personne ne remettra les pieds dans le Parti socialiste. C’est très simple de s’enfermer dans une petite cage de dire qu’on reçoit des unions régionales. Quand nous savons ce qu’est une union régionale, dans cette salle, cela devient un jeu d’enfant auquel on est en train de se livrer. C’est très simple de dire qu’on ne remettra plus les pieds à la Maison du Parti. Le premier acte de courage aurait été pour la direction du parti de nous notifier de façon officielle que nous ne faisons plus partie de cette formation politique. A ce moment, on tirera les conséquences.
Sur le plan politique, je considère le Parti socialiste comme une vieille histoire. Mon avenir est devant moi. J’ai osé l’assumer. J’ai osé prendre mon avenir en main. Je continue ce chemin. Mais je me battrai pour que ce parti respecte les règles parce que c’est à cela qu’on s’attend lorsqu’on est socialiste.
Vous semblez dire que Tanor n’est pas un homme d’Etat
Je n’ai prononcé le nom de personne. Mais, très souvent, on nous dit qu’Untel est un homme d’Etat. C’est un titre dont on se glorifie et qui ne correspond à aucun acte posé, aucune posture. Le président Mitterrand a eu des antagonismes avec Michel Rocard. Est-ce que Rocard n’a pas fini par devenir son Premier ministre ? Quand il a senti que c’est l’intérêt du Parti socialiste et l’intérêt de la France, ils ont dépassé cet antagonisme personnel. C’est là où je juge l’homme d’Etat. L’homme d’Etat n’est pas le président de la République ni le ministre, encore moins celui qui est dans l’Etat. Un simple fonctionnaire peut être homme d’Etat dans la mesure où, conscient des enjeux, il sait se dépasser, se surpasser, pour ne pas prendre les décisions qu’il faut prendre au sens de l’intérêt de son parti ou de son Etat.
Ousmane Tanor Dieng aurait-il tourné le dos aux intérêts du parti au profit de ses propres intérêts ?
Qu’on aime ce parti ou qu’on ne l’aime, le Parti socialiste est un parti historique. Quand ont est dans ce parti qui a connu des crises, on a doit faire attention. Rappelons-nous de la crise entre Senghor et Mamadou Dia, bien avant eux celui de Lamine Guèye. On a perdu Moustapha Niasse en cours de route. Djibo Kâ, on l’a également perdu en cours de route. Malgré cela, on se lève un matin pour expurger du Parti socialiste plus du tiers de ses camarades ? Que faut-il en penser ? C’est la question fondamentale qu’il faut poser à la direction du Parti socialiste. Et faire le constat que si, pour les actes commis, c’est cela la sanction, on se soucie beaucoup plus d’autres choses que des intérêts du Ps.
Vous semblez avoir mis une croix définitive sur le Ps à un moment où vos autres camarades qui ont été exclus, semblent opter pour une autre stratégie. N’est-ce pas du défaitisme ?
On peut tout me reprocher sauf manquer de courage. Cela ne me ressemble pas. En politique, il faut être réaliste. Lorsqu’on dit qu’on a tourné la page socialiste de manière définitive, nous répondons par la négative. Ce que je dis est très nuancé, tout est dans la nuance. Avec les enjeux auxquels nous faisons face avec l’élection présidentielle de 2019 qui est en face de nous, je n’ai pas le temps d’aller guerroyer contre le Parti socialiste. Il faudra dépenser autant d’énergie, autant de temps, autant d’argent, autant d’éparpillement pour récupérer quoi ? Des coordinations et des unions régionales ? Nos bases ne sont pas parties, elles sont là. Il ne faut pas que la direction se leurre. Devant cette exclusion annoncée, j’ai fait mon choix. Peut-être que demain, on reviendra au Parti socialiste, mais le livre n’est pas fermé.
Comment analysez-vous le mutisme d’Abdou Diouf face à la crise qui est en train de saper les fondements du Parti socialiste ?
Je vais vous faire un aveu. Je suis très déçue par la position du président Abdou Diouf. Je ne l’avais jamais exprimé depuis, maintenant je le dis. Parce que lui, il nous a toujours fait comprendre qu’il était éloigné de la chose politique. A l’époque, il nous avait donné une réponse valable. Il nous disait : «Ecoutez, c’est la première fois qu’on voit une alternance dans notre pays. Si je me mets à commenter les choses politiques au Sénégal, mon successeur va dire que je suis en train de lui mettre les bâtons dans les roues». C’était une position magistrale que tout le monde avait respectée. Mais une fois qu’il a pris sa retraite au niveau de la Francophonie et qu’il est rentré au Sénégal, il est en train de porter Macky Sall en bandoulière comme son bébé et de le présenter dans les familles religieuses et de le défendre. Mais bon sang, on ne lui demande pas de faire autant pour le Parti socialiste. Mais qu’il essaie au moins, ne serait-ce que par une mission indirecte, de dire : «Attendez, ce qui se passe, ne peut pas être le parti que j’avais laissé; Rassemblez-vous, discutez !». Il aurait pu le tenter, parce que le parti lui a tout donné pendant quarante ans, mais il ne l’a pas fait. Il a peut-être ses raisons, mais j’ai le droit de dire que je suis déçue par son attitude.
Depuis combien de temps n’êtes-vous pas allée au siège du Parti socialiste ?
Depuis très longtemps. Depuis qu’à la Maison du Parti, on a refusé le débat démocratique. Depuis qu’on a été dans des semblants de réunion. Depuis qu’à la Maison du Parti, les réunions se tiennent ailleurs. Que ce qui se tient à la Maison du Parti n’est qu’un faire-valoir pour avaliser des réunions tenues ailleurs. Je refuse de participer à des mascarades. Lorsque je m’engage, je le fais sincèrement. Lorsque je m’engage, je m’engage aussi volontairement avec autant de détermination que mes camarades. Quand il y a des non-dits, vous avez beau dire ce que vous avez à dire, mais la décision est déjà actée. Quand le secrétariat national se substitue pratiquement au Bureau politique pour prendre des décisions, en participant aux réunions de cette instance, vous avalisez la décision d’une structure qui est incompétente. Pourquoi je m’associerai à cela ? C’est la raison pour laquelle, ne pouvant faire autrement, il n’y avait pas à aller habiller ces décisions qui, en réalité, ne sont pas celles du vrai Parti socialiste. Aujourd’hui, au sein de ce parti, il n’y a plus de règles et de principes. Où avez-vous vu un parti, pour autant qu’il se respecte, prononcer une sanction aussi grave que celle de l’exclusion, avoir expurgé presque le tiers de ses militants sans qu’une seule fois, le militant ne soit entendu et convoqué ? C’est de la mascarade. Il faut appeler les mots par leur nom et leur donner le sens qu’il convient de leur donner. Ce qui s’est passé le 30 décembre n’a jamais été de la politique.
Vote absence prolongée fait partie des motifs évoqués pour vous exclure…
Est-ce que cela mérite une exclusion ? Connaissez-vous l’échelle des sanctions, nos statuts et nos règlements intérieurs ? Vous me posez la question. Eux, ils ne m’ont jamais posé la question. Cela ne vous parait-il pas curieux ? Ils ne m’ont jamais appelée pour me dire : «Pourquoi tu t’absentes, tu es notre camarade, tu ne viens pas ?» Un des responsables, après cela, a dit : «De toute façon, elle ne représente rien, elle ne pèse rien, elle a été aux élections législatives, elle a obtenu un député grâce au plus fort reste». Mais celui qui le disait, n’a pas eu de plus fort reste dans son propre bureau de vote. Nous, on a le plus fort reste à l’échelle nationale. Lui, il ne peut pas avoir le plus fort reste dans son bureau. Est-ce que des gens qui n’ont pas eu le courage d’aller aux élections par eux-mêmes et de prendre dignement ce que les Sénégalais leur confèrent, ont le droit de dire que nous n’avons rien alors que nous avons eu le courage qu’ils n’ont pas eu ? Si on arrive à ce niveau, c’est parce qu’il n’y a pas de débat interne. Leur seul objectif, c’était de se débarrasser des camarades encombrants.
N’avez-vous pas commis une faute lourde, en allant dans le contre sens des décisions de votre parti lors du référendum et des législatives ? Cela méritait peut-être sanction…
J’ai deux réponses à cette question: Une réponse formelle et une réponse de fond. La réponse formelle est que rien à ce stade ne nous disait que c’est là qu’il faut aller pour ce qui est du référendum. Pour les législatives, peut-être que oui. Mais la réponse de fond, la plus déterminante, est que quand nous sommes allés aux élections locales qui ont précédé le référendum et les législatives, chacun y est allé de son côté. Est-ce que parmi la direction du Parti socialiste, il n’y a pas de maires qui ont été élus sur des listes qui ne sont pas de Benno Bokk Yaakar ? Alors, quel est le principe cartésien qui veut que pour telle élection, tu fais cela, pour une autre, on change le jeu ? Si cela mérite une faute, tout le monde devra être sanctionné de 2014 à 2017 alors que le parti avait dit : «On va dans Benno Bokk Yakaar». Voilà l’incohérence dans laquelle s’est installé le Bureau politique. Ce qu’ils ont fait, n’a pas de justification, n’a aucune explication rationnelle.
Vos divergences avec le Parti socialiste n’ont-elles pas commencé avec les dernières élections locales, quand Wade est venu vous prêter main forte à Podor alors que la direction du Ps vous avait lâché ?
Je réponds à votre question par une question. Est-ce qu’on ne peut pas penser, dans ce cas, que les problèmes ont commencé quand j’ai posé ma candidature au poste de secrétaire général qui date d’avant les élections ? Tant qu’à chercher l’origine de la faute, il faut l’expier. (Rire). Non. Franchement non.
Mais êtes-vous allée jusqu’au bout de votre logique d’être candidate au poste de secrétaire général du parti ?
Evidemment. J’ai posé mon acte de candidature qui est soutenu par la coordination de Podor, respectant toutes les formes. Je rappelle que nous étions plusieurs candidats ; certains qui n’ont pas respecté les formes requises, ont été recalés. Sur le fond, je m’étais engagée à me fondre dans la campagne du parti.
Pourquoi n’avez-vous pas fait face à Tanor ?
(Elle hausse le ton). Je lui ai fait face. J’ai présenté ma candidature. Vous vous rappelez de ce fameux communiqué du Secrétaire politique du Parti socialiste qui a arrêté la compétition entre Ousmane Tanor Dieng et moi-même. C’est un fait d’histoire. Pour en revenir à votre question, je suis désolée de le dire, mais les gens posent la question parce que je suis une femme. Ils croient qu’on a une réaction épidermique. On s’est même fâché, on s’est vexé parce que le Parti socialiste n’est pas venu me soutenir. Est-ce que cela m’a empêché de gagner ? Abdoulaye Wade qui est venu me soutenir, je ne l’ai pas invité. Il est venu de lui-même parce que c’est un politique en diable. Il a pensé que là, il y avait quelque chose à faire et il l’a fait. Et effectivement, il ne l’a pas fait à son détriment, mais au détriment du Parti socialiste. Les gens ne retiennent que cela. La preuve, vous me posez la question.
Abdoulaye Wade n’a-t-il pas réussi à casser votre duo avec Ousmane Tanor Dieng ?
Non. Non. Donc, c’est Wade qui m’a poussé à être candidat devant Ousmane Tanor Dieng ? En politique, j’ai la tête sur les épaules. Je prends les décisions par moi-même. Personne ne me les dicte, encore moins me les imposer. J’avais senti qu’il fallait le faire en 2014, je l’ai fait. Peut-être que c’est la direction du Parti socialiste qui est vexée du fait que je me sois opposée à Ousmane Tanor Dieng et qui n’a pas voulu me soutenir. Et franchement, je ne peux pas dire que peu m’en importait. Bien sûr que ç’aurait été important que mon parti me soutienne. Mais ce n’était que des élections locales, il fallait se battre localement, gagner localement. Cela s’arrêtait là et je ne me trompais pas d’enjeu.
N’en voulez-vous pas à Khalifa Sall d’avoir interrompu le processus de votre candidature à la succession d’Ousmane Tanor Dieng ?
Vous voulez que je vous dise la vérité ? Non. J’ai compris en ce moment… Vous ne savez pas la forte pression qui s’abattait sur Khalifa Sall pour interrompre ce processus.
Dites-le ?
(Rires). Mettez trois points de suspension. Vous m’inviterez une autre fois, peut-être que je lâcherai le morceau.
A partir de 2014, vous n’étiez plus présente aux réunions statutaires du Parti socialiste. Pourquoi avez-vous subi les événements au lieu d’anticiper et attendre qu’on vous exclut ?
Pourquoi ? Quand on est politique, chaque décision a un sens. Entre démissionner du Parti socialiste et être exclue du Ps, il y a un fleuve. Ce sont des faits tout à fait différents. J’avais considéré que, du moment où je n’étais plus en phase avec la direction du parti, il fallait faire quelque chose sur le plan de mon existence sur le plan politique. Je l’ai fait. J’ai lancé Osez l’avenir. Maintenant, si le Parti socialiste considère que je ne peux plus agir, il doit l’assumer courageusement. Je considère que les raisons qui m’ont amenée à militer au Parti socialiste, c’étaient des convictions et des idées.
A quel moment, le ressort s’est-il cassé entre Tanor Dieng, Khalifa Sall et vous ? Pourtant vous deux, vous étiez les fidèles parmi ses fidèles…
Le ressort s’est cassé quand les gens ont commencé à dire : il faut qu’il y ait un changement à la tête de ce parti. Les hommes politiques ne sont pas des diables, comme on le pense. Ils ne sont que des hommes avec leur grandeur et leurs faiblesses. Quand les gens ont agité l’idée qu’il doit y avoir une nouvelle génération, tout cela est rentré dans la tête de certains camarades. A cela s’ajoutent des discours processionnaux qui voulaient que j’aille démentir pour dire que je ne suis pas Ségolène Royale et que je n’ai pas d’ambitions politiques. Je n’avais pas besoin de dire cela parce que ce serait me mentir à moi-même. Je ne mens jamais à personne, à fortiori à moi-même. C’est là où les choses ont commencé à se dégrader, chacun s’est mis dans la position de cache-cache à mort, en disant que celui-là est mon adversaire, celle-là est mon rival. On m’a même présentée comme la louve aux dents longues. Je suis peut-être une louve, mais je pense que j’ai des dents bien rangées pour prétendre à quoi je peux prétendre et plus que cela.
Certains attribuent à Macky Sall un rôle déstabilisateur dans la crise du Parti socialiste. Le pensez-vous ?
Je vais vous faire une révélation. Quand Wade est arrivé au pouvoir, à la première réunion du Conseil des ministres, il s’est frotté les mains en disant : «Maintenant, nous allons manger le Parti socialiste à la petite cuillère». Amath Dansokho lui a dit : «Il faut vous détromper Monsieur le Président. Le Parti socialiste est plus fort que ça. Ce n’est pas que les gens que vous voyez à la Maison du parti, en train de se réunir. C’est des racines profondes dans le Sénégal». Donc si comme vous le dites, Macky aura entrepris une œuvre de destruction du Parti socialiste et l’aura réussie – ce que Wade n’a pas su faire en 12 ans – c’est que quelque part, de fortes complicités, au sein du Parti socialiste, l’ont aidé dans cette œuvre de sabotage.
Les Sages du parti n’ont-ils pas engagé suffisamment de concertations pour sauver le Ps ?
(Silence). Oui et non. Les Sages, ils m’ont parlé, à titre individuel. Le problème, ce n’est pas que ça, que ce soit moi ou Khalifa Sall ou quelqu’un d’autre. Le problème, c’est le principe qui nous oppose à la direction. Donc il aurait été plus sage – que les Sages m’excusent – qu’ils convient ou qu’ils aient convié tout le monde autour de la table pour dire : «Maintenant, quel est le problème ?» Parce que c’est un problème de principes. Ce n’est pas un problème de personnes. Nous n’étions pas d’accord avec la façon dont le Parti socialiste est géré, pas seulement depuis l’alternance, depuis quelques temps déjà. Et nous aurions dû discuter de cela. Malheureusement, ce travail n’a pas été fait par les Sages.
Quelles sont vos relations avec Khalifa Sall ?
Elles sont excellentes.
Pourquoi n’avez-vous pas été ensemble aux élections législatives dans la même coalition, comme tout le monde s’y attendait ?
Avec Khalifa Sall, on était dans une grande initiative qui s’appelait «Initiative 2017». J’ai encore les textes et la plateforme rédigés, que nous avons tous acceptés, que nous avions discutés. Je rappelle que, dans cette initiative, il y avait Cheikh Bamba Dièye, Moussa Sy, Moussa Tine, Khalifa Sall et moi-même. Nous avions décidé d’aller ensemble aux élections législatives. Et puis, quelque temps après, malheureusement, est arrivé l’emprisonnement de Khalifa Sall. Moi-même, j’ai été le voir pour lui dire : «Maintenant que faisons-nous ? Il y a cette nouvelle donne». Il m’a répondu : «Il faut continuer. En politique, on ne s’arrête pas parce qu’un camarade est en prison». Justement parce qu’il est en prison, il faut continuer. Nous avons voulu continuer. Entre temps, il y a eu d’autres camarades qui avaient, peut-être, d’autres façons de voir, qui estimaient qu’eux devaient être…dans le Manko Taxawu avec les libéraux. Je leur avais expliqué : «On a été quatre ou cinq à faire cette affaire. Tant que nous restons entre nous, je pense que nous pouvons offrir une alternative aux Sénégalais. On ne peut pas retourner cinq, quatre ans à peine, avec ceux-là que nous avons combattus pendant 12 ans, faire comme si de rien n’était et refaire des coalitions de circonstance. Les Sénégalais ne l’accepteront pas. J’ai autant de respect pour le Pds que pour tous les autres, mais marquons notre identité. Je crois que cela est important». On ne s’est pas entendu sur ça. Finalement, ça a fini par quoi ? Manko elle-même a éclaté. C’est resté une coalition victorieuse d’une part et Taxawu Sénégal de l’autre part. Si on avait accepté l’idée que je préconisais dès le départ, je ne dis pas qu’on allait tout gagner, mais on aurait eu quand même un score honorable et respectable.
«Khalifa Sall est un acteur politique. Moi-même, j’en suis une. Nos chemins n’ont jamais divergé. Peut-être qu’un jour, on fera ce qu’on n’a pas pu faire ensemble.»
Peut-on s’attendre à une alliance avec Khalifa dans l’avenir ?
Mais bien sûr. Rien n’est exclu. Khalifa Sall, on discute tous les jours. Lui et moi, on n’est pas en divergence. On discute chaque fois que cela est possible par émissaires interposés parce que, malheureusement, je ne peux plus aller lui rendre visite à la prison. Mais on dialogue, on se parle, on discute, il n’y a pas de problème. En politique, il ne faut jamais insulter l’avenir. Khalifa Sall est un acteur politique. Moi-même j’en suis une. Nos chemins n’ont jamais divergé. Peut-être qu’un jour, on fera ce qu’on n’a pas pu faire ensemble.
Au sortir des législatives, d’aucuns vous annonçaient au gouvernement. Y a-t-il réellement eu des tractations entre le pouvoir et vous ?
Catégoriquement non. Je ne fais pas de politique sous la table. Je fais la politique sur la table. C’est trop compliqué au Sénégal. J’ai même entendu sur les sites internet quelqu’un dire : «C’est Macky Sall qui a payé la caution de Aïssata Tall Sall». Archifaux. Cela n’a jamais été vrai. Mais pourquoi l’aurais-je accepté ? Pour 15 millions ? Mais quand même ! Si, dans mon cabinet, je ne peux pas sortir, par mes propres moyens, 15 millions pour aller payer la caution, mais je prétendrais à quoi ? Je n’ai jamais négocié avec qui que ce soit, encore moins pour entrer dans le gouvernement. C’est archifaux. J’ai compris d’où est-ce que ça venait. Cela ne venait ni de l’Apr ni du Pds. Cela venait parfois de mes propres camarades socialistes. Je savais pourquoi ils le disaient.
Lors du décès de votre maman, Macky vous avait pourtant tendu la main. Et vous n’aviez pas catégoriquement fermé la porte…
Non, il ne m’a jamais tendu la main. Revoyez le discours. Macky Sall a dit : «Ce qui nous liait et ce qui peut nous lier jusqu’à présent». Il est venu faire ses condoléances. Il a parlé de la relation qu’il a entretenue avec mon père. Alors, une question : Vous imaginez, ici au Sénégal, quelqu’un dont le père a cette relation avec le président de la République et qui peut, quand même, se lever un matin pour aller à Podor le combattre et faire gagner Ousmane Tanor Dieng. Je l’ai fait. Il y a beaucoup de Sénégalais qui, pour moins que ça, seraient dans la poche de Macky Sall. Quand est-ce que les Sénégalais ont su que Macky Sall avait cette relation avec mon père ? Quand ma mère est décédée, non ! Avant, ils ne le savaient pas et pourtant la relation existait. La relation datait d’avant même que Macky Sall ne soit président. J’ai voté contre Macky à Podor. J’ai même gagné et c’est Tanor qui a gagné. Il faut être fort de caractère pour faire ça, non ! Et bien ça, moi je l’ai fait.
«Il y a encore une résurgence de ce que Wade faisait et que tous les gouvernements successifs de Macky Sall sont en train de faire.»
Que vous inspire la gouvernance du pays ?
Il y a beaucoup de choses à faire, beaucoup de choses à dire. Ce qu’il faut d’abord dire, c’est la méthode même de gouvernance. On a combattu 12 ans Abdoulaye Wade. On ne l’a pas combattu parce que c’était Abdoulaye Wade. On l’a combattu parce qu’on n’était pas d’accord sur une certaine façon de faire. Il y a encore une résurgence de ce que Wade faisait et que tous les gouvernements successifs de Macky Sall sont en train de faire. Je donne un exemple : Quand on décide de consacrer des investissements massifs à un secteur, le TER par exemple, avec tout ce que cela va nous coûter, pourquoi n’y a-t-il pas eu un débat au Sénégal sur ça ? Cela faisait partie des choses que l’on reprochait à Abdoulaye Wade quand il a fait sa fameuse corniche. J’essaie toujours de rembobiner la bande dans ma tête, de me dire qu’est-ce que nous avions dit à l’époque de cela. Est-ce qu’aujourd’hui, mutatis mutandis, nous n’assistons pas aux mêmes actes et faits.
On disait de la gouvernance de Wade que c’était une gouvernance unilatérale et que notre niveau de démocratie doit dépasser cela. La démocratie, ce n’est pas des règles qui, tous les cinq ans, reviennent ; on se choisit un leader et puis, on en a fini. La démocratie, c’est dans les actes de tous les jours qu’il faut les poser vis-à-vis des citoyens et avec les citoyens. C’est le terme fondamental de la démocratie. Pourquoi ce que nous avions dénoncé du temps de Wade, on ne le dénonce pas aujourd’hui avec Macky Sall ? Si, nous allons continuer de le dénoncer parce qu’il faudrait que sur certaines décisions fortes, fondamentales, il apprenne à se concerter avec les Sénégalais. Bien sûr, c’est lui qui est l’élu. Bien sûr, la décision lui reviendra. Mais aujourd’hui, notre démocratie doit faire ce saut qualitatif pour que, de plus en plus, les décisions soient partagées avec le peuple. C’est une des choses que nous dénonçons dans la gouvernance de Macky Sall.
Parfois, ce que nous dénonçons porte sur le choix des hommes. Il avait dit : «La patrie avant le parti». Mais aujourd’hui, de temps en temps, on sent que c’est le parti avant la patrie.
Voulez-vous faire allusion à la nomination d’Aliou Sall à la Cdc ?
Je ne le stigmatise pas. Il a été nommé à la Caisse des dépôts et de consignations. Attendons de le voir s’installer et poser des actes. Moi, les gestionnaires, je les juges aux actes. Je ne fais pas de jugement à priori. Je me refuse à cela, à dire que parce que c’est le frère du président, il ne serait pas compétent.
Vous avez eu quand même à siéger dans un même gouvernement que le frère d’un président de la République.
C’est pour cela que je ne stigmatise pas Aliou Sall. Ce frère du président, Magueth Diouf, pour ne pas le nommer, il était connu pour être un homme vertueux, compétent et véridique.
Ce qui n’est pas le cas de l’autre ?
Je ne le dis pas. Je ne le connais pas. J’attends de le voir à l’œuvre (rire). Je ne sais même pas s’il a commencé. Je sais seulement qu’il est à la Cdc. On attend de voir. S’il prend des actes dans le sens de ce que nous pensons être de sa responsabilité, on approuvera. S’il prend d’autres types d’actes, on condamnera, comme on est appelé à le faire.
(A suivre)