CONTRIBUTION
Le 1er décembre dernier, la Rfm m’a invité à intervenir à son journal parlé de 12 heures, pour donner mon point de vue sur la situation des corps de contrôle et sur le sort réservé aux rapports qu’ils produisent. D’entrée de jeu, j’ai affirmé que le président-politicien les a rendus pratiquement tous inoffensifs. Et, selon des sources dignes de foi, il va les rabougrir encore plus et leur donner finalement le coup de grâce, en s’opposant systématiquement à la publication des rapports qu’ils produisent, surtout s’ils s’aventurent à mettre en cause ses proches. Les plus ciblés de ces corps sont sûrement l’Inspection générale d’Etat (Ige) et l’Agence de régulation des marchés publics (Armp).
Interrogé à la même occasion, un très proche du président-politicien, M. El Hadj Hamidou Kassé en l’occurrence, a balayé d’une claque de langue tous mes propos et m’a même lancé un défi. «Personne ne peut sortir une seule archive sonore ou écrite indiquant une décision du président de la République sur la rétention des rapports des corps de contrôle», a-t-il affirmé avec force conviction. Encore plus sûr de son fait, il poursuit : «Les rapports de l’Ige ne sont pas rendus publics. Ils peuvent toutefois être déclassifiés à titre exceptionnel». «Et M. Niang ne peut pas sortir un seul texte pour prouver le contraire», conclut-il.
Le chargé de la Communication de la Présidence de la République a presque tout faux. D’abord, qu’il ne nous prenne pas pour des demeurés ! Nous savons très bien, et lui avec nous, que le président-politicien ne prend pas toutes ses décisions au grand jour, surtout les plus contestables. Nombre d’entre elles sont prises en sourdine, à l’ombre. Cependant, comme notre ministre conseiller spécial aime les exemples tirés d’archives sonores ou écrites, nous n’allons pas chercher loin. Son mentor n’avait-il pas reconnu lui-même, publiquement, «(avoir) mis le coude sur des dossiers» ? Ne reviendra-t-il pas lui-même, devant le tollé général que sa déclaration avait provoqué, «préciser sa pensée» : ce n’est pas sur tous les dossiers qu’il avait mis le coude, mais seulement sur celui du Fesman. N’est-ce pas de la rétention de dossier ? N’est-ce pas une archive sonore ? J’ai bien entendu la déclaration.
Je rappelle que dans sa livraison du mercredi 6 février 2014 – puisqu’il faut des exemples tirés d’archives sonores ou écrites – le journal Le Quotidien que personne ne peut suspecter d’hostilité envers le président-politicien, a fait état d’«une décision prise sur lui de ranger le lourd dossier du Fesman». Il ne souhaiterait pas, selon le même quotidien, «s’encombrer de la fille de son prédécesseur après le frère». Cette curieuse et surprenante décision n’avait pas manqué de susciter nombre de commentaires. En particulier une dame, membre de l’entourage proche du couple présidentiel, s’était permis la déclaration suivante : «Mettre en prison en même temps Sindièly et Karim Wade, ce serait déstabiliser Me Wade». Cette curieuse déclaration avait certainement surpris et fait sursauter plus d’un. En tout cas, la curieuse décision du président-politicien et le commentaire de la dame en question m’avaient inspiré, dès le lendemain, une contribution que j’avais intitulée à dessein : «Et s’il est établi que le frère et la sœur sont tous les deux des voleurs !»
Après avoir passé en revue ces quelques exemples tirés d’archives écrites (et sonores), revenons sur les certitudes de Monsieur le Ministre Conseiller spécial ! N’est-ce pas lui qui affirme de façon péremptoire, que «les rapports de l’Ige ne sont pas rendus publics, (qu’ils) peuvent toutefois être déclassifiés à titre exceptionnel, (et que) M. Niang ne peut pas sortir un seul texte pour prouver le contraire» ?
Sans doute, l’Ige ne publie-t-elle pas l’intégralité de ses rapports de vérification. Conformément à la loi n° 2011-14 du 8 juillet 2011 portant statut des inspecteurs généraux d’Etat et, en vertu des articles 5 à 7 de ladite loi, l’Ige «dispose de larges pouvoirs d’investigation dans le cadre de ses missions de vérification, d’enquête et d’audit au niveau des structures publiques, parapubliques, ainsi que des structures privées bénéficiant du concours financier de l’Etat. Les informations qu’elle recueille au cours de ces missions revêtent un caractère secret et sont exclusivement destinées au chef de l’Etat». Cependant, en rapport avec le respect du droit à l’information des citoyens consacré par la Constitution, l’Ige a apporté, en accord avec le président de la République bien entendu, une innovation majeure à la loi 2011-14 du 8 juillet 2011. Ainsi, en vertu de cette réforme qui porte la marque indélébile de l’ancien Vérificateur général, Mme Nafy Ngom Keïta, «l’Ige est tenue de présenter, chaque année, un Rapport public sur l’état de la gouvernance et de la reddition des comptes» et ce, depuis l’année 2013. «Ce rapport vise d’abord à rendre compte au président de la République de l’état de la gouvernance publique et ensuite, à partager un certain nombre d’informations s’y rapportant avec l’ensemble des acteurs de la vie publique, des partenaires au développement et de toutes les personnes intéressées», comme votre serviteur.
En application de cette importante réforme, les Rapports publics 2013, 2014 et 2015 ont été présentés et rendus publics. Nous sommes à moins d’un mois de l’année 2018, et le Rapport 2016 n’a pas encore été publié. Que notre ministre conseiller spécial nous dise pourquoi ! Jusqu’à preuve du contraire, il ne sera pas publié ou, s’il doit l’être, sera délesté de sa substance. Que le chargé de la Communication de la Présidence de la République nous dise pourquoi le Rapport de la même année de l’Ofnac n’a pas, non plus, été rendu public ! Le dernier Rapport de l’Ofnac, c’est celui de 2014-2015 que l’ancienne présidente de l’Ofnac n’a jamais réussi à présenter au président-politicien. Son Directeur de cabinet lui a opposé son agenda très chargé. Elle n’avait pas accepté de transiger sur les dossiers qu’elle devait déposer entre les mains du procureur de la République. Pourtant, trois ou quatre jours après, les Rapports d’activités de la Présidente du Conseil économique, social et environnemental ainsi que celui de la Présidente du Haut Conseil pour le Dialogue social lui ont été présentés sans aucun problème. C’est vrai qu’ils ne mettaient en cause aucun proche du président-politicien. On est ici dans une situation pire que la rétention de dossier.
L’Armp avait la bonne habitude de convoquer la presse pour présenter son Rapport annuel. Depuis quand n’a-t-elle pas procédé à cette cérémonie ? Que notre chargé de communication de la Présidence de la République nous dise pourquoi ! Qu’il nous éclaire sur les trois dossiers que l’Ofnac a déposés, du temps de la présidence de Mme Nafy Ngom Keïta, respectivement entre les mains du procureur de la République de Dakar et de celui de Louga ! C’est devenu un secret de Polichinelle aujourd’hui : le Coud et La Poste sont mal gérés, très mal gérés, comme l’était tout récemment le Port autonome de Dakar, quand M. Kanté y était Directeur général. Pourquoi notre président-politicien n’y envoie-t-il jamais l’Ige ?
Nous vivons au Sénégal qui est un petit village. Nous savons ce qui se passe entre de nombreux ministres et leurs Directeurs de l’Administration générale et de l’Equipement (Dage). Combien sont-ils, les ministres qui, tous les vendredis, sont sur le terrain qu’ils ne quittent que le lundi matin, après y avoir déversé beaucoup d’argent ? Que se passe-t-il dans cette Agence de gestion du patrimoine bâti de l’Etat (Agbep) et dans de nombreuses autres ? Et quid des gros projets immobiliers de la «future ville de Diamniadio» qui serait un creuset de scandales ? Le président-politicien le sait très bien. C’est pourquoi il est de plus en plus hostile à la publication des rapports de nos différentes structures de contrôle. Nous sommes quand même en relation permanente avec ce fameux terrain.
On n’a vraiment pas besoin d’archives sonores et/ou écrites pour savoir que notre président-politicien est rétif à la transparence, qu’il protège sans état d’âme ses amis, même s’il est convaincu que ce sont de très mauvais gestionnaires. Puisque notre ministre conseiller spécial me demande des archives sonores ou écrites, je lui en propose une, et une de très représentative de l’absence de sanctions, donc de la mal gouvernance. Notre président-politicien a accordé une interview au journaliste français Vincent Hervouet. C’était dans le numéro 1 du trimestriel Pouvoir d’Afrique (novembre-décembre 2014/janvier 2015). Le journaliste fait d’abord la remarque suivante : «Mais la vie politique est faite de loyauté, de mensonges, de trahisons». Le président-politicien répond : «Exact, mais il y a aussi beaucoup de loyauté. Des gens qui s’engagent et qui prennent la loyauté comme valeur cardinale, cela existe.» Le journaliste poursuit avec cette question : «A l’inverse, la faute pour laquelle vous avez de l’indulgence ?» Il fit cette réponse qui a dû en surprendre et en indigner plus d’un, surtout parmi les naïfs qui accordent encore tant soit peu de crédit à sa parole : «Je peux pardonner la faiblesse de ceux à qui il arrive de profiter des situations. Leur cupidité ou leur incapacité à résister à la tentation les amène à mentir et à trahir la confiance. Cela, je peux le pardonner.»
C’est énorme, c’est terrible ! Waaw, jii waay, kan moo mana yaakaarati ci moom dara, muy lu baax walla lu jub ! Kii kay wane woon na boppam bou yagg. Lii, feneen fumu ko waxe woon fudul Senegaal, ñu wace ko ci lu gaw. Waaye nun nak, lune man nanu koo muñ.
Il est temps de conclure cette réaction au défi que m’a lancé El Hadj Hamidou Kassé. Avec un peu de regret, il est vrai. M. Kassé est un brillant philosophe, un brillant homme de communication. Pendant de longues années, nos rapports ont été toujours apaisés, faute d’être amicaux. Quand il a été nommé Directeur général du quotidien national Le Soleil à la place de M. Ibrahima Gaye, je crois, j’ai été des premiers à lui avoir adressé une lettre de félicitations, dont je garde encore le texte dans mes archives. Mais, pour je ne sais quelle raison, peut-être pris dans la tourmente des délices du pouvoir des Wade, il a pris sur lui de brouiller nos bonnes relations. Un jour, en lisant comme par hasard Le Soleil, je découvre qu’il me prend sévèrement à partie, deux autres compatriotes avec moi ? C’était dans un de ses «Rebonds», sortes de chroniques hebdomadaires. Il n’y était pas allé de main morte et nous avait traités de tous les noms d’oiseaux. Moi, j’étais le «contributeur professionnel». Heureusement, il n’avait pu trouver que ça.
Deux ou trois jours après, je lui fis une réponse qu’il choisit de ne pas publier. Devant cette négation de mon droit de réponse, j’adressai une lettre de protestation au Cred, sans succès. Le texte, intitulé : «Notre droit à la différence», dort encore dans mes archives, les autres quotidiens de l’époque, par esprit de corps, s’étant abstenus de le publier. En tout cas, je suis prêt à le mettre à la disposition de tout quotidien, de tout site qui accepterait de le publier, plus de dix ans après. Ce pourrait être l’opportunité de jeter une lumière crue sur l’homo senegalensis, sur son instabilité et, en particulier, sur son attachement morbide à ses intérêts du moment.
Mody NIANG